Dévoilement d’une plaque commémorative en souvenir des Algériens assassinés
Les 23 et 24 juillet, l’association Collectif Juillet 1961 rend hommage aux victimes d’une vengeance punitive de parachutistes contre des Algériens en juillet 1961
Il y a exactement soixante ans, dans la nuit du 23 au 24 juillet 1961, la ville de Metz a été le triste théâtre d’un épisode. Pendant toute une nuit et une journée, 400 paras du 1er Régiment de chasseurs parachutistes, stationné à Metz, mènent une «chasse à l’homme», depuis la gare SNCF jusqu’au quartier du Pontiffroy, visant les Algériens qui y vivaient en grand nombre. Un acte sans nom pour punir les Algériens de leur engagement pour la cause nationale. Officiellement, le bilan est de quatre morts et 27 blessés ; mais il semblerait que les victimes étaient bien plus nombreuses, selon les multiples témoins de l’époque. À l’origine de cette expédition punitive menée par des militaires du 1er RCP (en dehors de toute mission !) une rixe survenue dans la soirée du 23 juillet au dancing le Trianon, à Montigny-lès-Metz entre paras et quelques clients algériens. Outre les nombreuses victimes de l’opération anti-algérienne, un marchand ambulant est molesté et jeté dans la Moselle, au pont Saint-Georges. Le Collectif Juillet 1961 rendra hommage à Metz les 23 et 24 juillet, à la mémoire des victimes de cette nuit, appelée «nuit des paras», à Metz. Tout commencera par un dépôt de gerbe, le vendredi 23 juillet à 19h à Montigny-lès-Metz, devant le lieu se trouvait jadis l’ancien dancing Le Trianon, 39 rue de Pont-à-Mousson. Il y aura ensuite une déambulation artistique avec lectures de dialogues de Didier Doumergue donnant la parole à des acteurs de ces évènements tragiques. Ensuite, sera dévoilée une plaque commémorative au pont Saint-Georges. Le samedi 24 juillet : à 18 h (salle capitulaire des Récollets), rencontre et dialogue avec Raphaëlle Branche, historienne, autour de son livre Papa qu’as-tu fait en Algérie ?
UN DÉCHAÎNEMENT RACISTE
Dans une passionnante enquête parue le 13 avril dernier dans les colonnes du Monde, sous le titre explicite «La nuit des paras» le journaliste Yves Bordenave donne la parole à des témoins de cette tuerie trop mal connue, alors que le massacre d’octobre 1961 est désormais sorti de la négation. Soixante après, enfin ! Plusieurs livres paraîtront cette année sur cet événement majeur des derniers mois de la guerre. Ce n’est pas encore le cas pour les meurtres de juillet 1961 à Metz (Lorraine).
Voici ce qu’en dit Le Monde : «Le dimanche soir 23 juillet 1961, ils sont une dizaine – peut-être un peu plus, M. Hocine ne se souvient plus très bien – qui profitent de cette fin de journée estivale à la ville d’Alger. Vers 23 heures, l’un des employés revient du cinéma Le Palace, apeuré. Il avait vu les paras qui cassaient tout, poursuivaient les Arabes et se dirigeaient vers le quartier, raconte l’ancien restaurateur, aujourd’hui âgé de 86 ans. A ce moment, il ne le sait pas encore, mais une nuit de terreur vient de commencer à Metz. Des militaires français, des «paras» basés à Metz, déferlent par centaines sur la ville et se déchaînent sur la population algérienne. Cette flambée de violence a pour prétexte une vengeance née d’une bagarre meurtrière : mais elle a pour arrière-fond la rancoeur ramenée d’Algérie par des hommes frustrés d’une victoire qu’ils croyaient acquise, et d’une cause perdue – celle de l’Algérie française ».
