Plus de 6000 Algériens espionnés par le Maroc
Les téléphones portables d’au moins 6000 citoyens algériens seraient espionnés à travers l’usage du logiciel Pegasus, conçu et vendu au Maroc par la société israélienne NSO Group, qui travaille en étroite collaboration avec l’Etat hébreu.
L’Algérie a subi une véritable déclaration de guerre électronique de la part des services de renseignement marocains. Les téléphones portables d’au moins 6000 citoyens algériens seraient espionnés à travers l’usage du logiciel Pegasus, conçu et vendu au Maroc par la société israélienne NSO Group, qui travaille en étroite collaboration avec l’Etat hébreu.
En toile de fond, la surveillance d’acteurs politiques, militaires, associatifs et, surtout, médiatiques qui ont un quelconque lien avec quatre dossiers très sensibles pour le makhzen : le Sahara occidental, le Hirak du Rif, la situation des droits humains dans la monarchie chérifienne et les relations franco-algériennes. Au vu des informations jusque-là révélées par l’enquête «Pegasus Project», menée par le consortium Forbidden Stories, avec 17 grands médias internationaux (The Washington Post, The Guardian, Le Monde, Radio France, etc.) et le soutien technique du Security Lab de l’ONG Amnesty International, notre pays a été la principale cible d’un énorme dispositif de cyberespionnage mis en place par nos voisins marocains, loin devant la France où environ 1000 citoyens sont également surveillés par le même client de Pegasus.
DE HAUTS RESPONSABLES DE L’ÉTAT COMPROMIS
Durant la période allant de 2018 à 2020, les hautes sphères de l’Etat algérien étaient visées par ledit logiciel espion. Parmi les personnalités de premier plan à l’époque, on retrouve les noms de l’ex-Premier ministre, Noureddine Bedoui, et des ministres des Affaires étrangères successifs, Abdelkader Messahel et Ramtane Lamamra. Dans l’entourage direct du Président déchu, selon les révélations du journal Le Monde, les numéros de Saïd Bouteflika, de son frère Nacer et de sa soeur Zhor figurent dans la liste des victimes de Pegasus. Plus étonnant encore, l’institution militaire n’aurait pas été non plus épargnée par l’espionnage marocain. Les téléphones d’anciens hommes puissants des services algériens, tels que les généraux Bachir Tartag, Wassini Bouazza et Ali Bendaoud, auraient été compromis. Le quotidien français indique même qu’un numéro attribué à l’actuel chef de l’état-major de l’armée, Saïd Chengriha, serait infecté par le logiciel espion, ainsi que les commandants des forces terrestres et aériennes. La même source, qui a étudié toute la liste des personnalités algériennes potentiellement espionnées, mentionne en outre l’adjudant-chef Guermit Bounouira, ancien secrétaire particulier de feu Ahmed Gaïd Salah, et l’un des fils de ce dernier, Mourad. Ce qui laisse supposer que l’ancien chef d’état-major de l’armée était lui-même surveillé. Il semblerait que ce soit aussi le cas du général Khaled Nezzar et de son fils Lotfi.
L’enquête de Forbidden Stories affirme que des milliers d’autres numéros algériens sont espionnés, qui concerneraient des journalistes, des opposants politiques et des acteurs de la société civile. Néanmoins, pour l’instant, seulement quelques noms sont dévoilés, à l’instar de Abdelaziz Rahabi, Zoubida Assoul et Ali Haddad.
L’AXE ALGER-PARIS CIBLÉ
Ayant une hantise et une suspicion permanentes autour des relations entre Alger et Paris, les services marocains n’ont pas hésité à espionner les cercles diplomatiques dans les deux rives de la Méditerranée. En effet, l’enquête journalistique évoque, par exemple, l’ancien ambassadeur d’Algérie en France, Abdelkader Mesdoua, et l’ancien attaché de la défense de la même ambassade, le colonel Karim Hadj Sadok, ou encore Xavier Driencourt, alors ambassadeur de France en Algérie, et ses proches collaborateurs. Enfin, d’après Radio France, le diplomate Lakhdar Brahimi aurait été ciblé par Pegasus, probablement en mars 2019, au moment où il a été pressenti pour présider la «conférence nationale» dans la période de transition post-annulation de l’élection présidentielle du mois d’avril et l’échec du projet du 5e mandat pour Abdelaziz Bouteflika.
Dans le même registre, la cellule d’investigation de la radio publique française, qui a participé au projet d’investigation, souligne que le Maroc aurait visiblement surveillé l’avocat franco-algérien Chems-Eddine Hafiz, recteur de la Grande Mosquée de Paris depuis janvier 2020.
Du côté du gouvernement français, pourtant considéré comme un allié du Maroc, le choc est encore plus dur à encaisser. Et pour cause, le président de la République française, Emmanuel Macron, son ex-Premier ministre, Edouard Philippe, et 14 ministres auraient été, eux aussi, mis sous surveillance téléphonique via Pegasus pour le compte du makhzen. En plus de nombreux députés (de la majorité présidentielle et de l’opposition) et militants associatifs, une trentaine de journalistes français a été pareillement ciblée, dont notamment Edwy Plenel, directeur de Mediapart, et Rosa Moussaoui, grand reporter à L’Humanité (voir l’entretien).
LES OPPOSANTS MAROCAINS DANS LE VISEUR DU MAKHZEN
Sur une liste de plus de 50 000 numéros de téléphone sélectionnés à travers le monde par les différents pays clients de Pegasus pour être ciblés – comprenant des hommes politiques, des diplomates, des militaires, des journalistes, des militants des droits humains, des syndicalistes, des universitaires, des hommes d’affaires, etc. –, le Maroc est l’auteur de 10 000 signalements. Au-delà des citoyens algériens, français et pleines d’autres nationalités, les services du makhzen auraient espionné des citoyens marocains, particulièrement des opposants et des journalistes indépendants, à l’image de notre confrère Omar Radi du site d’information Le Desk, qui est emprisonné depuis juillet 2020 et condamné, lundi dernier, à 6 ans de prison ferme. Or, les différents médias du projet Pegasus émettent l’hypothèse que le roi Mohammed VI est lui-même surveillé étroitement par ses services de renseignement, dirigés par Abdellatif Hammouchi. Celui-ci est à la fois le Directeur général de la Sûreté nationale et Directeur général de la Surveillance du territoire. Parmi les numéros listés par le client marocain de Pegasus, ressortent les numéros personnels du monarque chérifien et de la princesse Salma Bennani, son épouse. Quant au prince Moulay Hicham, un cousin du roi très critique envers la monarchie, il est surveillé avec son épouse, ses deux filles et son frère cadet, le prince Moulay Ismaïl. Même un simple exploitant d’une ferme lui appartenant n’a pas échappé au système d’espionnage. Le listing des cibles marocaines, consulté par les journalistes qui ont contribué aux investigations de Forbidden Stories, contient de nombreux autres membres de la famille royale élargie (cousins, gendres et neveux) et des proches du souverain marocain occupant des postes sensibles (chambellan du roi, secrétaire particulier du roi, chef de la gendarmerie royale, chef des gardes du corps du roi, etc.). Interpellées, les autorités marocaines continuent à nier avoir eu recours aux services de NSO Group et à son spyware Pegasus.