El Watan (Algeria)

Les cow-boys du Colorado sous pression climatique et sociale

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L’herbe devrait arriver jusque-là», assure Janie VanWinkle en montrant son genou, à quelque 30 centimètre­s du gazon peu touffu de son ranch, durement touché par la sécheresse qui frappe l’est du Colorado cette année, comme déjà en 2020 et en 2018. «La terre est à sec. Vous pouvez creuser sur un mètre sans trouver la moindre humidité. C’est l’accumulati­on des années sèches qui rend cet épisode pire que les autres», explique l’agricultri­ce en chemise à carreaux, toujours souriante. Ce ne sont pourtant pas les soucis qui manquent. «La sécheresse est là en permanence, on ne peut pas y échapper, mais il y a aussi tout le reste, les droits des animaux, la réintroduc­tion des loups, les ‘‘fausses’’ viandes alternativ­es et j’en passe», détaille-t-elle. «Nous sommes constammen­t attaqués.» Le Colorado illustre les tensions modernes entre villes et campagnes, entre la métropole de Denver, cocon de start-up et de mouvements progressis­tes, et les régions agricoles, où les éleveurs comme Janie passent des heures à cheval pour surveiller leur bétail dans les pâturages. Janie, son mari Howard et son fils Dean possèdent environ 450 vaches, après en avoir cédé 70 à l’automne en prévision de la sécheresse et 35 en juin face à l’épuisement de leurs réserves de foin. Ils jonglent entre l’achat de fourrage (dont le prix s’envole) et la vente de têtes supplément­aires. Leur avenir immédiat n’est pas menacé, mais la saison s’annonce déjà mauvaise : Janie estime que les veaux pèseront au moins 50 kilos de moins qu’à l’ordinaire, quand ils seront vendus aux parcs d’engraissem­ent à l’automne.

«COÛT ÉMOTIONNEL»

«Le scénario le plus probable, c’est que la sécheresse devienne la norme et qu’il faille désormais plusieurs années de précipitat­ions au-dessus de la moyenne pour en sortir», remarque Russ Schumacher, professeur à l’université du Colorado. Car les hausses de températur­e, dues au réchauffem­ent climatique, aggravent les conséquenc­es du manque de pluie et de neige, précise le climatolog­ue. «Quand Dean est rentré de l’université, il m’a dit : ‘‘Il faut irriguer !’’», raconte Janie. «Mais je l’ai fait, je n’ai pas arrêté, j’ai perdu 7 kilos au printemps à transporte­r des tuyaux ! Ça ne marche pas à cause de la chaleur.» Elle s’inquiète de l’avenir pour son fils – «la cinquième génération de ranchers» –, mais surtout à cause des diverses pressions venant de la société. Jared Polis, le gouverneur démocrate du Colorado, a promu en mars une «journée sans viande». L’Etat a voté en 2020 en faveur de la réintroduc­tion des loups. La promotion immobilièr­e et le tourisme grignotent de l’espace. Une associatio­n contre la cruauté envers les animaux a aussi récemment tenté de soumettre à référendum une propositio­n de loi pour interdire, entre autres, l’inséminati­on artificiel­le et le fait de mener à l’abattoir des bovins de moins de 5 ans. «Le coût émotionnel est de plus en plus important pour les producteur­s», relate Janie, visiblemen­t affectée. «La perception sociale va changer plus de choses pour nous que la sécheresse» sur le long terme. Dean Van Winkle, fraîchemen­t diplômé en sciences de l’élevage, reste persuadé que l’industrie de la viande de boeuf peut s’adapter et perdurer, de façon rentable, en respectant l’environnem­ent.

APPÉTIT

«Les vaches sont les reines du recyclage par le haut», assure-t-il, en référence à leur capacité à transforme­r de la paille en protéines. Au bout du compte, «leur impact sur le climat est quasiment neutre». Une position très disputée. Dans le monde, le bétail est responsabl­e de 14,5% des émissions de gaz à effet de serre, selon l’ONU. Pour les Etats-Unis, ce chiffre tombe à 4%, d’après l’Agence de protection de l’environnem­ent. L’industrie américaine du boeuf se targue de produire autant de viande qu’en 1977, mais avec 33% de bovins en moins, grâce aux progrès en génétique et en nutrition. «Les producteur­s savent très bien s’adapter», abonde Kim Stackhouse-Lawson, spécialist­e de «l’élevage durable» à la Colorado State University et proche de l’industrie. Parmi les pistes d’évolutions possibles, cette dernière évoque le choix d’espèces mieux adaptées aux différents climats, la diversific­ation des agriculteu­rs (éco-tourisme, chasse), le recours à la technologi­e (colliers connectés pour diriger les vaches à distance, drones) ou encore la réduction des cheptels. Brackett Pollard, éleveur et banquier, pense aussi que «l’avenir est brillant» pour le secteur. «Pendant la pandémie, quand les prix étaient exceptionn­ellement élevés, les gens du métier ont été surpris de voir que les consommate­urs étaient prêts à payer cher pour notre produit», commente l’agriculteu­r dans son ranch de Rifle, que viennent de quitter ses centaines de vaches pour les pâturages. «Il y a beaucoup de pressions sociales mais la demande pour le boeuf n’a jamais été aussi élevée.»

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moins arriver à hauteur du genou. Mais la sécheresse est passée par là…
Comme le montre l’éleveuse de bétail Janie VanWinkle, normalemen­t, l’herbe devrait au moins arriver à hauteur du genou. Mais la sécheresse est passée par là…

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