Le rédacteur ajoute : «Depuis leur arrivée en Algérie, aux premières heures du soulèvement, à l’automne 1954, ces 1300 hommes n’ont cessé de combattre les fellaghas, des Aurès au Constantinois, en passant par la Kabylie et la frontière tunisienne. De janvier à octobre 1957, le régiment s’est distingué en première ligne dans la bataille d’Alger sous les ordres du général Massu. En ce mois d’avril, il va de nouveau se faire remarquer, mais cette fois en participant à la tentative de putsch menée par les généraux Challe, Jouhaud, Salan et Zeller, favorables à l’Algérie française ».
DES SOLDATS AMERS D’AVOIR PERDU LA PARTIE LORS DU PUTSCH D’AVRIL 1961
Cela leur vaudra d’être rapatriés en France. «En guise de sanction, le régiment, lui, est rapatrié en Lorraine. Après une ultime mission à la frontière tunisienne, fin mai, ses soldats embarquent donc à Bône (aujourd’hui Annaba) le 6 juillet 1961 à destination de Marseille. A leur arrivée, les dockers de la CGT les accueillent aux cris de « paras assassins !». Quelques jours plus tard, ils se comporteront en véritables assassins sans foi ni loi, dans le but unique de massacrer les Algériens sans défense qu’ils n’avaient pu vaincre en Algérie.
Le journal Le Monde rappelle les suites de cette affaire : «Le 26 juillet, la fédération départementale de la Ligue des droits de l’homme (LDH) élève ‘‘sa plus ferme protestation, non seulement contre les sanglantes représailles d’un groupe important de parachutistes contre des travailleurs algériens, mais aussi contre leur inspiration raciste’’. La LDH estime le bilan à une centaine de blessés. Le même jour, dans un éditorial cinglant concernant cet épisode, le quotidien régional L’Est républicain dénonce ‘‘la loi du talion [qui] est une loi barbare’’ et s’en prend à ‘‘la facilité avec laquelle se déchaînent les représailles collectives et les expéditions punitives. Car alors le sang ne s’ajoute pas seulement au sang, mais la haine à la haine’’. Son concurrent, Le Républicain lorrain, parle, lui, d’un ‘‘raid de tueurs nord-africains’’ ayant provoqué, en représailles, ‘‘une expédition punitive de 300 paras armés de bouteilles dans les bas quartiers de Metz’’». interdites aux parachutistes.Dans une note classée « secret confidentiel », datée du 25 juillet, et rédigée par le lieutenant-colonel Gauroy, commandant le groupement de gendarmerie de la Moselle, et destinée à sa hiérarchie, l’officier indique : «A partir de 23 heures, de nombreux parachutistes, dont certains étaient porteurs de bouteilles vides ou de bâtons, se sont répandus dans divers quartiers de la ville, en particulier dans les quartiers occupés ou fréquentés par des Nord-Africains (gare, poste, quartier Saint-Georges, Pontiffroy) ; des bagarres les ont rapidement mis aux prises dans les cafés ou dans la rue avec les Nord-Africains rencontrés. Un certain nombre de ceux-ci ont été plus ou moins grièvement blessés (deux par balles). L’un d’eux devait décéder à son arrivée à l’hôpital. »
UN COLLECTIF DE LA MÉMOIRE
En 2016, à l’occasion du 55e anniversaire de ces événements, rappelait le journaliste, «un collectif de Messins composé de personnes de différents horizons, le Collectif juillet 1961, s’est constitué pour ranimer la mémoire et «faire la lumière» sur cet «épisode tragique de la guerre d’Algérie en Moselle», inconnu de la plupart des Messins et plus encore par-delà les frontières de la Lorraine. ‘‘Il s’agit pour nous de rendre hommage aux victimes, mais aussi et surtout d’un acte de réconciliation’’», souligne Yvon Schleret, président du collectif.
Soixante après, et un an avant le soixantième anniversaire de l’indépendance algérienne, ces parts tragiques ne peuvent pas rester dans le silence ou, pire encore, dans le déni.