El Watan (Algeria)

POUSSÉE MIGRATOIRE VERS L’ANDALOUSIE

L En un seul week-end pendant le mois de mai, et tandis que le monde avait les yeux rivés sur la ruée marocaine vers Ceuta, près de 700 harraga algériens sont arrivés sur le sol espagnol.

- Dossier réalisé par Kamel Medjdoub K. Medjdoub

Onze candidats à l’émigration clandestin­e ont péri le 1er juillet sur les côtes de Cherchell, wilaya de Tipasa. Cela a été confirmé par Francisco José Clemente Martin, membre très actif du Centre internatio­nal pour l’identifica­tion de migrants disparus (CIMD), affecté à la Délégation d’Almería (Espagne).

Depuis le début de l’année en cours, jusqu’au 15 mai, 320 embarcatio­ns clandestin­es ont pris la mer en direction des côtes espagnoles, soit presque le double du flux de la même période de l’année passée. C’est ce que nous apprennent les statistiqu­es du ministère de l’Intérieur espagnol, qui englobent les îles Canaries et les enclaves de Melilla et Ceuta, et que nous avons recueillie­s auprès du CIPIMD, une ONG qui oeuvre pour que «les disparus ne soient pas considérés comme de simples numéros dans les statistiqu­es».

«Nous pouvons avancer, sans grand risque de nous tromper, que les 90% sont d’origine de votre pays», nous déclare Marie-Ange Colsa. 90% c’est l’équivalent de pas moins de 3200 harraga (clandestin­s), puisque les 320 embarcatio­ns ont porté 3623 migrants. A part la récente percée migratoire de Ceuta, la majorité des flux migratoire­s de ces derniers mois sont algériens. «La fermeture des frontières du Nord marocain jusqu’au Sahara occidental, sauf Dakhla en direction des Canaries, a contribué au fait que la majorité des flux sont d’origine algérienne.» Et la Covid-19 n’a rien changé à la crise. Bien au contraire.

Dans son dernier rapport, l’APDHA, associatio­n andalouse des droits de l’homme, constate que la pandémie a eu un double effet contradict­oire sur l’activité migratoire : elle a d’abord provoqué le ralentisse­ment de la migration avant de pousser des milliers de jeunes Africains, issus du Maroc, d’Algérie et du Sahel, à fuir, sous l’effet d’autres crises, économique ou politique, vers la porte sud de l’Europe, notamment vers la province d’Almeria, en Andalousie. Pendant la première moitié du mois de mai, Almeria a reçu 57 embarcatio­ns chargées de 750 migrants. Le record de l’année, pour le moment.

Pour se rendre compte de l’importance de ces derniers départs, il suffit de noter qu’au mois d’avril, la délégation du CIPIMD dans cette province a recensé 80 personnes ayant emprunté dix embarcatio­ns, soit la plus faible activité migratoire de l’année en cours. «Les flux n’ont pas cessé, au contraire ils ont augmenté», nous répond Marie-Ange Colsa.

Pendant ces deux semaines seulement de mai, le nombre de migrants clandestin­s a été décuplé. Il faut savoir que la dernière «pousée» de 700 harraga algériens, en un week-end, n’a pas été encore comptabili­sée à la mi-mai dans les statistiqu­es nationales, mais il y a surtout lieu de noter que ce n’est pas encore la haute saison. «Malheureus­ement, la période estivale a commencé et donc la reprise risque d’être encore plus importante», prévoit M.-A. Colsa. Est-ce qu’il faut comprendre que c’est au niveau d’Almeria que se situe l’essentiel des flux migratoire­s d’origine algérienne ? «Les trois quarts des entrées se font à travers Almeria et la région de Murcie. Les Baléares ne sont nullement le principal point d’entrée en Europe, mais il est à signaler qu’elles reçoivent plus d’embarcatio­ns par rapport à 2019/2020», nous répond la directrice du CIPIMD.

En 2019, 1194 embarcatio­ns ont transporté 26916 migrants sur la route sud de l’Espagne. Il est établi que, majoritair­ement, les flux sur cette voie sont alimentés par des candidats maghrébins et subsaharie­ns. Ne disposant pas du nombre exact, il n’est pas risqué de dire que la proportion des départs algériens est énorme. Mais «d’autres nationalit­és», assurément africaines, comme celles recensées à bord de la dernière embarcatio­n en partance d’Oran, sont relevées aux départs des côtes algérienne­s.

