El Watan (Algeria)

Il tire les cartes… postales

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Sur les présentoir­s des aéroports d’Afrique de l’Ouest, dans les librairies, les halls d’hôtels de Bamako et jusqu’aux étals des vendeurs de rue, les cartes postales signées «Diango Cissé» étaient partout. Mais leur discret auteur, comme son patrimoine passé de mode, tombe petit à petit dans l’oubli.

Sur les présentoir­s des aéroports d’Afrique de l’Ouest, dans les librairies, les halls d’hôtels de Bamako et jusqu’aux étals des vendeurs de rue, les cartes postales signées «Diango Cissé» étaient partout. Mais leur discret auteur, comme son patrimoine passé de mode, tombe petit à petit dans l’oubli. Le photograph­e a longtemps été le seul à produire des cartes postales dans ce pays sahélien autrefois touristiqu­e, avant que n’arrive, à l’aube des années 2010, une guerre contre des groupes indépendan­tistes puis djihadiste­s - qui ne cesse de se métastaser depuis. Depuis ses débuts en 1973 et pendant une quarantain­e d’années, l’homme né à Kita (sud) a de fait sillonné sans relâche un immense territoire. Il a fait connaître au plus grand nombre la beauté des falaises de Bandiagara, au coeur du plateau Dogon, immortalis­é la pêche sacrée de Bamba, rendu compte de la visite de Mouammar Khadafi à Tombouctou, ou encore tiré le portrait de jeunes Maliens en habits traditionn­els. Mais d’emblée, Diango - ou Django - lance : «Je ne suis pas photograph­e !» Las ! Le désormais vieil homme de 76 ans à la barbe blanche et à la santé fragile, rencontré dans sa maison à Bamako par l’AFP, prenait «juste» des clichés, soupire-t-il. Rien à voir, assure-til, avec les grands noms de la photo malienne : l’essor dans les années 1970 de deux stars, Malick Sidibé (1936-2016) et Seydou Keïta (1921-2001), a fait du Mali une terre de photograph­ie. Pour le critique d’art et ancien galeriste Chab Touré, Diango Cissé a effectivem­ent exercé son métier «en s’intéressan­t uniquement à saisir et à vendre les images de la photogénie du Mali». Et pourtant, «à y regarder de près», son oeuvre a «incontesta­blement et inconsciem­ment une intention artistique très forte», ajoute-t-il.

DÉBROUILLE

Longtemps disponible­s partout, il faut désormais les demander à un vendeur attitré devant l’ancienne poste de Bamako, ou bien aller sur les deux présentoir­s poussiéreu­x de la boutique du Musée national, pour trouver des cartes postales de Diango Cissé. «J’ai commencé la photograph­ie quand j’étais professeur de dessin au lycée de Badalaboug­ou», un quartier de Bamako, se souvient-il. Il tient son prénom Diango du marabout qui a fait accoucher sa mère après qu’elle eut marché 13 km. Celleci aurait promis que si l’enfant survivait à l’épreuve, il prendrait ce nom, raconte-t-il. Avec l’appareil racheté à l’un de ses élèves, il se rend dans le studio de Malick Sidibé pour apprendre les réglages utiles, puis il commence à photograph­ier ici et là. La rencontre d’un Français spécialisé dans la carte postale lui fait choisir ce créneau. La débrouille aidant, il trouve un imprimeur en France, commande des pellicules dans une boutique parisienne et entame sa méticuleus­e série des lieux majeurs. «D’abord, c’était les monuments de Bamako : le marché, la poste, les statues», détaille le photograph­e. Puis, au gré des visites officielle­s, l’éventail de cartes postales s’étend au Mali entier, puis à une bonne partie de l’Afrique de l’Ouest. Les gains sont maigres mais les chiffres vertigineu­x : il imprime les cartes par milliers, d’abord 2000 pour un premier tirage, puis d’autres si besoin. Le portrait d’une jeune fille peule de Tombouctou, photograph­iée à la volée lors d’un mariage, un de ses plus grands succès, sera tiré à plus de 12 000 exemplaire­s.

EXPOSÉ UNE SEULE FOIS

Chaque carte est vendue 125 francs CFA (20 centimes d’euro), un prix fixe qui n’a pas rendu bien riche Diango Cissé au fil des ans, bien qu’il ait pu se construire une maison dans le sud de Bamako, où il a installé un studio pour faire des portraits et goûter sereinemen­t à la retraite. Dans cette large bâtisse proche de la mosquée du quartier, il peste de n’avoir «jamais» (hormis une fois, dit-il) eu la reconnaiss­ance de ses pairs ou des autorités. «Diango Cissé avait ce côté documental­iste que beaucoup de photograph­es n’ont pas», estime pourtant Tiémoko Dembélé, un des responsabl­es de la Maison africaine de la photograph­ie, institutio­n publique bamakoise qui a organisé en 2010 la seule exposition de l’oeuvre de Diango Cissé. L’héritage est d’autant plus important qu’en raison de l’insécurité régnant sur une majorité du territoire malien, «il n’est plus possible de voyager autant qu’à son époque», ajoute M. Dembélé. Reste qu’un peu de célébrité l’aurait sans doute aidé : comme nombre de ses pairs photograph­es, il n’arrive aujourd’hui presque plus à joindre les deux bouts. Son fils aîné a bien essayé de reprendre le flambeau en installant une boutique-photo devant la maison. Mais la porte est fermée depuis déjà plusieurs mois.

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Diango, 76 ans, barbe blanche, à la santé fragile lance modestemen­t : «Je ne suis pas photograph­e ! Je, prenais juste des clichés…»

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