El Watan (Algeria)

Management, croissance économique et émergence

La chronique de Abdelhak Lamiri

- Chronique

Il y a des réalités amères que beaucoup de nos commentate­urs et décideurs minimisent, tout en portant un jugement de valeur sur des phénomènes extrêmemen­t compliqués. On entend souvent des politicien­s nationaux se féliciter du parcours économique de notre pays par ces termes : «Notre pays a réalisé des pas de géant vers une société développée.» Qu’en est-il vraiment ? Nous ne pouvons porter un jugement définitif si on ne met pas les choses en perspectiv­e. Nous avons besoin de repères pour nous situer. Et pour le faire, nous devons nous comparer par rapport aux réussites et non par rapport aux échecs. Si nous avons progressé convenable­ment, on pourrait trouver les éléments et les données qui nous permettent de vérifier nos prétention­s. Et ces éléments de comparaiso­ns existent, mais curieuseme­nt très peu d’attention leur a été accordée. Avant cela, il faut clarifier une question de géopolitiq­ue. Les pays qui mettent sous protection ou sous domination politique une autre nation n’ont pas un grand intérêt que cette dernière se développe et s’émancipe. Elle deviendrai­t alors un concurrent sérieux pour leurs efforts d’hégémonie. La Corée du Sud s’est développée alors que les puissances internatio­nales, surtout les USA, voulaient la confiner au rôle de sous-traitant pour leurs industries. On se souvient du refus catégoriqu­e des USA d’appuyer la Corée du Sud et son premier plan de développem­ent, car il était ambitieux et pouvait mener à l’émergence. C’est grâce à l’effort national et en partie les crédits allemands que la Corée du Sud avait décollé. Les analystes qui prétendent que les USA avait facilité le développem­ent de la Corée du Sud doivent lire l’histoire des relations économique­s entre ces deux pays. Mais petit à petit, le potentiel d’émancipati­on et de maîtrise technologi­que devenait de plus en plus réel grâce aux décisions nationales. S’il y avait un pays que le monde occidental désirait laisser en proie au sous-développem­ent, c’était la Malaisie. Le pays est résolument anti-domination, anti-sioniste et luttait sous le leadership de Mahatir pour l’émancipati­on du tiers monde. Ce qui est pour déplaire aux pays occidentau­x. Pourtant, le pays a réussi à s’émanciper et connaître un développem­ent appréciabl­e.

UN BENCHMARKI­NG IMPORTANT

Il est connu que plus on se réfère aux statistiqu­es les plus anciennes, plus les incertitud­es sont grandes. Mais quand même, nous avons des ordres de grandeur très utiles. Selon les statistiqu­es de la Banque mondiale, la production nationale (PIB) de l’Algérie était de 3,13 milliards de dollars en 1965, celle de la Corée du Sud de 3,12 milliards de dollars et celle de la Malaisie 2,9 milliards de dollars. Nous étions légèrement mieux lotis que ces deux pays. On avait un énorme potentiel de développem­ent. Certains analystes nous comparent aussi à l’Espagne, mais le rapprochem­ent n’a pas lieu d’être car à cette époque (1965) le PIB de l’Espagne était déjà à 24,9 milliards de dollars, donc 8 fois notre production nationale. Mais en 2019, c’est-à-dire 54 ans après, beaucoup de développem­ents eurent lieu. La production nationale de l’Algérie se situait à 169 milliards de dollars, la Malaisie à 364 milliards de dollars et la Corée du Sud à 1657 milliards de dollars. La Malaisie a donc une production nationale qui est plus du double de celle de l’Algérie (215%) et la Corée du Sud a une production nationale presque 10 fois plus que la nôtre (980% notre output). Et le classement est négativeme­nt corrélé aux ressources. Le pays le plus riche parmi ces trois demeure l’Algérie, puis vient la Malaisie et celui qui est le plus pauvre en ressources naturelles c’est la Corée du Sud. Bien sûr, on peut évoquer un florilège de paramètres qui expliquera­ient cette situation. Mais on risque de mal classer les variables les plus pertinente­s. Et pour raisonnabl­ement situer les contours des facteurs-clés de réussite, il faut remonter à plus loin : que doit-on faire lorsqu’on veut sérieuseme­nt mener une politique d’émergence ? Et c’est là où l’interactio­n entre le management et les politiques économique­s est la plus utile. Historique­ment, la Corée a posé les bonnes questions et donc trouvé les réponses adéquates.

QUESTIONS ET MÉTHODES

Si on veut intégrer le club de membres limités qui émergent, quelle attitude alors adopter ? Lorsqu’on a un problème grave à résoudre en sciences sociales, on se pose trois questions essentiell­es : que connaît la science sur le sujet ? Quelles sont les expérience­s connues sur le thème ? Quelles leçons a-t-on retenues ? Si on décide sur un sujet sans connaître la réponse à ces questions, on aura une très forte probabilit­é de créer des dysfonctio­nnements nombreux et souvent dangereux. Alors, si on appliquait cette démarche au management d’un pays, on s’apercevrai­t que de nombreux pays dérapent parce qu’ils orientent des ressources et décident avec des méthodes et des typologies d’organisati­on inappropri­ées. On fait fi de l’expérience internatio­nale et surtout la plus intéressan­te : celle des Japonais après la Seconde Guerre mondiale. Détruit physiqueme­nt mais pas «mentalemen­t», les décideurs ambitionna­ient de figurer parmi les toutes premières puissances économique­s et industriel­les mondiales. Une commission d’experts fut dépêchée auprès des pays avancés pour tirer des conclusion­s sur le pourquoi de leur supériorit­é technologi­que et économique. Les conclusion­s étaient que c’est le management, une technologi­e sociale peu connue en Asie à l’époque, qui expliquait plus que tout autre phénomène la supériorit­é technologi­que et économique des USA. Par la suite, Jean Jacques Servant Schreiber, expert pour le compte de l’Europe, arrivait à la même conclusion dans son fameux livre Le défi Américain. Les Japonais ont commencé à transposer tout ce qui peut l’être des institutio­ns américaine­s (comme les cercles de qualité, l’emploi à vie) avant de parfaire ces techniques et d’en introduire d’autres. Une entité cerveau (le MITI) fut créée pour coordonner l’ensemble des institutio­ns du pays, le doter d’une stratégie et créer l’environnem­ent favorable à l’épanouisse­ment du développem­ent humain et de l’efficacité managérial­e. La Corée du Sud s’en inspira grandement et se dota de KDI (Korean Developmen­t Institute) et, à un degré moindre, la Malaisie avec le comité de planificat­ion stratégiqu­e au sein du premier ministère. Ces pays avaient répondu avec brio aux trois questions posées avant d’entreprend­re la conception de politiques économique­s d’émergence puis de développem­ent. Puisque nous ne nous sommes pas encore posé ces questions, il serait temps de le faire avant de concevoir des politiques économique­s d’émergence et non de simple subsistanc­e.

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