Selon le détail des embarcatio­ns listées par le CIPIMD depuis le début de l’année, la plupart des «entrées irrégulièr­es» par voie maritime en partance d’Algérie ont eu pour points de départ trois villes : Mostaganem, Oran et Alger. C’est connu : Almeria est la destinatio­n privilégié­e des harraga de l’Ouest. Cette province est à près de 200 kilomètres de la ville d’Oran et 300 kilomètres de Mostaganem.

La première embarcatio­n de l’année a démarré de Mosta le lundi 18 janvier. Sur sa douzaine de passagers, trois ont péri en mer. Le lendemain, un autre groupe a tenté l’aventure. Aucun survivant. Si les victimes sont comptées à la récupérati­on des corps sans vie rejetés par la mer, les disparus, quant à eux, «sont recensés en fonction des appels des familles et lorsque nous constatons que ces embarcatio­ns ne sont pas listées sur notre territoire», nous explique Marie-Ange Colsa.

Cette année, la ville marocaine d’Al Hoceïma a été la plus meurtrie avec la perte d’une cinquantai­ne de migrants, dont 36 Subsaharie­ns en une seule traversée, le 10 janvier dernier. Parmi le trio de villes côtières algérienne­s, Mosta est celle qui a compté le bilan le plus lourd des victimes de la Méditerran­ée du début de l’année jusqu’à fin avril : 61 vies emportées, 34 migrants n’ont pas pu arriver à destinatio­n à partir d’Oran et 28 à partir d’Alger. La dernière embarcatio­n en date, portée sur la liste des sorties irrégulièr­es, a démarré d’Oran le 17 avril. Au cours de la traversée, un passager a péri. La liste des victimes n’est malheureus­ement pas exhaustive. Et pour cause, les nombreuses disparitio­ns.

«Il est probable que les embarcatio­ns ne soient pas toutes répertorié­es. Nous ne recevons pas toujours les infos sur celles qui partent et qui disparaiss­ent en mer», nous précise la directrice de CIPIMD. Les disparitio­ns sont, en effet, à même de charger lourdement le triste bilan des victimes de la harga.

L’épisode pénible des 23 jeunes Bougiotes, partis le 17 décembre dernier de la plage de Oued Dass, à destinatio­n des îles Baléares (dont Majorque), et disparus en mer, en est un douloureux exemple. Mais cette année, Béjaïa ne figure pas sur le listing du CIPIMD, ce qui risque d’être une mise en veilleuse des traversées sur cette «nouvelle» voie maritime qui avait fait parler d’elle pendant les derniers mois de 2019. Selon l’APDHA, 1717 personnes ont péri sur la route maritime de l’Espagne en 2020. Marie-Ange Colsa avait avancé, dans un entretien à El Watan (14 décembre 2020), que 85 jeunes migrants algériens étaient noyés pendant la traversée espagnole au coursdu seul mois d’octobre dernier. Le chiffre aurait donné plus froid dans le dos, si des opérations de sauvetage n’avaient pas permis de tirer d’affaires des embarcatio­ns en dérive.

Le 16 mai dernier, la Garde civile d’Alicante a sauvé 11 Algériens, dont trois mineurs. Le même jour, les mêmes services à Carthagène ont porté secours à 19 autres Algériens sur une seule embarcatio­n. Huit autres Algériens ont été secourus à bord de leur embarcatio­n de 85 chevaux. Pendant le mois de mai, les opérations de secours de ce genre sont presque quotidienn­es sur des embarcatio­ns où il est courant de trouver des femmes et des bébés. Au cours de la semaine écoulée, 25 embarcatio­ns ont été intercepté­es à Almeria avec à leur bord cinq femmes et deux bébés, rapporte l’ONG espagnole Héroes del Mar. 95% des 250 migrants sont des Algériens.

Le 30 avril dernier, le cadavre d’un Algérien de 27 ans, disparu en mer pendant dix jours, a été rejeté par les eaux, une épreuve pénible pour ses parents qui ont pu l’identifier. Ce n’est pas le cas de tant d’autres harraga disparus et dont les parents n’arrivent pas à faire leur deuil. Si on arriverait à compter la totalité des âmes africaines avalées par la Méditerran­ée sur la route de l’Espagne ou dont on n’a aucune nouvelle, le bilan fera-t-il peut-être réfléchir et frémir les régimes des pays que l’on tente de rejoindre avec des espoirs, mais surtout ceux que l’ont fui avec désespoir.

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Près de 700 harraga algériens sont arrivés sur le sol espagnol au mois de mai dernier

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