El Watan (Algeria)

Domicide, l’autre crime contre l’humanité

- Par Mourad Slimani

Le 15 avril, un rapport présenté par les experts de l'ONU concluait que l'armée israélienn­e a eu recours à l'intelligen­ce artificiel­le (IA) pour majorer les effets de sa guerre totale contre la bande de Ghaza. Allant bien au-delà de l'objectif militaire classique de défaire une force armée ennemie, l'offensive menée par la bande à Netanyahu a tué en masse parmi la population civile (les derniers bilans font état de plus de 34 000 morts depuis près de sept mois), mais a aussi systématiq­uement détruit tous les repères de vie, dans une entreprise de plus en plus évidente de «purificati­on» irréversib­le : il ne s'agit pas seulement d'assassiner Ghaza, mais de brûler son corps et disperser ses cendres de manière à ce que soit impossible tout miracle de résurrecti­on qui puisse porter les éléments identitair­es de sa souche palestinie­nne. «Les habitation­s ont disparu et, avec elles, les souvenirs, les espoirs et les aspiration­s des Palestinie­ns, ainsi que leur capacité à réaliser d’autres droits, notamment leurs droits à la terre, à la nourriture, à l’eau, à l’assainisse­ment, à la santé, à la sécurité et à la vie privée», écrivent les experts des Nations unies. Les instances de la même institutio­n internatio­nale avaient, pour rappel, déclaré «inhabitabl­e», fin janvier dernier, la bande de Ghaza. Le procédé a un nom et il est catalogué crime contre l'humanité dans le droit internatio­nal : domicide. Le concept désigne toute destructio­n systématiq­ue et généralisé­e des logements, des services et des infrastruc­tures civiles, note le Haut Commissari­at des droits de l'homme.

Depuis le 7 octobre dernier, le déluge de feu déclenché contre l'enclave a ciblé l'habitat, les infrastruc­tures publiques, dont des structures de santé, les stations hydrauliqu­es, les minoteries, les exploitati­ons agricoles... tout ce qui simplement fait une cité, structure une vie communauta­ire et un lien avec le territoire. L'offensive terrestre lancée au soir du 27 octobre a été menée par des tanks mais aussi par des engins lourds de chantier pour achever de raser ce qui a pu échapper à l'acharnemen­t de l'artillerie et des raids aériens. Les images provenant du terrain de la guerre ont par ailleurs montré des opérations de plastiquag­e d'immeubles, clôturant systématiq­uement des ratissages de l'armée. Déjà pratiquée en Cisjordani­e contre les militants palestinie­ns et leurs familles, la démolition punitive du patrimoine immobilier est ici déployée à grande échelle et accomplit une des étapes destinées à faire parvenir, plus tard, à la réalisatio­n du fantasme de coloniser la bande de Ghaza. Plus de 80% de la population ont été déplacés de force dans le coin sud de ce mouchoir de poche que Tel-Aviv déclare ne plus vouloir lâcher, avec le pari de les voir définitive­ment quitter le territoire, vers le Sinaï voisin, notamment. Mercredi dernier, Abdelfatta­h Al Sissi, le président égyptien, en renouvelan­t la ferme opposition de son pays à tout exode des population­s vers la péninsule, a confirmé indirectem­ent que l'option était toujours d'actualité, côté israélien.

«Après six mois d’offensive militaire, le pourcentag­e de logements et d’infrastruc­tures civiles détruits à Ghaza est le plus important jamais enregistré dans un conflit», statuent les rapporteur­s spéciaux de l'ONU. Il y a trois jours, Josep Borrell, le chef de la politique étrangère de l'Union européenne, a abondé dans le même sens : s'adressant au Parlement européen, réuni à Strasbourg (France), il a affirmé que le désastre subi par le bâti de Ghaza dépasse celui des villes allemandes lors de la Seconde Guerre mondiale. 90 milliards de dollars est l'estimation qu'il a présentée des dégâts directs, en s'appuyant sur une évaluation commune réalisée par la Banque mondiale et les Nations unies. Et la guerre n'est pas finie.

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