Paille et moutons envahissent la ville
Cela est devenu une coutume dont tout le monde semble s’accommoder. A chaque approche de l’Aïd El Kebir, rituel et fête religieuse qui commémorent le sacrifice d’Abraham, les moutons envahissent nos villes, qui prennent petit à petit des allures d’écuries et d’étables à ciel ouvert.
Des terrains vagues, des espaces verts, des garages, des locaux désaffectés et des bouts de trottoirs se transforment en points de vente des bestiaux, offrant le triste spectacle d’une cité livrée aux maquignons professionnels et aux vendeurs de moutons occasionnels. La nuit venue, quand le vacarme de la ville s’apaise, les bêlements des bêtes nostalgiques de leurs steppes et hauts plateaux d’origine se répandent d’un immeuble à l’autre et d’un quartier à l’autre. Même les citoyens ne disposant pas de local propre à abriter un animal de la taille d’un mouton prennent sur eux d’en acheter un et ce des jours avant l’Aïd et lui désignent la cage d’escaliers commune ou le balcon comme écurie provisoire. Et quand il y a des moutons, bien évidemment, il ne faut guère aller très loin pour trouver des bottes de foin et de la paille à profusion. Les monceaux de foin et les bottes de paille sont exposés directement sur le trottoir, ne vous en déplaise, au gré des vents qui sèment à tout va les brindilles. A travers toute la ville et dans les quartiers, les points de vente de ravitaillement ovin ont donc poussé comme des champignons après l’averse. Beaucoup de jeunes désoeuvrés ont trouvé là le bon créneau pour se faire un peu d’argent en s’improvisant vendeurs de paille et d’avoine à la sauvette. Certains, non sans humour, accrochent des pancartes sur lesquelles les traditionnelles indications de fast-food et de restauration rapide réservées aux humains sont détournées au profit des moutons. «Gort sari3», «gort ladhidh», peut-on y lire sur certaines pancartes. À cela, il faut ajouter le fait que les moutons sont devenus des animaux de compagnie que l’on promène au bout d’une laisse comme un caniche au coeur de la ville.Évidemment, si certains spectacles peuvent faire sourire, une cité qui devient près d’un mois durant une étable à ciel ouvert ne peut faire que grincer des dents. Autorités et citoyens semblent avoir fini par accepter ce phénomène comme une fatalité née de nos nouvelles moeurs de nouveaux citadins. Nos villes sont déjà sales, polluées et depuis longtemps livrées à l’immobilisme des autorités et à l’incivisme des habitants. Il reste à subir tous les aléas liés au jour de l’abattage avec son lot de spectacles macabres à même la chaussée. Avec la crise hydrique et les coupures d’eau, c’est une autre pénible épreuve qui attend les citoyens.