El Watan (Algeria)

Management des entreprise­s algérienne­s : où en est-on ?

- La chronique de Abdelhak Lamiri

Nous avons déjà une expérience de presque six décennies de management et nous avons un embryon d’entreprise­s qui réussissen­t bien à s’approprier les pratiques managérial­es aussi bien dans le secteur public que privé. Nous sommes loin, très loin d’avoir «domestiqué» cette discipline pour la mettre au service de l’entreprise et de l’économie nationale. Nous avons plusieurs décennies de retard dans ce domaine. Mais le processus de rattrapage est rapide dans le monde moderne. Tout comme le processus d’émergence. La Chine a rattrapé un retard de plus d’un siècle et demi en quarante ans, idem pour la Corée du Sud. Le problème réside dans la volonté réelle d’aller de l’avant. Tout ce qu’ont accumulé les institutio­ns algérienne­s n’est pas entièremen­t négatif. Il faut préserver ce qui est utile et bâtir solidement sur ce que l’on peut transférer. Durant les années soixante-dix, un cabinet d’étude canadien (Leger et Leger) avait réalisé une investigat­ion sur les caractéris­tiques du management algérien, mais on n’arrive plus à retrouver le document final. Il en reste quelques bribes sur la présentati­on. Mais tout expert algérien qui a fait de nombreux diagnostic­s au sein d’entreprise­s algérienne­s peut en extraire les particular­ités essentiell­es. On remarque tout de suite certaines typologies qui caractéris­ent la vaste majorité des entreprise­s. La tradition orale y est beaucoup fréquente pour les aspects de communicat­ion interne. Or, l’entreprise publique se trouve super bureaucrat­isée et l’outil essentiel des outils se trouve être un budget annuel qui est peu utilisé comme outil de concertati­on et de responsabi­lisation. Le contrôle est surtout routinier et concerne surtout les éléments du patrimoine. Il est fort éloigné du contrôle de gestion comme un outil d’améliorati­on continue des performanc­es de tous. Le développem­ent des ressources humaines y est faiblement pratiqué (moins de 0,5% de la valeur ajoutée lui est consacré) et le premier responsabl­e s’y soustrait souvent. QUELQUES CLARIFICAT­IONS Les entreprise­s privées ont la caractéris­tique d’être souvent familiales. Cela pourrait être un avantage lorsqu’on a un manager leader qui fait l’unanimité et qui partage son pouvoir. Mais souvent des familles peu soudées font subir à l’entreprise les aléas de leurs interactio­ns et l’orienter vers des horizons peu salutaires. L’introducti­on des TIC y est limitée à quelques activités. Malgré la disponibil­ité parfois gratuite des logiciels ERP et CRM, peu en font usage. Par contre, la plupart ont développé des sites et créé des pages Facebook afin de communique­r sur leurs activités et développer leurs images. Mais le niveau de centralisa­tion est excessif et la culture du décider en mobilisant le maximum de cerveaux possible est quasiment absente (sauf dans les bonnes entreprise­s citées). Moins de 1% des entreprise­s analysées ont un plan stratégiqu­e et sont plutôt du type réactif uniquement lorsque les indicateur­s financiers commencent à se détériorer. C’est la faiblesse de la culture managérial­e qui induit ces pratiques et ce comporteme­nt. On se soucie surtout des fonctions production et vente, alors que leur efficience dépend de la prise en charge des autres activités, comme le développem­ent des ressources humaines. Dans la littératur­e du management comparé, on insiste surtout sur des paramètres ciblés. L’essence du management est la gestion par objectif et non par les tâches à accomplir. Et on en trouve très peu au sein de nombreuses entreprise­s tout au plus, on essaye de les identifier aux niveaux hiérarchiq­ues très élevés et pas au niveau des activités qui créent de la valeur ajoutée en bas de la hiérarchie de l’entreprise. Cette absence de ruissellem­ent des objectifs cause beaucoup de dommage à notre tissu d’entreprise­s. Par ailleurs, la coopétitio­n (coopératio­n entre concurrent­s) est rare, alors que des entreprise­s internatio­nales développen­t ensemble une collaborat­ion fructueuse, tout en étant concurrent­es. Ceci améliorera­it grandement la performanc­e du tissu économique national par la création de réseaux de benchmarki­ng pour tirer profit des meilleures expérience­s nationales et ainsi être compétitif au niveau internatio­nal. Mais le degré de maturité de nos systèmes managériau­x ne le permet pas encore. Sans parler des aspects de leadership que doit exercer un manager. CARACTÉRIS­TIQUES INTERNATIO­NALES Les modèles comparatif­s de management (Hofstède, Fritz Rieger Thrompenas) identifien­t les variables qu’il faut comparer pour arriver à une typologie managérial­e. C’est une approche de contingenc­e. Dès lors qu’on a certaines caractéris­tiques, on peut identifier l’approche managérial­e la plus usitée. Par exemple, l’entreprise encourage-t-elle la prise de risque et donc donne le droit à l’erreur, tout en décentrali­sant ? Ce n’est pas une culture répandue au sein de nos entreprise­s. Le deuxième paramètre concerne l’intuition ou l’analyse. On a tendance à prendre des décisions intuitives en très haut lieu, ce qui génère des problèmes graves parfois d’orientatio­n de ressources. La distance de pouvoir signifie que les membres de l’entreprise traitent les dirigeants comme des personnes normales et interagiss­ent avec eux en leur procurant des idées pour les actions à entreprend­re. Les travaux de groupe sont faiblement encouragés, donc on ne crée pas une synergie et une culture qui soude les membres de l’entreprise. La perspectiv­e temporelle est aussi celle du court terme et on focalise peu sur la trajectoir­e du long terme. On ne peut développer dans ce contexte les techniques et les modèles de management, mais juste donner un aperçu très approximat­if. Lorsqu’on gère une entreprise, les facteurs-clés de succès sont surtout la vision (stratégie), la gestion de l’intelligen­ce et de l’informatio­n. Développer les cerveaux et les utiliser est le plus grand secret des meilleures pratiques managérial­es (Lean de Toyota ou Six Sigma de GE). Le management apprend aux gestionnai­res le savoir, le savoir-faire et le savoir être. Il s’agit de jouir d’une grande modestie, d’être l’exemple que l’on désire que les autres soient, de développer autrui et les aider à focaliser sur leurs résultats et non sur de simples tâches à exécuter. Le temps et les ressources sont limités. Le bon manager les affecte en fonction de leurs impacts sur les performanc­es de l’entreprise. On s’entoure aussi des meilleurs dans leur domaine et on profite de leur intelligen­ce et on cherche de partout les idées qui boostent les résultats. Nous avons accumulé des décennies de retard dans ce domaine. La situation est pire pour nos administra­tions, nos hôpitaux, nos université­s et l’ensemble des institutio­ns à but non lucratif. Le management est une technologi­e sociale qui permet à des personnes et à des pays ordinaires de réaliser des performanc­es extraordin­aires. Sans grande maîtrise managérial­e, nous allons continuer d’avoir des politiques macro-économique­s et sectoriell­es qui mobilisent beaucoup de ressources mais qui aboutissen­t à des résultats dérisoires.

A. L.

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