«Le pouvoir continue de se cantonner dans une politique du fait accompli»
Dans l’entretien qu’il nous a accordé, le politologue Mohamed Hennad analyse les résultats des élections législatives du 12 juin. Selon lui, les résultats officiels de cette élection «nous donnent à penser que la ‘‘nouvelle République’’ est en train de s’aligner sur celle de la ‘‘îssaba’’ du fait du retour de l’ancienne ‘‘alliance présidentielle’’ avec le FLN, le RND et le MSP, renforcée par deux produits-maison, en l’occurrence le Front El Moustakbal et le mouvement El Bina». Propos recueillis par Nabila
Amir
Le FLN, dont on réclamait le placement au musée, arrive en tête des élections législatives. Quelle lecture faites-vous du score obtenu par cet exparti unique ?
De temps en temps, on entend des voix appeler, à tort, à mettre le FLN au musée, au lieu de se contenter d’exiger de lui de changer de sigle. Au musée, on ne met que des objets ayant une valeur artistique et/ou historique. Il faut se rendre à l’évidence que ce parti a causé beaucoup de mal au pays dans la mesure où il a joué le rôle de pollueur politique en tant que simple courtier pour le pouvoir et comme obstacle majeur à l’émergence des compétences nationales. C’est en jouant ce rôle, précisément, que le FLN se proclame toujours être le parti du Président. Voici un fait anecdotique dont je fus témoin en tant qu’enseignant détaché pour poursuivre mes études supérieures en Angleterre.
Dans un meeting organisé par le chef du FLN, Cherif Messadia, celui-ci s’adressa, en ces termes, aux étudiants ayant obtenu une bourse d’études à l’étranger : «Viendra le jour où nous serons bien obligés de distinguer entre un docteur d’Etat et un autre par la carte du parti» ! Motus pour ce qui est des capacités scientifiques et éthiques ! Si le FLN arrive en tête aujourd’hui avec plus du quart des sièges à l’APN, c’est sûrement parce qu’il a pu profiter du boycott, qui a été une véritable aubaine pour lui. Espérons qu’il l’aura eu pour la dernière fois. Combien de voix aurait pu engranger le FLN au niveau national dans une élection normale ? Sûrement à peine quelques miettes.
Quel rôle aura cette nouvelle Assemblée, boycottée par la quasi majorité des électeurs inscrits ?
Assurément, les autorités misaient sur le fait que les élections législatives étaient différentes des deux consultations précédentes puisqu’elles mettaient en jeu une compétition entre des milliers de candidats pour quelques centaines de sièges ; chacun des candidats comptant des soutiens divers : partisans, syndicaux, associatifs, voire régionaux et/ou tribaux. Or, le boycott quasi général des élections du 12 juin a démenti cette attente ; ce qui fera que la prochaine APN ne sera, du point de vue représentatif, que l’ombre d’elle-même. C’est-à-dire une simple Assemblée alibi qui se contentera de jouer le rôle de caisse de résonance, parce que formée d’une clientèle que le pouvoir aura mis en place malgré tout. Aussi, l’on peut dire que le pouvoir a creusé sa propre tombe par son obstination, réprimant les manifestants pacifiques du hirak, avec un blackout informationnel total, digne de la dynastie des Kim. Les résultats officiels parlent d’eux-mêmes et confirment, donc, la rupture entre les citoyens et ce pouvoir.
Allons-nous vers un gouvernement issu de la majorité parlementaire ou le contraire ?
Dès le départ, cette Assemblée n’était pas censée être représentative ; son élection a eu lieu comme une simple formalité pour servir les desseins du pouvoir. Qui plus est, les résultats, officiels, de cette élection nous donnent à penser que la «nouvelle République» est en train de s’aligner sur celle de la «îssaba» du fait du retour de l’ancienne «alliance présidentielle» avec le FLN, le RND et le MSP, renforcée par deux produits-maison, en l’occurrence le Front El Moustakbal et le mouvement El Bina, à tel point que les tenants du pouvoir n’ont même pas besoin de se compliquer l’existence avec la recherche d’un «parti présidentiel», dont on entend parler depuis quelque temps. Les partis de ladite «alliance présidentielle» représentent, à eux seuls, plus des trois quarts des sièges. Cette alliance, dirigée par le FLN, pourra aussi compter sur les «indépendants» (deuxième «force» après le FLN) pour défendre la cause du pouvoir en cas de besoin, d’autant que bon nombre parmi eux ne sont indépendants que de nom, dans la mesure où ils ont dû quitter leur parti parce que leurs noms ne figuraient pas sur la liste des candidats, ou pour opérer une manoeuvre interne destinée à accroître les chances de leurs partis respectifs. En fait, cette alliance n’est pas du tout le fruit du hasard, mais bel et bien celui d’une certaine réalité politique nationale dans le sens où la chose qui unit tout ce beau monde est leur conservatisme politique tout en guerroyant les uns contre les autres pour plus de poids spécifique. Quant à la question relative au type de gouvernement auquel nous aurons droit, elle reste vraiment accessoire pour le moment. Cela dit, l’article 103 de la Constitution prévoit que «le gouvernement est dirigé par un Premier ministre lorsqu’il résulte des élections législatives une majorité présidentielle» ou par un «chef du gouvernement lorsqu’il résulte des élections législatives une majorité parlementaire». Cela indique que le système politique algérien est un système basculant : il est parlementaire lorsque l’APN est majoritairement présidentielle et présidentiel lorsque cette majorité ne l’est pas. Ceci étant, il s’agira certainement d’«un premier ministre» du moment que le FLN est le parti qui représente la «majorité présidentielle» et que M. Tebboune luimême a toujours été un militant de ce parti. L’existence de ladite «alliance présidentielle», elle-même, milite dans ce sens.
Nous assistons, ces derniers jours, à une répression féroce contre les enseignants, les journalistes, les juristes… qui inquiète plus d’un. Pourquoi un tel acharnement ?
Bien entendu, ces acharnements indiquent une faiblesse plutôt qu’une force. Se sentant foncièrement contesté, le pouvoir intensifie les mesures sécuritaires au nom d’une certaine conception de l’ordre public. Il vise à mater toute voix discordante par divers moyens : menace, répression, désinformation et propagande, dont le but est de stigmatiser des opposants ou les accuser carrément de terrorisme. En même temps, il décrète un verrouillage médiatique qui ne fait guère honneur à l’Algérie, puisque l’on assiste à chaque fois à des levées inutiles de boucliers des autorités à cause d’une information, d’un reportage ou d’un simple point de vue exprimé par un organe étranger, notamment français. Par exemple : les épisodes de France 5 et France 24, ou encore cette épitre que notre ambassadeur a adressé aux Français du quotidien Le Monde pour exprimer son mécontentement à cause d’un éditorial déplaisant, tout en leur expliquant l’éthique du métier. Cette épitre aurait pris tout son sens si seulement cette éthique était respectée chez nous. Enfin, espérons que les tenants du pouvoir n’auront pas besoin de beaucoup plus de temps pour se rendre compte de leurs échecs successifs et se convaincre de la nécessité de travailler avec les différentes forces politiques et sociales du pays pour résoudre la crise ; un signe fort dans cette direction serait la libération du champ politique national. Car, force est de constater que le pouvoir continue, vainement, de se cantonner dans une politique du fait accompli en vue de l’instauration d’une prétendue «nouvelle République» sous la férule du haut commandement des forces armées. Les temps ont bien changé !