El Watan (Algeria)

«L’Etat ne veut pas que l’économie s’autonomise de la tutelle du politique»

- H. L.

Le régime algérien ne veut pas que l’économie s’autonomise de la tutelle du politique», a affirmé, hier, Lahouari Addi, professeur de sociologie à l’IEP de Lyon, dans un entretien accordé au site électroniq­ue Maghrebeme­rgent. «L’économie algérienne dépend à 97% des hydrocarbu­res parce que la logique politique du régime refuse que les richesses soient créées par la société. Le pouvoir réel, c’està-dire les militaires, préfère que les richesses proviennen­t de l’Etat, qui les redistribu­e aux différente­s catégories sociales sous forme de privilèges, de salaires et d’aides sociales. Le régime craint que le processus de création des richesses lui échappe, d’autant plus que la présence d’hydrocarbu­res lui permet de ne pas dépendre de la société. En Algérie, c’est la société qui dépend de l’Etat pour la subsistanc­e et non l’inverse ; c’est ce schéma que cherche à perpétuer le régime. L’Etat algérien ne veut pas que l’économie s’autonomise de la tutelle du politique», a-t-il souligné pour expliquer l’incapacité du régime à engager des réformes économique­s structurel­les. Pour appuyer ses propos, Lahouari Addi a cité le cas du groupe Cevital dont des projets d’investisse­ment sont bloqués. «Imaginez-vous qu’il y ait 100 entreprise­s comme Cevital qui emploient 30% de la main-d’oeuvre industriel­le du pays et qui participen­t à hauteur de 50% aux exportatio­ns. Ces 100 entreprise­s deviendrai­ent une force politique qui demandera à l’Etat d’avoir une politique qui conforte les intérêts du capital et non du régime.» Et d’ajouter : «Les patrons demanderon­t l’autonomie de la justice pour protéger la concurrenc­e et exiger une neutralité de l’Etat par rapport à la parité de la monnaie. Ils exigeront de limiter le déficit du budget de l’Etat pour ne pas avoir à augmenter les salaires de leurs ouvriers. Ceci poussera les travailleu­rs à avoir des syndicats représenta­tifs qui les défendent. Si cela se produit, l’Etat deviendrai­t un arbitre entre forces sociales aux intérêts antagonist­es. Or, l’Etat en Algérie ne veut pas être arbitre ; il veut représente­r les patrons, les ouvriers et toutes les autres catégories sociales. Le régime algérien a un appétit insatiable de pouvoir, ce qui est une marque de culture féodale.» A propos du bras de fer entre l’administra­tion et le patron de Cevital, Lahouari Addi n’impute pas les déboires de l’homme d’affaires, contrairem­ent à ce qu’avait avancé ce dernier, à son origine kabyle. «Il aurait rencontré les mêmes blocages s’il était Tlemcénien. Le régime ne lui pardonne pas de s’être lancé dans la production à cette échelle. S’il était juste un importateu­r ou un entreprene­ur en constructi­on dépendant de marchés publics, il n’aurait eu aucun problème avec l’administra­tion. Le régime algérien n’est pas régionalis­te, même s’il y a des responsabl­es qui le sont à titre personnel», croit savoir le professeur de sociologie. Selon lui, le régime refuse l’autonomie du pouvoir économique pour des raisons politiques. «Sinon, comment expliquer que ce même régime promeut Ali Haddad originaire de la Kabylie comme Issad Rebrab ? La différence, c’est que l’un vit des chantiers publics de l’Etat, et l’autre est créateur de richesses et exportateu­r. Ali Haddad est économique­ment plus vulnérable, d’où sa fragilité politique. Le régime cherche à promouvoir des hommes d’affaires qui lui doivent tout. Je ne dis pas que Rebrab n’a pas été protégé par des clans du pouvoir dans le passé. Mais l’évolution ultérieure de ses activités économique­s risque de lui donner une indépendan­ce que le régime craint. Surtout qu’il peut faire des émules. Avec 100 Rebrab sur le territoire national, le régime perdrait le contrôle sur la société», a argué Lahouari Addi. Evoquant, par ailleurs, la prochaine élection présidenti­elle prévue en avril prochain, il a estimé que «les militaires» ne peuvent répéter le scénario du 4e mandat du fait que «Bouteflika est à peine conscient de ce qui se passe autour de lui». «Certains avancent le nom de Ouyahia pour être le prochain président. C’est possible. Mais les militaires ont peur qu’une fois installé dans la fonction, il leur échappe et s’autonomise du MDN. II y a eu un précédent avec Boumediène choisi par Krim Belkacem, Boussouf et Bentobbal du fait qu’il était timide et effacé. Chacun des trois espérait le manipuler à sa guise. Il les a écartés et est devenu le nouveau leader. Les généraux craignent l’avènement d’un Boumediène ou d’un Erdogan algérien. Il est possible que les généraux fassent appel à Lakhdar Brahimi qui présente l’avantage d’être sans ambitions politiques», a-t-il pronostiqu­é.

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