Un dispositif de sécurité exceptionnel déployé à Paris
Tension extrême, fébrilité intense et climat anxiogène à l’approche de ce samedi, quatrième journée de mobilisation des «gilets jaunes» qui sera placée sous haute sécurité de 89 000 policiers et gendarmes dans toute la France, dont 8000 à Paris La France
L'alerte maximale a été décrétée hier à Paris à la veille d'un nouveau samedi de manifestations des «gilets jaunes», une crise qui déchire la France depuis trois semaines.
Les mots sont lâchés ici et là : «Révolution», «Insurrection», «Guerre civile».
L’Exécutif craint de nouvelles violences à Paris mais aussi dans d’autres villes et en appelle à la responsabilité de tous. Il craint ainsi une alliance entre ultradroite, ultragauche, «gilets jaunes» les plus remontés et jeunes de banlieue, dont certains se sont livrés à des pillages samedi dernier dans la capitale.
Dans Le Figaro, l’Elysée considèrerait qu'«on est dans une tentative putschiste». Il lui aurait été signalé par les services de renseignement des «appels à tuer et à se munir d'armes à feu pour s'en prendre à des parlementaires, au gouvernement, à l'Exécutif et aux forces de l'ordre», rapporte Le Figaro. L’Exécutif, qui se montre inquiet d’une mobilisation jugée toujours plus «incontrôlable» et «insaisissable», selon les mots du Premier ministre Edouard Philippe, donne des signes de grande fébrilité. «Ce qui est en jeu, c’est la sécurité des Français et nos institutions. Je lance ici un appel à la responsabilité», a dit Edouard Philippe lors d’un discours devant l’Assemblée, mercredi. «Tous les acteurs du débat public, responsables politiques, responsables syndicaux, éditorialistes et citoyens, seront comptables de leurs déclarations dans les jours qui viennent», a lancé le Premier ministre devant les députés. De son côté, le président Macron a demandé aux partis politiques, aux syndicats et au patronat de «lancer un appel clair et explicite au calme». Le ministre de l'Intérieur, quant à lui, a appelé «les gilets jaunes raisonnables» à ne pas se rassembler ce samedi. Le ministre de l’Action et des Comptes publics, Gérald Darmanin, a rappelé sur France Inter que l’on déplorait «quatre morts, des centaines de blessés, hier encore deux lycéens en urgence absolue» depuis le début du mouvement : «Samedi prochain nous avons raison, me semble-til, de prévenir les Français qu’il faut être raisonnable car il peut y avoir effectivement des événements dramatiques».
Le président de l'Assemblée nationale, Richard Ferrand, a annoncé à l'AFP que le président Emmanuel Macron, «lucide sur le contexte et la situation», avait décidé d'attendre avant de prendre la parole.
APPELS AU CALME
Les appels au calme et à la vigilance et à la dissuasion de manifester à Paris fusent de partout, de la part du gouvernement, de partis politiques, des syndicats, du patronat, de la maire de Paris, de ceux qu’on appelle les «gilets libres» ou «modérés». Benjamin Cauchy, leur porte-parole, a estimé hier que la manifestation parisienne était un «traquenard». «C'est bel et bien dans les territoires que de façon pacifiste les Français manifesteront leur mécontentement vis-à-vis de cette politique qui ne nous convient pas et qui ne convient pas à 85% des Français», a-t-il déclaré. Ce collectif craint «qu'il y ait des morts» et aussi «que nous tombions dans le piège que Christophe Castaner (ministre de l’Intérieur, ndlr) tente d'ériger depuis plusieurs semaines, qui est celui d'associer les Français aux casseurs», a expliqué Benjamin Cauchy. La maire de Paris, Anne Hidalgo, en recevant hier les maires d’arrondissement, les a invités à assurer la protection des Parisiens, appelant au «calme», «à la sérénité», «au sang-froid» et «à la vigilance». «Tout cela va mal finir», craint l'ancien Premier ministre Alain Juppé. Un autre ancien chef de gouvernement, Edouard Balladur, a estimé hier sur Europe 1 que «faute d'interlocuteur», la crise de mai 68 était plus facile à gérer que celle d'aujourd'hui.
UN MOUVEMENT SOUTENU PAR L’OPINION PUBLIQUE
Si 8 Français sur 10 soutiennent les «gilets jaunes», ils sont inquiets quant à la journée de ce samedi. Malgré l'annonce de la suspension des hausses des taxes sur les carburants et des tarifs du gaz et de l'électricité, la suppression de la hausse de la taxe carbone dans le budget 2019, les appels des «gilets jaunes» à manifester continuent : «On va se rendre sur Paris et manifester, sans violence».
Pour près de huit Français sur dix (78%), les annonces des mesures du gouvernement ne répondent pas aux attentes exprimées par les «gilets jaunes», selon un sondage Elabe diffusé mercredi. L'approbation de la mobilisation reste par ailleurs élevée, avec 72% (-3) des Français qui ont de la sympathie pour le mouvement ou le soutiennent.
