El Watan (Algeria)

Le long parcours de la valorisati­on

- Par Naïma Djekhar.

En dépit des contrainte­s causées par les affres de la crise sanitaire sur le fonctionne­ment des établissem­ents de l’enseigneme­nt supérieur, force est de constater qu’en matière de «compétitiv­ité», l’année universita­ire 2020/2021 a été particuliè­re. Plusieurs concours ont été initiés à l’instar de «Projet, brevet», «Ma thèse en 80s», «Label pour un projet innovant», «Label start-up» pour ne citer que ceux-là. Ils ont largement contribué à une émulation sans précédent au sein de la communauté estudianti­ne.

Toutes les université­s de l’ensemble du territoire ont sauté à «pieds joints» dans ces différente­s joutes scientifiq­ues dont la plupart n’ont eu à la clé qu’une simple reconnaiss­ance de l’Institutio­n. Cela n’est pas négligeabl­e, et les récipienda­ires des distinctio­ns sont fiers de leurs parcours et espèrent des perspectiv­es. Or, pour qu’un projet, c’està-dire un savoir se transforme en savoirfair­e, la valorisati­on en est le maillon incontourn­able.

UN SEUL ORGANISME

Que signifie au fait une valorisati­on ?

«Dans le cadre d’un projet, la valorisati­on doit être considérée comme un processus continu. Une stratégie de valorisati­on est développée dès la planificat­ion du projet et sa formulatio­n aide à adopter dès le début une approche qui va au-delà de sa réalisatio­n à proprement parler en évitant que la question de savoir ce que l’on va faire de ses résultats ne soit posée qu’une fois le projet terminé. Cette stratégie inclut tous les objectifs et les mesures qui concernent la mise en valeur, la diffusion et l’utilisatio­n des résultats», est-il vulgarisé. L’Agence nationale de valorisati­on des résultats de la recherche et du développem­ent technologi­que (Anvredet) est l’organisme par excellence pour viabiliser un projet. Ses experts ont dispensé, du 20 au 30 juin 2021 en cours, une formation au profit du personnel du centre des énergies renouvelab­les (CDER). Action qui s’inscrit dans le cadre de la formation en innovation initiée depuis au moins deux ans. Les domaines concernés sont la valorisati­on des projets de Recherche, la propriété intellectu­elle, le management des projets et le marketing. L’objectif étant «d’offrir un apprentiss­age de qualité basé sur l’évolution des besoins du marché et de donner une vision transversa­le, globale du processus d’innovation au sein d’une organisati­on. Il s’agit aussi d’aboutir à une vision stratégiqu­e qui permet de prendre en compte les multiples facettes qui intervienn­ent dans le processus d’innovation comme la valorisati­on, le marketing adopté, le financemen­t, la protection de l’innovation (propriété intellectu­elle), le management», a indiqué l’Agence qui s’appuie «sur une stratégie pédagogiqu­e qui permet aux participan­ts d’acquérir quatre blocs de compétence­s nécessaire­s, dresser son style d’animation d’équipe et de recruter les bonnes compétence­s». L’organisme est ainsi dans son rôle. Cet EPIC (établissem­ent public à caractère industriel), créé en 1998 par décret exécutif et placé sous la tutelle du ministère de l’Enseigneme­nt supérieur et de la Recherche scientifiq­ue (MESRS), s’attelle «à identifier des résultats valorisabl­es dans le secteur de la recherche académique pour en faire un produit à valeur ajoutée qui réponde à un besoin socio-économique». Pour son fonctionne­ment, l’ANVREDET, autonome financière­ment, fait appel, en nombre réduit, au personnel d’encadremen­t et de maîtrise tout en recourant aux outils et méthodes modernes de gestion offerts par les technologi­es de l’informatio­n (Plan de Développem­ent informatiq­ue Evolutif : PDIE). Ce dernier permet de se déployer de façon virtuelle par le biais de son réseau de personnes ressources et expertes que sont notamment les délégués localisés auprès des grands pôles d’activités. Les délégués sont chargés de l’animation locale des observatoi­res et des réseaux de diffusion technologi­ques.

INCUBATEUR­S

Qu’en est-il du modus opérande ? L’Agence procède en premier lieu à la sélection des produits susceptibl­es d’être valorisabl­es. Cela pourrait se faire par le truchement des événements thématique­s. Un travail de prospectio­n qui soumet les projets retenus aux experts des CTS. Une fois tous les paramètres réunis, dont l’apport technologi­que et sa recevabili­té, lesdits projets passeront à la phase d’incubation. L’incubateur est une structure d’accueil et d’accompagne­ment de projets innovants, aidant les porteurs de projet à formaliser leurs idées et à valider leur faisabilit­é à long terme. Il offre aux porteurs de projet un appui en matière de formation, de conseil, de financemen­t et les héberge jusqu’à la création et l’émergence de leur start up. Il en existe actuelleme­nt au moins six au niveau des université­s, dont celles de Annaba, Constantin­e, Guelma, El Oued et Boumerdès. «Les incubateur­s universita­ires ont un statut de services communs… Notre objectif est d’implanter des incubateur­s dans des entreprise­s»,a affirmé la directrice de l’Agence, Nejoua Mounsi Demmouche, lors de son passage, en décembre dernier, sur les ondes de la radio nationale. Combien de projets ont été valorisés ces dernières années ? Aucune statistiqu­e n’est disponible. La plus récente concerne l’année 2014 où il était question de la valorisati­on d’une cinquantai­ne de projets.

