Tête de pont en Libye du bataillon africain de l’armée russe
⬤ De gros Antonov russes ont été observés dans la base aérienne de Barrak Chatt, 90 kilomètres au nord de Sebha, principale ville du Sud libyen ⬤ Les bâtiments Evan Green et Alexander Otrakovsky ont jeté l’ancre au port de Tobrouk avec du matériel militai
Le magazine Military Africa, spécialisé dans les affaires sécuritaires et militaires de l’Afrique, a indiqué, dans un rapport publié vendredi dernier 26 avril, qu’un grand mouvement de troupes et de matériel russes a été récemment observé dans l’Est libyen. Ainsi, de gros avions Antonov de transport de troupes et de matériel militaire ont atterri à la base militaire de Barrak Chatt, 90 kilomètres au nord de Sebha, la capitale de Fezzan, la province du sud de la Libye. Plusieurs dizaines de soldats russes, appartenant au nouveau bataillon africain de l’armée russe, ont rejoint ceux présents dans la base, déjà sous le contrôle des forces russes, alias Wagner, alliées à Khalifa Haftar, l’homme fort de l’Est libyen. Du côté du port de Tobrouk à l’Extrême Est libyen, les bâtiments de guerre Ivan Gren et Aleksandr Otrakovskiy ont débarqué ce qui semble être les équipements dudit bataillon africain, toujours selon le magazine Military Africa. Les équipements comprennent des camions GAZ et Kamaz, de l’artillerie antiaérienne ZU-23-2, des véhicules blindés lourds et légers, etc.
L’analyste politique libyen Ezzeddine Aguil évalue la présence russe dans l’Est libyen à près de 1500 hommes, répartis surtout dans les trois bases aériennes, constituant la clé du plan de défense de l’Est libyen. D’abord Gardhabya, 20 kilomètres au sud de Syrte ; ensuite, Joufra, près de la ville de Houn, à 365 au sud de Syrte et 345 kilomètres au nord de Sebha. Enfin, il y a Barrak Chatt, 20 kilomètres au nord de Sebha. C’est dire que les Russes ont tracé une ligne imaginaire pour diviser la Libye en deux et se sont installés dans trois bases militaires stratégiques héritées d’El Gueddafi, toujours selon le politologue. «Ces positions servent de relais pour les forces russes devant rejoindre le Mali, le Niger, le Burkina ou l’Afrique centrale et peut-être même le Tchad ou le Soudan», ajoute-t-il. Ces bases libyennes pourraient bien servir au ravitaillement des troupes russes, d’où le «racolage» persistant de Haftar par le Kremlin. L’homme fort de l’Est libyen a été même reçu par Vladimir Poutine en personne, sans oublier les visites successives du vice-ministre russe de la Défense, Younes Bek Yevkurov, en Libye durant l’été et l’automne 2023, dans le cadre de ses tournées dans la région, pour réorganiser la présence russe après le changement des milices Wagner par le bataillon africain de l’armée russe.
LUTTE D’INFLUENCE
La présence russe en Libye remonte à 2016, lorsque les milices Wagner ont fait leur apparition pour soutenir les forces de Haftar dans l’Est libyen. Elle a constitué la colonne vertébrale de l’attaque de Tripoli en 2019/20. Ce fût un accord russo-turc qui a mis fin à l’encerclement de Tripoli par Haftar, le repli de ses troupes vers l’Est et l’édification, par les Russes, de la ligne Syrte/Sebha de protection de la voie d’acheminement du pétrole. L’activisme des Russes en Libye s’est développé, surtout, suite à l’extension de l’influence de leur milice Wagner dans la région subsaharienne, en commençant par l’Afrique centrale, le Mali, le Burkina et, dernièrement, le Niger. Les observateurs ont même constaté les derniers mois des contacts avec le Tchad et un soutien russe aux forces de Hamidati dans la guerre civile soudanaise, toujours via la Libye.
Face à cette razzia russe via L’Est libyen, les Américains n’ont cessé d’avertir le vieux maréchal Khalifa Haftar sur les conséquences fâcheuses d’un tel rapprochement. L’envoyé américain en Libye Richard Norland a fait de multiples déplacements à Benghazi pour rencontrer Haftar et même les membres du commandement de l’Est. Mais ce fut en vain, les Américains se sont alors tournés vers la formation des troupes du gouvernement Dbeiba par leur société sécuritaire Amentum. Cette dernière est à ses débuts en Libye et travaille sur l’intégration des milices de Tripoli au sein de l’armée. Toutefois, si les Américains ont pratiquement jeté l’éponge concernant le ralliement de Haftar à leur cause, selon le juge libyen Jamel Bennour, c’est parce que «la tentation est grande du côté de l’Est libyen de voir leurs capacités militaires se développer, comme promis par Moscou, en contrepartie de facilités au bataillon africain». Bennour explique les derniers mouvements russes dans le cadre de cet accord n’ayant pas encore pris sa forme définitive. «Les Russes n’ont pas encore opéré les renforcements prévus des bases militaires de l’Est libyen ni les formations à l’intention de l’armée de Haftar ; ce dernier n’a pas dit son dernier mot concernant les facilités à la marine russe à Tobrouk ou Benghazi», a ajouté l’activiste politique libyen, sceptique quant à l’avenir de la Libye. «Les activités des Américains d’Amentum et du bataillon africain de l’armée russe n’annoncent pas des élections pour demain à mon avis», conclut Bennour avec amertume.