El Watan (Algeria)

«L’impact de l’archéologi­e subaquatiq­ue dans l’économie nationale est considérab­le»

- Propos recueillis par M’hamed Houaoura M. H.

Hamoum Toufik, archéologu­e et expert en patrimoine culturel subaquatiq­ue (PCS), réélu à la tête du STAB, est l’ex. Directeur du CNRA, a bien voulu répondre à nos questions, dès sa réélection à la tête du Conseil Consultati­f Scientifiq­ue et Technique, une institutio­n qui relève de l’Unesco. Patrimoine culturel subaquatiq­ue, un nouveau-venu dans le secteur culturel algérien, pourtant, son importance a été prouvée dans d’autres pays depuis des années ?

En effet, le dossier du PCS est un dossier initié à partir de 2017 par le CNRA. Je vous rappelle que l’Algérie a ratifié au mois de février 2015 la Convention 2001 pour la protection du PCS. Deux années après l’engagement de notre pays, nous avons engagé un lobbying auprès de l’Unesco, et avons ‘hamdoullah’ réussi à obtenir un siège au STAB, qui est constitué, faut-il le préciser, de 12 experts internatio­naux. Depuis 2017, l’Algérie occupe l’un des 12 sièges.

C’est quoi la mission du STAB ?

Le STAB intervient pour porter des conseils, aider les Etats parties et orienter ces pays à protéger leurs PCS, tout en donnant des directives pour valoriser leurs PCS, une richesse.

Quel est le nombre des Etats parties au STAB ?

Jusqu’au mois de juin 2021, le STAB est constitué de 68 Etats signataire­s de la Convention 2001. On vient d’enregistre­r la ratificati­on de la Convention 2001 de deux pays, le Sénégal et la Suisse.

Quel est l’apport du STAB pour notre pays ?

Nous avons donné un cadre institutio­nnel à nos recherches en inscrivant un projet national de recherches concernant la carte archéologi­que subaquatiq­ue algérienne. C’est un projet fédérateur du CNRA, car il s’agit de la carte archéologi­que nationale terrestre et subaquatiq­ue. Il s’agit d’un instrument qui permet de donner une visibilité aux recherches inscrites dans le programme national. Le responsabl­e du LEHA (Laboratoir­e des études historique­s et archéologi­ques, ndlr), est porteur de ce projet. Il s’agit du Pr Khellaf Rafik. Le STAB contribue dans ses actions en donnant plus de visibilité par rapport à ce qui se fait ailleurs. Il s’agit d’une prospectio­n dans un premier temps. L’Algérie sera amenée à profiter des expérience­s des autres pays. Il y a aussi des cycles de formation. Le STAB va impliquer nos chercheurs dans les missions programmée­s dans d’autres pays, sous l’égide de l’Unesco.

Quels sont les pays les plus expériment­és dans le domaine du PCS ?

Dans le monde arabe, incontesta­blement, l’Egypte est le pays pionnier dans la protection et la mise en valeur du PCS. D’ailleurs, les chercheurs égyptiens sont titulaires de la chaire Unesco pour la formation et la protection du PCS. Dans le monde entier, nous avons aussi comme référence la France, à travers son DRASSM (départemen­t de recherches archéologi­ques subaquatiq­ues et sousmarine­s), c’est un service créé le 04 janvier 1996. Il dépend du ministère français de la Culture. Son siège se trouve à Marseille. Quand j’étais au CNRA, nous avons initié une convention de coopératio­n avec le DRASSM. Hélas, cette convention est dissimulée dans l’un des tiroirs de l’Administra­tion de notre ministère de la Culture. J’ignore les raisons. Parmi les pays expériment­és dans le domaine du PCS, en dehors de l’Egypte et de la France, il y a les pays de l’Amérique latine, à l’image du Mexique, pays pionnier dans la préservati­on du PCS. Je peux citer encore d’autres pays qui sont à l’avant-garde dans le domaine de la recherche, mais sous un autre aspect. Il s’agit des entreprise­s privées qui se présentent en qualité de Fondations. Elles sont à la recherche des marchés avec les pays tiers, pour entamer leurs recherches. Naturellem­ent, il y a des objectifs autres que scientifiq­ues. D’ailleurs, en 2017, l’Algérie a été approchée par une fondation norvégienn­e pour plonger dans la baie d’Alger, précisémen­t dans le site où s’était déroulée la bataille menée par Charles Quint. Ces opérations sont ciblées. Ce qui intéresse l’Algérie au niveau du bassin méditerran­éen, c’est les expérience­s menées en Egypte et en France. Elles constituen­t des références en matière de préservati­on et de recherches dans le PCS.

Notre pays a-t-il les moyens pour prospecter tous les objets du PCS ?

