Les volontaires aux pieds nus
C’est connu, à chaque fois que survient un danger quelconque, les jeunes Algériens accourent et prêtent main-forte. Cela va de la personne âgée qu’il faut aider à traverser la route à la mobilisation contre un important sinistre. S’il fallait une autre preuve de leur extraordinaire dévouement et courage, c’est le coup de main donné, ces derniers jours, par des dizaines de jeunes venus de plusieurs wilayas environnantes, aux pompiers mobilisés pour lutter contre les feux de forêt à Khenchela. C’est aussi pour leur dire merci qu’éclata un soudain orage salvateur et, indéniablement, on les verra encore, cet été, plus nombreux et tout aussi motivés, à faire front contre les incendies qui ne manqueront pas, hélas, de survenir, çà et là, dans le pays. Les volontaires aux pieds nus ne sont pas une spécificité algérienne, loin de là, mais chez nous, ils sont une autre preuve que dans les familles, on arrive encore à inculquer de fortes valeurs aux enfants en dépit de tous les aléas de la vie : c’est là l’aspect le plus remarquable de la résilience algérienne, dont le point d’orgue fut le déferlement de millions de jeunes dans les rues de tout le pays, à partir du 22 février 2019, réclamant un avenir meilleur. Par la force de leurs slogans et leur pacifisme, ils ont étonné et bouleversé le monde entier, qui avait une autre idée de la société algérienne, soumise, résignée et sans consistance, bien qu’il y eut, par le passé, d’autres occasions prouvant le contraire, la révolte du 5 Octobre 1988, la résistance populaire durant la décennie 1990 contre le terrorisme, les combats identitaires, pour ne citer que les plus spectaculaires. La résilience de la société a revêtu mille facettes, toujours portée par la jeunesse mais jamais comprise par les élites politiques qui ne lui opposeront, généralement, qu’impuissance, mépris et violence. Dans l’inconscient collectif, se sont incrustés, à tout jamais, de lourds traumatismes : comme l’assassinat de dizaines de jeunes au début des années 2000, fauchés par les balles assassines des autorités, alors qu’ils ne revendiquaient que le respect de leur culture et de leur langue. Comme aussi la perte cruelle en mer, toujours recommencée, de jeunes en quête d’un avenir meilleur hors de leur pays. Et comme enfin le rejet de millions d’entre eux par le système scolaire, une proie facile pour le secteur informel, qui y trouve là l’aubaine d’une main-d’oeuvre abondante, exploitable à merci. Et comment ne pas inscrire, dans la palette des chocs, le passage par la justice et la prison de nombre de hirakistes dont le combat est pourtant libérateur. Il s’agissait pour eux, et pour les autres, de construire sur les décombres de l’ancien système, qui a gangrené et ruiné l’Algérie, un nouvel ordre politique qui s’ancre dans la démocratie moderne. Cela devra être compris par les autorités politiques en place qui s’apprêtent à élaborer de nouveaux programmes politiques, économiques et sociaux. Si elles ne le font pas, elles se couperont davantage de la société qui leur lance régulièrement des signaux d’alerte, notamment à la faveur des rendez-vous électoraux. Volontaires aux pieds nus, marcheurs ou lanceurs d’alerte pour les libertés, quelle que soit leur forme d’implication, nos jeunes sont à l’avant-garde : amoureux de leur pays, ils méritent d’être écoutés et compris par leurs aînés et surtout les gouvernants. Ceux qui avaient investi les maquis pour chasser l’occupant colonial français n’avaient que 20 ans…