Management : des milliards d’heures de travail perdues
L’objectif souvent mis en avant des pouvoirs publics et des patrons privés serait de relever le défi de la compétitivité internationale. Il ne peut y avoir exportation de masse, pour compenser la chute des prix des hydrocarbures, que par une compétitivité accrue dans les domaines de l’agriculture, l’industrie et les services. On note que la plupart des pays priorisent l’exportation dans leur conception et exécution des politiques économiques. Si tout le monde veut exporter ce seraient seulement les plus performants qui arriveraient à le concrétiser. Nous devons donc booster nos performances économiques à leur niveau potentiel. Il est curieux de constater que l’on ne parle plus de mise à niveau des entreprises au moment ou on évoque, de plus en plus, l’exportation hors hydrocarbures comme l’une des solutions à nos maux économiques. Comme si l’une était antinomique de l’autre. Pourtant ce sont deux conceptions et pratiques indissociables. Il ne nous sera pas possible de répertorier tous les éléments qui constituent des faiblesses manifestes en termes de compétitivité de nos entreprises. Un diagnostic profond nous permettrait de déceler quelques forces, mais de nombreuses faiblesses dans toutes les fonctions. Le phénomène de la déperdition des heures de travail concerne aussi bien les entreprises publiques que privées. Il est largement présent dans les institutions à but non lucratif : hôpitaux, universités, administrations publiques, ONG, etc. il est devenu une culture, une manière de se comporter largement acceptée par les personnes, les syndicats, les patrons et les responsables de tous genres au sein de la hiérarchie. Il est responsable de la déperdition de centaines de milliards d’heures de travail perdues dans notre pays par semaine. C’est ce qu’on pourrait appeler «mono poste mono activité». Nous allons détailler le processus dans ce qui suit.
MONOPOSTE, MONOACTIVITÉ
Au sein de nos entreprises, on a les dénominations de postes qui conditionnent les activités à mener par les personnes qui les occupent. Ailleurs, c’est le temps de travail effectivement engagé au sein de l’entreprise qui détermine les activités à entreprendre. Nous avons pu constater de nombreuses fois qu’une personne ne fait qu’un travail lié à son poste, même si le volume d’emploi effectivement réalisé ne dépasse pas une heure par jour. Dans une PME qui a externalisé la comptabilité, on peut avoir un service suivi de comptabilité et finance où un chef de service exerce avec une secrétaire. Si on calculait le volume de travail effectué il serait d’environ deux heures par jour. Mais personne n’a jamais calculé le temps de travail effectif des différents départements et services. Les six heures de travail perdues auraient pu être effectuées dans d’autres domaines : commercialisation, qualité, accueil clients. Mais non! Le poste s’appelle suivi comptabilité et finance, donc on ne fait que cela. Ce n’est pas comme cela que fonctionnent les PME/PMI ou même les grandes entreprises internationales qui sont nos adversaires à l’exportation. Nous avons pu constater de visu lors des différentes visites d’entreprises internationales que depuis longtemps on a dépassé la relation étroite entre dénomination de poste et activités. Parmi les multitudes d’exemples, un chauffeur qui accueille les invités à l’aéroport, arrivé à l’entreprise il joue le rôle de traducteur au sein des réunions, parfois il accueille et renseigne les clients, en fin de journée il joue le rôle de guide, etc. L’essentiel est de produire huit heures de travail par jour. Il est recruté avec cette idée, il est formé et a intégré dans son comportement qu’il doit produire huit heures de travail par jour et non de conduire deux heures comme c’est le cas dans de nombreuses entreprises du Tiers-Monde. Ce phénomène est très répandu dans les postes administratifs. Dans les lieux de production, il est moins fréquent, mais existe quand même à des niveaux insupportables. Le problème est que nos entreprises et nos administrations n’ont pas développé de spécialistes capables d’évaluer le temps de travail de leurs employés. On ne les a pas également formés pour faire autre chose en dehors des activités liées à la dénomination de leur poste.
LE PROBLÈME EST PLUS PRONONCÉ POUR LES HAUTS POSTES
Nous n’allons pas jusqu’à dire que nous avons là le seul ou le plus important problème de compétitivité. On a de nombreux autres postes tout aussi importants. Nous devons avoir des managers de ressources humaines capables de calculer le temps de travail, de former leurs ressources et de les faire travailler dans d’autres activités pour compléter les huit heures de travail. Dans les administrations c’est pire. Vu qu’il n’y a pas obligation de résultat, on laisse filer des postes de travail à temps très minimal sans évaluation aucune. Nous avons pu constater dans une administration un poste de suivi des contrats. La personne en charge recevait deux contractants par semaine. Probablement, le temps de travail total effectué serait au maximum de quatre heures par semaine. Le reste du temps, il ne fait rien puisque son poste de travail s’appelle «suivi des contrats». Plus on grimpe dans la hiérarchie des entreprises, plus ce phénomène s’amplifie. La dénomination du poste devient de plus en plus un phénomène trompeur qui confine son détenteur à n’essayer de faire que ce qui est du ressort de l’appellation. De nos jours, les entreprises se gèrent de plus en plus en mode projets. Ce qui implique que le poste-clé détenu reste prioritaire, mais on participe à la transformation de l’entreprise dans de nombreux projets. Par exemple un sous-directeur finances a pour tâches principales le budget, le suivi de la trésorerie, etc. Il fait cela en moyenne deux jours sur cinq. Mais pour une demi-journée, il travaille sur le projet certification, pour une autre demijournée, il travaille avec le comité d’exportation, il est aussi membre du comité d’amélioration de la productivité, etc. lorsqu’on additionne ses activités il ferait ses huit heures par jour. Mais nous devons avoir des managers de ressources humaines qui oeuvrent dans ce sens. Le phénomène concerne certaines entreprises plus que d’autres. Mais il est sérieux et prévalent. Surtout dans les administrations publiques. La prise de conscience de ce phénomène ne va pas l’endiguer. C’est à travers l’action que les correctifs peuvent être emmenés. Pour le moment, ce sont des milliards d’heures de travail que l’on perd par semaine. Cette situation ne peut que nous nuire en situation d’incertitude et d’intense compétition internationale. Il y a quelques entreprises qui arrivent à mieux s’en sortir dans le management du temps de travail de leurs ressources humaines. On peut les «Benchmarker» (les imiter) et améliorer la productivité des ressources humaines, condition sine qua non de compétitivité. A. L.
PH.D en sciences de gestion