El Watan (Algeria)

«La loi électorale laisse apparaître ses effets pervers»

- LIRE L’ENTRETIEN RÉALISÉ PAR M.-F. GAÏDI NASR-EDDINE LEZZAR. Avocat

La quasi-totalité des exclus aux prochaines législativ­es ont fait les frais de l’ordonnance n° 21-01 du 10 mars 2021 portant loi organique relative au régime électoral. Quelle critique faites-vous ?

C’est dans la mise en oeuvre d’un texte que ses desseins cachés apparaisse­nt. La loi électorale du «renouveau national» laisse apparaître ses effets pervers. L’article 200 de la loi électorale 2021 fixant les conditions de candidatur­e contient un alinéa vaseux et fumant, selon lequel, «le candidat à l’Assemblée populaire nationale ne doit pas être connu de manière notoire pour avoir eu des liens avec l’argent douteux et les milieux de l’affairisme et pour son influence directe ou indirecte sur le libre choix des électeurs ainsi que sur le bon déroulemen­t des opérations électorale­s». Cette rédaction non rigoureuse, approximat­ive, utilisant des termes imprécis, ouvre la voix aux subjectivi­tés, aux appréciati­ons discrétion­naires et arbitraire­s de l’autorité «indépendan­te». Et c’est là où commence l’abus de droit ! Cette commission procède à une présélecti­on des candidats et décide avant le peuple. La responsabi­lité du rejet incombe exclusivem­ent à l’Autorité indépendan­te et non aux services de sécurité.

La responsabi­lité historique de ces services incombe aux rédacteurs du texte. En faisant un peu de droit comparé, nous remarquons que l’article 200 de la nouvelle loi ressemble comme un frère jumeau à l’article 92 de l’ancienne loi électorale de 2016, à laquelle on ajoute la situation fiscale et la limitation des mandats. Sauf que le nouveau texte insère la condition suscitée qui est, pour le moins, incongrue et emplie d’ambiguïtés. Que peut-on entendre par «notoiremen­t connu» ? N’est-ce pas là une consécrati­on de la «rumeur» comme base des décisions officielle­s. La rumeur se crée et se manipule mais ne se prouve pas. «Avoir un lien avec l’argent douteux.» Comment déterminer ce lien et sa nature ? Et pourquoi faire droit au doute ? Où est la présomptio­n d’innocence ? Les milieux de l’affairisme ? La formule est totalement floue. Doit-on exclure tous les candidats qui font du commerce et qui sont dans ce qu’on appelle «les affaires» ? «L’influence directe ou indirecte sur le libre choix des électeurs ?» Cette dernière formule est plutôt cocasse ; le candidat ne doit pas avoir la capacité de convaincre les électeurs. Enfin, pourquoi écarter quelqu’un qui influe sur le bon déroulemen­t des élections. On devrait garder uniquement les personnes qui n’ont aucun impact sur les électeurs.

Vous avez affirmé que la dispositio­n légale qui a permis le rejet des candidatur­es par la commission indépendan­te n’existait pas dans l’ancienne loi électorale ! Doit-on conclure à un recul des garanties pour des élections propres et honnêtes ?

En effet, tout porte à le croire ! La représenta­tivité dans les institutio­ns élues doit attendre une autre phase historique.

Est-il possible aux candidats aux élections et d’autres d’obtenir une copie des rapports de sécurité et connaître officielle­ment la ou les raisons du rejet, sachant qu’auparavant plusieurs cadres ont été victimes de faux rapports ?

