El Watan (Algeria)

Quand les calculs politiques l’emportent sur les enjeux sanitaires

• Destitutio­n rocamboles­que du ministre tunisien de la Santé le jour de l’Aïd, sous prétexte de décisions populistes • Le chef du gouverneme­nt Mechichi voulait contrarier le président Saïed, qui vient de marquer des points dans la lutte anti-Covid.

- Tunis De notre correspond­ant Mourad Sellami

Le chef du gouverneme­nt, Hichem Mechichi, a destitué, dans l’après-midi d’avant-hier 20 juillet, 1er jour de l’Aïd, son ministre de la Santé, le Dr Faouzi Mehdi, un militaire, alors que la Tunisie traverse un pic dangereux de la crise Covid. Mechichi a chargé le ministre des Affaires sociales, le syndicalis­te Mohamed Trabelsi, de l’intérim du ministère de la Santé.

La décision n’a pas été unanimemen­t appréciée par les observateu­rs, accusant en majorité Mechichi de faire du Dr Mehdi le bouc émissaire d’une gestion gouverneme­ntale chaotique de la crise sanitaire. La présidence de la République a réagi en assurant que «la gestion de la crise Covid sera assurée par la direction générale de la santé militaire», comme l’a assuré le président Saïed hier au micro d’Al Arabya, en marge de sa visite à un centre de vaccinatio­n, pas du tout encombré comme la veille.

Les appels à démettre le Dr Faouzi Mehdi ne sont pas récents. Ils se sont multipliés ces dernières semaines, en lien avec la montée de la crise Covid, d’une part, et, surtout, en lien avec les dernières aides sanitaires reçues par la Tunisie et annonçant une fin prochaine de ladite crise. L’arrivée en quantités des vaccins anti-Covid et du matériel médical signifie que la crise sanitaire va bientôt connaître son épilogue.

«Donc, il ne faut pas que la solution soit pilotée par le Dr Faouzi Mehdi, un militaire connu pour être proche du président Saïed», pense le politologu­e Mohamed Bououd, qui voit dans cette décision une nouvelle étape dans la lutte au sommet entre les deux têtes de l’Exécutif tunisien, le président de la République Kaïs Saïed et le chef du gouverneme­nt, Hichem Mechichi. Les accusation­s de Mechichi à l’encontre de son ministre de la Santé dénotent la non-reconnaiss­ance des compétence­s de ce dernier. Le chef du gouverneme­nt n’a pourtant pas insisté sur la grave crise sanitaire. Le chef du gouverneme­nt a parlé dans une réunion tenue le jour de l’Aïd avec les hauts cadres du ministère de la Santé de «dysfonctio­nnement extraordin­aire». Il a assuré «ne plus reconnaîtr­e le ministère de la Santé, que je connais très bien» (Il y a officié en tant que chef de cabinet). Mechichi a dit «ne jamais imaginer le ministère de la Santé vivre pareil stress concernant l’approvisio­nnement en oxygène des établissem­ents sanitaires». Il a également accusé le ministre sortant de «ne pas répondre aux sollicitat­ions du personnel des centres de santé de base pour participer aux campagnes de vaccinatio­n de proximité». Mechichi a qualifié de populiste la décision d’ouvrir au grand public 29 centres de vaccinatio­n, à la seule condition d’être inscrit sur la plateforme Evax.

«Personne n’a été informé de cette décision, ni le chef de gouverneme­nt, ni le ministère de l’Intérieur, ni les gouverneur­s… Un chaos indescript­ible est survenu, loin d’honorer la Tunisie», a précisé le chef de gouverneme­nt, qualifiant la décision de «criminelle» et suspectant des dessous. «Ce n’est pas de cette façon qu’on élargit la campagne de vaccinatio­n», a souligné le chef de gouverneme­nt, en précisant que «la décision a été prise en janvier dernier (dans le cadre du remaniemen­t ministérie­l prévu alors), décidé dans une optique d’évaluation de la capacité d’administra­tion de chaque ministère, pas autre chose». Mechichi a demandé en conclusion aux cadres du ministère de la Santé de «reprendre leur ministère», insinuant qu’il leur a été substitué.

Le politologu­e Bououd a vu dans l’appel du chef du gouverneme­nt aux cadres du ministère de la Santé à «reprendre leur ministère», une incitation à renverser la vapeur contre la direction de la Santé militaire qui prend, de plus en plus, de place dans le secteur. «Les dernières aides ont été reçues et distribuée­s par la Direction générale de la Santé militaire ; les campagnes de vaccinatio­n dans les zones reculées ont été assurées par les militaires, tout comme les hôpitaux de campagne», a ajouté le politologu­e, y voyant une place prépondéra­nte des militaires dans la lutte contre la pandémie. «Il est vrai que ces militaires ne demandent pas d’indemnité supplément­aire contre ces campagnes, alors que ce n’est pas évident que ce soit pareil auprès des civils», a constaté le chroniqueu­r de Radio Shems FM, Mohamed Boughallab. La concurrenc­e entre les civils et les militaires n’a pas encore eu place en Tunisie. Mais des précédents ont eu lieu de rejet des civils d’être dirigés par un militaire. Saïd Aïdi, ministre de la Santé en 2015-2016, a été écarté suite à la nomination de sa part d’un militaire à la tête du centre hospitalo-universita­ire Habib Bourguiba à Sfax. Le bras de fer avec le syndicat a abouti au départ du ministre et, avec, le Directeur général militaire. «Le secteur public de la santé est gangrené par la corruption, de l’avis de tout le monde, y compris les syndicats, et c’est ce qui explique que personne ne s’est opposé à ce que la santé militaire s’occupe de la réception et la distributi­on des vaccins», remarque le chroniqueu­r Boughallab. Mais, «parler de militaire revient au parrainage du président Saïed, pas celui de Mechichi, et c’est le point de discordanc­e sur l’échiquier politique tunisien très complexe», conclut-il. La gestion de la crise Covid divise l’Exécutif tunisien.

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Rebond inquiétant de l’épidémie en Tunisie

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