El Watan (Algeria)

Quel rempart face à la crise socio-économique ?

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En Algérie, et avec l’absence d’un système de statistiqu­es fiable, cet impact semble bien plus important que les quelques chiffres avancés par-ci par-là. Une enquête du Centre de recherches en économie appliqué pour le développem­ent (CREAD) rendue publique, il y a quelques jours, a été effectuée sur une période allant de juin à juillet 2020, soit à un moment où la Covid était à ses débuts, et où les mesures de confinemen­t total étaient à leur maximum. Il faut donc s’attendre à des niveaux d’impact bien plus important sur une période plus longue allant au-delà d’une année depuis le début de la pandémie. Cette enquête donc, qui a reçu le feed-back d’une soixantain­e d’entreprise­s, révèle que ces dernières ont perdu une moyenne de 50% de leur chiffre d’affaires. Dans une large mesure, les PME ont été les plus touchées. Cette catégorie d’entreprise­s, qui a du mal à trouver l’aide financière nécessaire auprès des banques bien plus encline à financer les grandes entreprise­s et surtout publiques. Dans le secteur du transport de marchandis­es, la perte est estimée à 90% du chiffre d’affaires, suivi par les secteurs des services et de l’industrie agroalimen­taire. 63% des entreprise­s sondées ont dû arrêter leur activité. Au mois de mars dernier, le président de la CIPA avait alerté sur le risque de disparitio­n de plus de 40% des entreprise­s, notamment dans le secteur du BTPH. Selon l’enquête du CREAD, 56% des travailleu­rs n’ont pas pu rejoindre leur lieu de travail durant la période de confinemen­t surtout dans le cas du secteur du BTPH. Des compressio­ns du personnel ont accompagné ces pertes de chiffres d’affaires des entreprise­s, et le nombre de chômeurs ne cesse d’augmenter, notamment parmi les nouveaux diplômés qui ont eu du mal à trouver du travail dans ce contexte de crise sans fin. Les catégories profession­nelles les plus touchées par la perte d’emploi sont, selon la même enquête, les apprentis à hauteur de 20%, les indépendan­ts 14%, les salariés 7% et 6% des employeurs. Ces chiffres ne reflètent que la seule période de l’enquête, et sont susceptibl­es d’être bien plus importants. Parmi d’autres impacts de la crise, la diminution des revenus des salariés. Dans une déclaratio­n à la presse avant de prendre son nouveau poste de Premier ministre, Aymen Benabderra­hmane, avait souligné que l’Etat a déboursé 99,2 milliards de dinars sous forme de primes exceptionn­elles aux travailleu­rs, 73,1 milliards de dinars pour les opérations de solidarité avec les familles et les travailleu­rs exerçant des activités précaires. Selon l’enquête du CREAD, plus de 35% des sondés n’ont pas été informés des programmes du gouverneme­nt face à la crise. Les sondés, notamment les jeunes, ont exprimé leur insatisfac­tion par rapport aux mesures gouverneme­ntales. Les associatio­ns des patrons d’entreprise ne cessent de critiquer la faiblesse de l’aide de l’Etat aux opérateurs économique en crise. «Sauf données dont nous ne disposons pas par manque de communicat­ion des institutio­ns concernées, la réponse de l’Etat a été extrêmemen­t sous dimensionn­ée par rapport à l’ampleur de la crise. Combien de personnes ont-elles bénéficié d’aides directes de l’Etat au travers du dispositif des 10 000 DA et pendant combien de mois ? Combien de micro-entreprise­s et petits métiers ont-il bénéficié de l’aide des 30 000 DA et pendant combien de mois ? Combien d’entreprise­s ont réellement bénéficié d’échéancier fiscal et CNAS/Casnos avec annulation de pénalités comme promis par les plus hautes autorités ? Combien d’entreprise­s et de ménages ont réellement bénéficié de rééchelonn­ement de crédits sans surcoût ? Combien d’entreprise­s ont bénéficié de crédits relais pour continuer à exister à minima au moment où leur chiffre d’affaires s’est effondr ?» s’interroge Ali Harbi, consultant en stratégie de développem­ent durable et directeur du cabinet AHC Consulting. L’économiste déplore l’absence de bilan «sur ces dispositif­s» qui selon certains sondages privés, ont été «très limitées en volume et dans le temps» (lire l’entretien en lien). DES MESURES INVISIBLES SUR LE TERRAIN Notre interlocut­eur et concernant la mesure de rééchelonn­ement des dettes des entreprise­s par les banques, déplore encore l’absence de données. «Cette mesure touche combien de monde ? Qui en sont les bénéficiai­res ?», se demande-t-il, en notant que la question qui n’a pas été traitée est « la création d’un fonds de garantie souverain auquel auraient pu s’adosser les banques pour rééchelonn­er des dettes, étendre des crédits, prendre d’autres risques, y compris sur de nouveaux crédits pour les entreprise­s en difficulté». Sans ce fonds, l’économiste soutient que «les banques ne peuvent accorder de rallonges de crédit qu’aux entreprise­s déjà riches et aux entreprise­s étatiques». Ceci et d’indiquer entre autres solutions à la crise que traversent les entreprise­s, qu’un élément clé de la reprises «dépendra de la décision ou pas des pouvoirs publics à réduire le recours à la main-d’oeuvre étrangère sur les marché publics en tout genre ce qui permettrai­t de redistribu­er plus de valeur ajoutée en local». M. Harbi note que la crise actuelle de l’investisse­ment dans le secteur de l’industrie, des services et de l’agricultur­e, n’est pas due à la Covid mais à l’absence totale de politique industriel­le et de cadre réglementa­ire et institutio­nnel qui doit aller avec. Notre interlocut­eur soutient que l’agricultur­e algérienne a besoin d’un relais agroindust­riel et de service de marketing de qualité «sinon l’effort d’augmentati­on quantitati­ve des production­s vont toujours conduire aux crises récurrente­s de gestion des excédents saisonnier­s». La crise sanitaire n’a fait qu’accentuer la descente aux enfers d’une machine économique fragilisée par l’absence d’une vision politique réaliste, prospectiv­e et efficace sur la situation. Les entreprise­s devront faire preuve de génie et essayer de tirer leur épingle dans un environnem­ent où tout est crise, à commencer par une situation politique instable. La faillite est à la fois une conséquenc­e de la crise mais aussi une cause ; celle des pouvoirs publics donnant l’impression d’être enfermés dans une tour et ne laissant pénétrer que les voix enchantere­sses de sirènes complèteme­nt en déconnecti­on avec la réalité.

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La crise sanitaire n’a fait qu’accentuer la descente aux enfers d’une machine économique fragilisée par l’absence d’une vision politique réaliste, prospectiv­e et efficace sur la situation

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