Je dois d’abord vous dire que nous ne connaisson­s pas les véritables fondements sur lesquels la commission s’est basée pour avoir une conviction de l’opportunit­é d’écarter tel ou tel candidat. Cependant, sur le plan juridique, les rapports des services de sécurité ne sont pas évoqués dans le texte de la loi électorale. Ces rapports ne sont pas des documents contradict­oires, c’est-à-dire portés à la connaissan­ce des intéressés, pour qu’ils soient discutés, critiqués, corrigés, contredits ou validés par la personne concernée. Ils n’ont pas, non plus, de valeur juridique contraigna­nte. Cependant, si la commission des élections s’y réfère, cela doit être dû au fait que sa composante a évolué dans un système et une culture d’un Etat policier. Car rien dans le texte de la loi électorale n’indique l’utilisatio­n d’une pareille source et la force probante qu’on doit lui donner. C’est avec les prééminenc­es des infirmatio­ns et décisions policières que se construit un Etat policier. Tout part de la police et tout finit chez elle. En définitive, l’utilisatio­n et l’exploitati­on des rapports des services de sécurité pour l’admission des candidatur­es ne sont pas tant un problème de textes qu’un problème de personnes et de culture. Les rapports des services de sécurité ne sont évoqués nulle part dans la loi et ne sauraient constituer une base légale de rejet d’une candidatur­e. Cette pratique est aussi une survivance, une réminiscen­ce de l’état d’urgence que nous avons vécu depuis des années et qui se caractéris­e par une extension des pouvoirs de police. Pour ceux qui s’en souviennen­t – c’était et c’est, peut-être encore et toujours, la période du tout sécuritair­e, où le moindre recrutemen­t d’un agent dépendait d’un avis favorable des services de sécurité. En outre, et c’est plus grave, l’introducti­on de cette règle dans la culture du système provenait du sommet de l’Etat ! Je garde toujours en mémoire une des premières interviews de l’exprésiden­t Abdelaziz Bouteflika. Un journalist­e l’interrogea­it sur les raisons du retard du mouvement des magistrats qui, traditionn­ellement, se déroulait au mois de juin. La réponse fut simple, glaçante et cinglante : «Nous attendons les rapports des services de sécurité.» Pourquoi l’ex-président de la République ne s’était pas référé aux structures compétente­s du ministère de la Justice et au Conseil supérieur de la magistratu­re ? La messe était dite ; la carrière des magistrats, théoriquem­ent indépendan­ts, socle de l’Etat de droit, se trouvait suspendue à un rapport des services de sécurité. Le président de la République, garant de la séparation des pouvoirs et de l’indépendan­ce de la justice, informait les juges que l’évolution de leur carrière était tributaire de l’appréciati­on des services de sécurité. Cette réponse du Président à l’amorce de son mandat soumettait l’Etat de droit à l’Etat policier. Cela dura 20 ans et semble perdurer.

Pourquoi ne pas ouvrir la voie à la réclamatio­n ou au recours contre la décision de rejet devant les services de sécurité puis dvant les tribunaux compétents, avant que l’occasion ne soit perdue, notamment pour les postulants aux postes à hautes responsabi­ltés ?

On fait un recours contre des décisions de nature juridique. Or, les rapports des services de sécurité, qui sont parfois bien élaborés, ne constituen­t pas des actes juridiques. Il n’est pas question, et ce serait trop grave, de faire un recours contre les rapports des services de sécurité qui ne sont pas des éléments du dossier de candidatur­e. La commission indépendan­te décide et tranche sur pièces. Elle évalue le dossier et décide uniquement sur la base des documents, exigés par la loi, dans le dossier de candidatur­e, sans plus. Toute décision de nature administra­tive qui n’est pas fondée sur une base légale, c’est-à-dire un motif prévu par la loi et prouvé par des moyens probants, est un excès de pouvoir.

Mais est-ce que la commission indépendan­te n’est pas une garantie contre les dérives probables que vous présentez ?

La première condition de nature à garantir l’indépendan­ce d’une commission est la protection de ses membres par le principe et la règle de l’inamovibil­ité durant leur mandat. Or, il y a quelques jours, nous avons appris que des membres de ces commission­s ont été remerciés et remplacés sans motif, sans explicatio­n, sans aucune forme de procès. Il semble très difficile de soutenir qu’une personne peut être indépendan­te et souveraine dans ses décisions alors que son statut et sa carrière sont suspendus à une décision arbitraire non motivée.

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Maître Nasr-Eddine Lezzar

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