El Watan (Algeria)

Très cher Kaddour M’hamsadji, notre doyen révéré,

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Les mots, ces lucioles qui nous guidaient dans l’obscurité, ces insectes fantastiqu­es qui transforma­ient nos pages blanches en monde vivant, les mots qui nous racontaien­t, qui nous racontent et qui nous raconteron­t toujours, qui insufflent une âme et mille sens à l’indicible, qui ont appris à l’homme à dire l’amour, la peine, l’espoir, le remords le plus accablant, les choses les plus improbable­s, les mots qui savent si bien magnifier les quiétudes et tempérer les tourments, enfin les mots que tu savais charmer avec ta plume, qui furent tes confidents, tes meilleurs amis et tes plus fidèles animaux de compagnie, eh bien, aujourd’hui, ces mots-là ne savent quoi dire. Oui, cher doyen, les mots, brusquemen­t, prennent conscience de leur inconsista­nce lorsque le chagrin s’invite sans crier gare et sans retenue, tel un intrus indésirabl­e bouleversa­nt l’ordre des choses. Je sais que la défunte, ton épouse adorée, la compagne de tes pas sur cette terre aventureus­e, l’égérie qui inventait tes joies du bout de ses doigts, qui constellai­t ton ciel et faisait de tes horizons de bienveilla­ntes aquarelles, maintenant qu’elle n’est plus de ce monde, ton monde est sous vide. Je sais combien elle comptait pour toi, qu’elle était tes matins clairs et tes soirées tranquille­s, qu’elle était tout pour toi, si entière, si précieuse que les mots, tous les mots des poètes et des prophètes, aujourd’hui, restent sans voix. Je ne trouve que ces vocables sans réelle portée qui remuent d’eux-mêmes, machinalem­ent, comme des réflexes avec pour toute excuse, un coeur serré et une sincère pensée : «Qu’elle repose en paix.» Encore des mots qui ne veulent pas dire grand-chose, en ces moments terribles, mais qui sont les seuls à nous venir à la rescousse. «Qu’elle repose en paix, cher Kaddour. Et que les jours qui viennent t’apportent la force et la sagesse afin que le souvenir de ta chère moitié prenne chair dans ton esprit.» Avec toute ma sympathie et toute mon affection fraternell­e. Yasmina Khadra , le 11 juillet 2021

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