Une croissance démographique aux conséquences fâcheuses
Ace mois de juillet 2021, la barre des 45 millions d’habitants, représentant la population résidante totale en Algérie, aurait été franchie, à en croire le directeur de la population au ministère de la Santé, de la Population et de la Réforme hospitalière, Omar Ouali. Et, comparativement aux précédentes années, le taux de croissance démographique se serait sensiblement contracté du fait du recul qu’a connu le taux de nuptialité. En effet, de 10 pour 1000 habitants, celui-ci serait passé à 7 et 8 pour 1000 habitants. Déjà endémique, le chômage, davantage amplifié par la crise économique induite par la pandémie Covid-19, ayant, semble-til, plongé la filière du mariage dans la panade et raréfié les parades nuptiales auxquelles étaient habitués les Algériens, surtout en période estivale. S’agissant de la natalité, le même responsable fera état de 1,014 million de nouvelles naissances enregistrées, volume qu’il juge «relativement bas», par rapport aux «performances» antérieures ; le nombre de naissances vivantes ayant longtemps été largement au-dessus du million, en moyenne. En 2018, la population résidante totale était de l’ordre de 42,2 millions d`habitants contre 41,3 millions en 2017 et 40,4 millions en 2016, année au cours de laquelle le taux de natalité avait atteint 26 pour 1000 habitants, correspondant à un niveau de fécondité de 3,1 enfants par femme, d’après les données de l’Office national des statistiques (ONS). Evolution que d’aucuns considéraient «quasi inédite par son ampleur ces dernières décennies dans le reste du monde». Autant dire qu’en dépit de l’adoption, depuis quelques années, d’une politique nataliste particulièrement axée sur le contrôle de l’effectif des naissances et le suivi soutenu du comportement démographique, le phénomène de la surnatalité n’est toujours pas efficacement maîtrisé et continue de poser problème. Qu’ils soient sociologues, économistes ou démographes, nombre d’experts voient en la croissance démographique «indisciplinée» un frein au développement pour les pays économiquement vulnérables comme l’Algérie, et ce, de par les lourdes conséquences sur l’utilisation des ressources naturelles, la qualité de vie et sur tant d’autres niveaux que la surpopulation est susceptible d’avoir, notamment en matière d’emploi.
PRÉCARITÉ ALIMENTAIRE
Le nombre d’Algériens de moins de 25 ans en âge de travailler pesant plus de 45% de la population globale et les moins de 30 ans, 54%, faut-il le souligner. D’où le déséquilibre qu’a connu le marché matrimonial, dont parle le représentant du ministère de la Santé, de la Population et de la Réforme hospitalière, la crise de l’emploi ayant manifestement grandement contribué à l’accélération du recul de l’âge au mariage. Pas que la moyenne de 580 000 naissances du début des années 2000 a, aujourd’hui, presque doublé, soit de nouvelles générations pour la gestion desquelles, au double plan social et économique, le pays devrait trouver les moyens nécessaires quand elles seront adultes : «Dans un contexte de chômage de masse endémique, qui n’apparaît pas dans les statistiques officielles algériennes, et de faible création d’emplois, en particulier dans le secteur privé, les perspectives de trouver un emploi dans le futur aux générations pléthoriques est mal engagé», mettait en garde l’expert des évolutions sociodémographiques et économiques des territoires, le Dr Laurent Chalard. «Si le contexte de faible croissance économique devait se maintenir dans le futur, le marché de l’emploi algérien serait dans l’incapacité d’intégrer dans sa totalité les générations de plus en plus nombreuses, qui naissent depuis le début des années 2000», soulignera-t-il. Pis encore : bien que notre pays n’ait pas connu le «baby-boom du confinement» que la crise sanitaire de la Covid-19 a provoqué dans les contrées où le déclin démographique est déjà criant, suscitant de vives inquiétudes pour leur avenir économique, social et politique -avec un taux variant entre 0,9 et 1,9 enfant par femme, les pays d’Europe et d’Amérique du Nord se distinguent par les plus faibles taux de fécondité au monde. Actuellement, l’Europe abrite la population la plus vieille du monde ; plus de 19% de sa population a plus de 65 ans, soit près d’un Européen sur cinq. (Bureau de référence en matière de population PRB) -, la surnatalité qui se poursuit, tout de même, est, par ailleurs, susceptible de rendre le défi alimentaire, s’annonçant dans les prochaines années, de plus en plus grand et difficile à relever pour les autorités algériennes : «Si la nature algérienne devrait potentiellement permettre de nourrir les quelques dizaines de millions d’habitants supplémentaires, en l’état actuel du niveau de développement de l’agriculture algérienne, cela risque d’être compliqué, étant donné les difficultés à atteindre.» Dit autrement, la forte pression démographique, de moins en moins supportable, expose le pays au risque de l’accentuation de la précarité alimentaire : «L’autosuffisance alimentaire de l’Algérie est difficilement atteinte d’une année sur l’autre et reste très fragile. La poursuite d’une croissance soutenue de la population accroît donc les risques de l’instauration d’une dépendance alimentaire, qui plus est probablement vis-à-vis de l’ancien colonisateur, risquant de faire perdre à l’Algérie une part de son indépendance durement acquise», prévient le géographe Pr Chalard (université Paris IV-Sorbonne). A l’évidence, l’ampleur du contraste entre les variables démographiques et les moyens de s’y adapter aisément semble aller crescendo.
UN PHÉNOMÈNE QUI TOUCHE TOUT LE CONTINENT
Ainsi, la voie du malthusianisme démographique, -système politicoéconomique prônant le contrôle de la démographie afin de pouvoir maîtriser les ressources- deviendrait incontournable. D’autant que l’Algérie qui ne sait, décidément, pas tirer profit du dividende démographique, n’arrive pas non plus à maîtriser son taux de fécondité, lequel continue d’obérer toute perspective de croissance économique. «Sur le plan économique, toute croissance démographique soutenue peut avoir plusieurs conséquences négatives. La plus importante concerne le niveau du revenu par habitant chaque point de croissance démographique annule un point de croissance économique», insistent nombre de démographes d’ici et d’ailleurs. Toutefois, ce boom démographique persistant ne serait pas une particularité algérienne : avec une moyenne de 4,4 enfants par femme, l’Afrique a à son actif le taux de fertilité le plus élevé au monde, et ce, outre la génération pré-adolescence qui, elle aussi, ne cesse de grossir ; 41% de la population ayant moins de 15 ans. Mieux encore, la population du continent noir devrait augmenter de 91%, passant de 1,3 milliard en 2020 à 2,6 milliards en 2050, soit près de 60% de la croissance démographique mondiale prévue au cours de la même période. Quant à elle, la population totale européenne serait, par contre, appelée à baisser de 2%, passant de 747 millions en 2020 à 729 millions en 2050, si l’on se fie toujours aux pronostics du PRB, organisation américaine spécialisée dans la collecte et la fourniture de statistiques démographiques destinées à la recherche sur l’environnement, la santé et la structure des populations.