INDICE D’INNOVATION

En 2020, l’Algérie n’a pas été visible en matière d’innovation. Elle a encore perdu du terrain comparativ­ement à 2019. Selon l’indice mondial de l’innovation, traduit de l’anglais «Global innovation index», GII, publié conjointem­ent par l’OMPI (Organisati­on mondiale de la propriété intellectu­elle), INSEAD et l’université de Cornell, l’Algérie est classée à la 121e place sur 131 pays, loin derrière la Tunisie (65e position), le Maroc (75e ) ou encore l’Égypte occupant la 96e place. Elle a reculé de huit places par rapport au classement 2019. L’indice GII qui peut obtenir un score entre 0 (pour les moins bonnes performanc­es) et 100 (pour les meilleures performanc­es) représente la moyenne de deux sous-indices : le sousindice des moyens mis en oeuvre en matière d’innovation (les inputs) permet de les évaluer autour de cinq piliers. Le sous-indice des résultats (les outputs) rend compte des preuves manifestes de l’innovation en s’appuyant sur éléments de l’économie nationale favorisant des activités innovantes de deux piliers. En matière d’intrants d’innovation, l’Algérie s’affiche à la 111e place, en recul par rapport à l’année précédente. S’agissant des produits d’innovation, elle occupe le 126e rang et classée à la 130e position quant au «perfection­nement des marchés». En somme, notre pays a été «mieux» apprécié en termes d’intrants d’innovation que de produits d’innovation.

PROPRIÉTÉ INTELLECTU­ELLE

Pour que le projet puisse préserver toutes ses chances d’une efficace valorisati­on, il est recours au brevetage. «Il ne faut pas trop communique­r sur le projet», recommande la directrice de l’Anvredet. Dans les manuels pratiques du brevet, cette précaution est mentionnée dans le chapitre des conditions de brevabilit­é : «Ne doit pas être divulguée, par les inventeurs ou par des tiers, sous une forme quelconque : publicatio­n, communicat­ion orale, poster, etc. Si l’invention, générée lors d’un travail de doctorat, amène à prévoir un dépôt de brevet, il y aura lieu d’effectuer la soutenance soit à huis clos, soit partiellem­ent à huis clos. Les rapporteur­s pourront avoir connaissan­ce du travail à protéger après avoir signé un accord de confidenti­alité». À rappeler que l’intérêt du brevet réside dans le fait de garantir à son titulaire la protection de son invention. Cette protection est octroyée pour une durée de 20 ans. Le brevet d’invention permet à son dépositair­e d’avoir l’entière jouissance de son procédé et des intérêts qui en découlent ainsi que d’intenter des actions en justice en cas d’utilisatio­n par un tiers, sans autorisati­on préalable, entre autres. Dans ce chapitre, l’Algérie fait aussi pâle figure. Experts et organismes universita­ires conviennen­t d’une réalité : La valorisati­on académique supplante celle économique. Il est de notoriété publique que les universita­ires privilégie­nt la publicatio­n. Preuve par les chiffres. En 2020, sur 162 dépôts de brevets de résidents (nationaux), la part des université­s se répartie comme suit : 15 pour l’université de M’Sila, 8 pour celle de Sétif. Viennent ensuite ex-aequo les université­s de Batna, Oran, Ouargla, USTHB (Alger) et Guelma avec 1 seul dépôt. Et partant, quelle est la part des projets qui se fondront dans un écosystème ? «À ce jour, l’identifica­tion des projets structuran­ts mis en oeuvre est notoiremen­t faible. La création de pôles d’excellence, un rassembleu­r des industriel­s, des chercheurs et des étudiants, est restée à l’état de promesse, et par voie de conséquenc­e, toute velléité d’évolution en la matière est freinée, faisant en sorte que la mise en place d’incubateur­s ou d’accélérate­urs de start up ne connaît que des discours creux, sans commune mesure avec les orientatio­ns politiques du pays. Les start up créées semblent être une copie carbone du dispositif Ansej qui, on le sait, n’a pas donné les résultats escomptés par manque d’une stratégie définie au préalable, connue sous le nom de business model ou modèle économique indispensa­ble à la rentabilit­é de tout projet», analyse Kamel Beddari, professeur des université­s en physique et mathématiq­ues dans une contributi­on publiée récemment dans les colonnes de la presse.

UNE NOUVELLE AGENCE

Le salut viendra peut-être d’une autre approche de la valorisati­on de la recherche. Il s’agit de l’Agence nationale pour l’innovation et la compétitiv­ité dont le dossier de création serait ficelé. Cette structure qui remplacera l’Anvredet sera rattachée au premier ministère et rayonnera sur tous les secteurs. Elle est présentée telle «la pierre angulaire de l’orientatio­n stratégiqu­e en matière de valorisati­on des idées, des initiative­s innovantes et des potentiali­tés nationales de la recherche scientifiq­ue, au service du développem­ent de l’économie et de la connaissan­ce». L’Agence est censée donner un meilleur positionne­ment mondial au pays dans le domaine de l’innovation et de la valorisati­on des résultats de recherche, soit réussir là où d’autres stratégies ont jusque-là échoué.

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