Deux Français sur trois (63%) estiment que la mobilisation doit se poursuivre. Pour 37% (+6), elle doit s'arrêter. Ils condamnent en revanche massivement (82%) les violences qui se sont produites samedi durant la mobilisation, même si 37% disent les comprendre. La journée du 1er décembre a marqué un tournant dans leur mobilisation. Ils parlent, depuis, de réforme du système, de démission ou encore de destitution du président Macron pour les plus radicaux.
LES SYNDICATS ENTRENT EN SCÈNE
Les organisations syndicales, d'une part, et patronales, d'autre part, ont chacune publié hier un communiqué appelant «au calme et au retour à un dialogue apaisé et s'engageront dans les concertations à venir», écrit le patronat, qui alerte contre les dangers d'un «nouvel accès de violence». «Le dialogue et l'écoute doivent retrouver leur place dans notre pays. C'est pourquoi nos organisations dénoncent toutes formes de violence dans l'expression des revendications», déclarent pour leur part les organisations syndicales, qui s'engagent elles aussi dans le dialogue. Dans le même temps, la CGT a publié un communiqué dans lequel elle «s'indigne et condamne fermement l'attitude du gouvernement qui répond par la seule violence aux légitimes exigences qui s'expriment diversement dans tout le pays».
MOBILISATION LYCÉENNE
A la colère des «gilets jaunes» qui attendent plus de «justice sociale», d’«écoute» et de «considération» s’agrègent d’autres colères. En effet, la révolte sociale amorcée par «les gilets jaunes» est en train de faire tache d’huile, notamment chez les lycéens. Ces derniers étaient hier à leur 5e journée de mobilisation contre la réforme du bac et Parcoursup. Plusieurs dizaines d'établissements étaient encore bloqués hier, avec des manifestations émaillées d'incidents partout en France. La situation en Ile-de-France est particulièrement tendue, au lendemain de l'interpellation de plus de 150 lycéens à Mantes-la-Jolie, dans les Yvelines, jeudi, dont les images ont suscité l'indignation. La CGT et FO Transports ont levé hier leur appel à la grève valable à partir de dimanche après avoir obtenu des garanties sur le paiement des heures supplémentaires. «Toutefois, a prévenu Force ouvrière, si les employeurs ne respectent pas leurs paroles et leurs écrits, si le gouvernement dans sa Loi (d'orientation des mobilités, LOM, ndlr) ne respecte pas ses engagements, un conflit dur pourrait débuter à tout moment d'ici à l'été 2019», dans une déclaration à Reuter. Le syndicat «soutient toujours les ''gilets jaunes'' dans les revendications du pouvoir d'achat», a-t-il ajouté.
La CGT maintient toutefois une journée d'action nationale le 14 décembre pour «agir sur les salaires, les pensions et la protection sociale». Les agriculteurs pourraient eux aussi débrayer.
UN DISPOSITIF DE SÉCURITÉ EXCEPTIONNEL
La quasi-totalité des forces mobiles de la police et de la gendarmerie sont mobilisés sur toute la France. Soit, selon BFM TV, au moins 155 escadrons de forces mobiles, 55 compagnies de CRS sur les 60 dont dispose la police et au moins 100 escadrons de gendarmerie mobile, sur 109. Au total, ce sont donc au moins 12 000 CRS et gendarmes mobiles qui vont être mobilisés aujourd’hui sur toute la France. A ces effectifs s'ajoutent ceux des autres services et unités (Police judiciaire, BAC, police technique et scientifique) de la police et de la gendarmerie, comme de la préfecture de police de Paris.
A Paris, pour la première fois depuis des décennies, l'Etat engagera des «VBRG», ces véhicules blindés à roues de la gendarmerie.
Au total, 15 sites pourraient être concernés par les violences en marge de la mobilisation. Les autorités appellent donc à la prudence et au respect des consignes dans le 8e arrondissement, des artères de la place de l'Etoile, à la Concorde, en passant par les transversales aux Champs-Elysées, mais aussi le secteur de l'Elysée, de Matignon, Beauvau, l'Assemblée nationale, la Madeleine, Opéra. Les grands Boulevards sont également concernés, tout comme la Bastille, le quartier de République ou encore le quartier de Montparnasse.
LES RETOMBÉES ÉCONOMIQUES
Lundi 3 décembre au matin, le ministre de l'Economie, Bruno le Maire, a dressé un premier état des lieux des conséquences pour l'économie française. «La baisse du chiffre d'affaires est de l'ordre de 15 à 25% dans la grande distribution, 20 à 40% dans le commerce de détail, de 20 à 50% dans la restauration», a énuméré M. Le Maire. L'industrie a également été frappée par les mobilisations de ces dernières semaines. Le secteur de l'automobile serait particulièrement touché.