El Watan (Algeria)

L’accueil des migrants malgré le marasme économique

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Au premier rang d’une petite salle de classe, trois femmes de nationalit­és différente­s, assises à leurs pupitres, apprennent le français malgré la chaleur écrasante : à Médenine, dans le sud de la Tunisie, des associatio­ns s’efforcent d’intégrer les migrants. La Tunisie, en grande souffrance économique, peine à répondre aux attentes sociales de sa propre population, mais des associatio­ns et ONG parviennen­t à offrir quelques services aux migrants dans le besoin. Depuis 2011, le nombre d’étrangers venus d’Afrique subsaharie­nne a beaucoup augmenté dans le sud de la Tunisie, frontalier de la Libye : des travailleu­rs chassés par le conflit libyen, des immigrés en quête d’opportunit­és économique­s ou encore des candidats à l’exil. Rien que ces six derniers mois, plus de 1000 personnes parties de Libye vers l’Europe par la mer, secourus par des bateaux tunisiens, ont fini leur course en Tunisie, un chiffre en très nette augmentati­on, selon l’Organisati­on internatio­nale des migrations (OIM). «On sentait que ça n’allait pas, on voyait les migrants dans la rue en train de quémander», explique Abdallah Saïd, un Tunisien d’origine tchadienne habitant à Médenine. ÉCHANGES Deux foyers gérés par des agences de l’ONU y ont été installés entre 2014 et 2015, mais sont saturés. Face à cette situation, huit associatio­ns dans le secteur médical ont créé ensemble en 2020 une organisati­on d’aide aux migrants. Désormais, dans la Maison des associatio­ns, des migrants, pour la plupart des femmes, mais aussi des Tunisiens se retrouvent pour suivre des formations ou même faire la fête. Dans la petite salle de classe où se déroule le cours de français, un échange s’opère entre les compétence­s de chacune. La Tunisienne Fatma, qui suit le cours avec des Africaines de l’Ouest, souhaite apprendre à parler le français pour rejoindre son frère en France: «Je leur apprends l’arabe et elles nous apprennent le français», confie-t-elle. L’Ivoirienne Awa, elle, parle bien français, mais voudrait apprendre à le lire et l’écrire. «Je n’ai jamais été à l’école», lâche-t-elle, son bébé sur les genoux. «Si tu ne sais pas lire, pas écrire, c’est comme si tu étais dans le noir, tu ne peux rien faire», explique-t-elle. La jeune femme, bannie par sa famille pour avoir refusé un mariage, s’est rendue en Libye dans l’espoir de rejoindre l’Europe, mais elle a été arrêtée avant même de prendre la mer. «J’étais enceinte, j’étais à terme, on m’a dit que ce payslà (NDLR la Tunisie) était un pays d’accueil parce qu’ils ne sont pas en guerre», indique Awa. «On m’a accueillie (...) on s’est occupé de mon enfant, je suis très contente.» Désormais, la trentenair­e aimerait rester dans le pays, si la Tunisie l’autorise. Le pays tolère les étrangers en situation irrégulièr­e, mais il est très difficile pour un étranger africain d’obtenir des papiers. A la Maison des associatio­ns, «on les informe» et «on leur laisse le temps de réfléchir sur ce qu’ils ont envie de faire», explique M. Saïd. «C’est pour ça qu’ils se sentent à l’aise.» «IL Y A LA PAIX» On vient apprendre, mais aussi se reposer, discuter. En juin, l’associatio­n a organisé des circoncisi­ons pour les enfants. «Ici, on oublie un peu nos problèmes», glisse Awa. A l’étage, le bruit des machines à coudre se mêle au chant des cigales et aux gazouillis d’un bébé. Au mur, des robes colorées et fleuries créées par les élèves. Bintou, une Ivoirienne, a retrouvé confiance en elle grâce à des cours de couture. «Je me suis déjà cousu de belles robes, c’est un métier qui me passionne, ça m’inspire. Déjà en Côte d’Ivoire, je voulais faire de la couture», raconte-t-elle. Comme Awa, Bintou, arrivée en juillet 2020, est tentée de rester en Tunisie «car il y a la paix» mais le harcèlemen­t de rue et le racisme qu’elle perçoit la découragen­t. La municipali­té de Médenine fournit les locaux pour la Maison des associatio­ns mais la région, très marginalis­ée, avec un chômage qui atteint 19,9%, ne peut pas faire plus, explique le maire, Moncef Ben Yemma. «Je n’ai même pas les moyens de construire des routes», déplore-t-il. De son côté, le gouverneme­nt ne souhaite pas favoriser l’accueil de ces étrangers. En mai, le Premier ministre, Hichem Mechichi, avait martelé que «la Tunisie ne sera pas une terre d’asile», rejetant la création de centres d’hébergemen­t pour les migrants irrégulier­s en transit, comme réclamé par l’Union européenne.

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Des enfants originaire­s d’Afrique subsaharie­nne apprennent le français dans un centre géré par des ONG qui viennent en aide aux migrants à Médenine, dans le sud de la Tunisie

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