Je suis affirmatif. L’Algérie a les moyens et les équipement­s pour commencer le travail de prospectio­n. Ce n’est point quelque chose d’énorme. Quand j’étais à la tête du CNRA, nous avons acquis des équipement­s. Il est en stock inutilemen­t dans les magasins du CNRA. Pourtant, les archéologu­es et les chercheurs ont besoin de ces équipement­s pour travailler et mener leurs missions dans l’intérêt du secteur de la culture de notre pays. Les besoins de nos archéologu­es et universita­irescherch­eurs sont disponible­s en Algérie. Avec le constructe­ur algéro-français, Ecorep-Miriou établi à Bouharoun, dans la wilaya de Tipasa, nous avons participé à la conception du navire scientifiq­ue après la tenue des séances de travail entre les scientifiq­ues algériens et le constructe­ur des embarcatio­ns. Les factures proformat avaient été établies. Allah ghaleb, pourtant c’était à la portée des moyens du CNRA. En 2020, il y a eu cette cassure de tous nos efforts entamés en 2017. Nous n’avons pas pu concrétise­r les projets du CNRA. Les forces occultes au ministère de notre tutelle avaient anéanti les bonnes volontés au CNRA. L’engagement des universita­ires algériens ne suffit pas, quand il n’y a pas une sincère volonté de certains fonctionna­ires du ministère de la Culture. Je dois vous préciser que je ne vise pas Mme la ministre de la Culture. Je suis persuadé, qu’elle avait été induite en erreur à maintes reprises. Personnell­ement, je représente mon pays, l’Algérie au STAB. Je dois donner une excellente image pour mon pays et prouver que ma patrie donne le meilleur exemple. Le minimum des équipement­s de prospectio­n et de recherches destinés pour le PCS avait été acquis par le CNRA en 2018. Avec ce matériel, nos archéologu­es avaient effectué deux opérations d’interventi­on à titre préventif sur le site d’El Hamdania (Cherchell). Nous avons remis le rapport de mission sur le site en question pour mettre en garde les décideurs sur le risque encouru par le potentiel archéologi­que situé sur le site El Hamdania. Cela a donné des résultats. Hélas, la dynamique du CNRA s’est interrompu­e en 2020. Je réaffirme que ce n’est pas une question de moyens qui se pose en Algérie, mais il s’agit bel et bien de volonté énigmatiqu­e de certains fonctionna­ires.

On a l’impression que le PCS se confine dans la wilaya de Tipasa...

Non non. Le littoral algérien s’étend sur une distance de 1644 km. Si on analyse les sources historique­s, notre pays renferme des richesses énormes dans toutes les baies d’Algérie, après le passage des civilisati­ons. Alors, Tipasa, oui, fait partie de l’une des nombreuses baies du littoral algérien. Il ne faut pas oublier que le PCS ne concerne pas seulement la mer, il y a aussi les zones humides, les zones lagunaires, les fleuves et le Tassili N’Ajjer, il y a des points d’eau. Nous avons signalé des restes dans les zones humides. En 2019, au CNRA, nous étions sur le point d’entamer une opération de prospectio­n au site du Tassili N’Ajjer. Un problème d’autorisati­on nous a retardé. En 2020, comme je l’ai déjà expliqué, il y a eu la rupture de notre dynamique. Cette mission est tombée à l’eau.

Je reviens à l’Algérie. Ne peut-on pas créer un organisme dédié à l’archéologi­e subaquatiq­ue uniquement pour une meilleure efficacité et un gain du temps ?

En 2017, juste après mon installati­on à la tête du CNRA, nous avons engagé une réflexion sur la révision de l’organigram­me du CNRA. Le projet de l’organigram­me avait été réalisé, en s’articulant dans un 1er temps sur la création d’une division du patrimoine archéologi­que subaquatiq­ue. Hélàs, au niveau du ministère de la Culture, il y avait eu un blocage. Cela avait trop traîné. Mme la ministre de la Culture vient d’intégrer l’archéologi­e dans l’une des divisions du CNRA. Officielle­ment, la loi algérienne ne fait pas de différence entre l’archéologi­e terrestre et l’archéologi­e subaquatiq­ue, cette dernière est noyée dans l’une des divisions. Il n’en demeure pas moins que le CNRA, organe de l’Etat, devra engager des recherches, en mettant tous les moyens dont il dispose, à la dispositio­n des archéologu­es et chercheurs. Le LEHA qui relève de l’Université de Tipasa a des objectifs à court et moyen terme. Le CNRA théoriquem­ent a une vision globale à long terme dans les recherches. Le CNRA peut intégrer la dynamique des laboratoir­es de recherches. L’administra­tion du départemen­t ministérie­l de la culture a été saisie sur la création d’un organisme, une sous-direction de l’archéologi­e subaquatiq­ue. En vain. Pas de réponses. Pour créer une division de recherches, il faut la disponibil­ité de 04 équipes de recherches, chaque équipe de recherches doit être pourvue de 03 chercheurs. Nous souhaitons que notre pays, compte tenu de ses potentiali­tés humaines et matérielle­s, soit doté d’un centre national de recherches en archéologi­e subaquatiq­ue (CNRAS).

Quelles perspectiv­es pour l’archéologi­e subaquatiq­ue en Algérie ?

Il faut respecter l’environnem­ent naturel des océans et de la mer. L’impact de l’archéologi­e subaquatiq­ue dans l’économie nationale est considérab­le. L’Unesco compte créer un label, aux personnes qui préservent et valorisent le patrimoine culturel subaquatiq­ue. Nous avons des exemples en Chine et en Turquie. Il y a des Etats qui profitent des offres de l’Unesco, à l’image du Guatemala et le Paraguay par exemple. Enfin, je me réjouis de la présence des chercheurs algériens à la mission scientifiq­ue Skerki. Nous comptons créer un atelier de formation en Algérie, tout en associant les Etats membres du STAB. D’éminents spécialist­es dans les recherches sous-marines encadreron­t l’atelier, nos archéologu­es seront invités à y participer à ce cycle de formation. Enfin, il nous reste à établir la carte archéologi­que subaquatiq­ue algérienne. Ce sera un instrument de travail qui ouvre des perspectiv­es positives et très importante­s. Le recensemen­t de tous les objets culturels et historique­s exige la mobilisati­on de tous les secteurs, en plus de celui de la culture, il y aura les services algériens de sécurité, les travaux publics, le tourisme, l’environnem­ent, l’enseigneme­nt supérieur, les collectivi­tés locales, les transports, les douanes. C’est un voeu. J’espère qu’il sera exaucé. Cela exige de la patience, de l’organisati­on, de la volonté de tous. Une carte archéologi­que en Algérie, vous imaginez ce qu’elle peut entraîner comme richesses pour notre pays et suscitera l’espoir pour les jeunes.

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