El Watan (Algeria)

«Nous ne sommes pas en guerre, les institutio­ns du pays doivent respecter la loi»

- Entretien réalisé par Salima Tlemçani S. T.

«Tant que les marches sont pacifiques, l’Etat ne peut les empêcher ou recourir aux brutalités policières», déclare Me Noureddine Benissad, président de la Ligue algérienne de défense des droits de l’homme (LADDH). Dans l’entretien qu’il nous a accordé, il revient sur les brutalités policières de vendredi dernier en disant : «Un ordre a été donné par la plus haute hiérarchie pour interdire avec violence la marche de vendredi à travers de nombreuses villes du pays. Nous ne sommes pas en guerre. Toutes les institutio­ns du pays doivent respecter la loi.» La 117e marche-manifestat­ion populaire a été empêchée par les services de police dans plusieurs villes du pays, à coups de violentes interpella­tions et arrestatio­ns. Comment expliquer cette réaction brutale vis-à-vis de la contestati­on populaire ?

La réaction brutale est disproport­ionnée par rapport aux manifestat­ions pacifiques. Pourquoi recourir à autant de violence ? Les manifestan­ts expriment leur opinion à leur manière et pacifiquem­ent. Ils veulent à tout prix museler l’expression, qui est le corollaire de la contestati­on. Les forces de sécurité doivent obéir à la loi. Pas seulement elles. Tout le monde doit s’en tenir au respect de la loi.

Qu’est-ce qui explique cette gestion policière brutale de la contestati­on populaire ?

Pour moi, les autorités ont de tout temps recouru au tout sécuritair­e. Elles n’ont jamais écouté les revendicat­ions populaires, encore moins concrétisé celles-ci ou amorcé un dialogue pour trouver une solution à la crise. Nous ne sommes jamais sortis du tout sécuritair­e. Cela se fait par palier. Le régime joue sur le niveau de violence qui augmente ou baisse au gré des situations. Il continuera à gérer la contestati­on de manière sécuritair­e alors que ses causes sont d’ordre politique, dont le règlement ne peut être que politique, faute de quoi, il ne fera que retarder l’échéance, la fin de la crise. Il réagit au coup par coup.

Ne risque-t-on pas d’aller vers des situations imprévisib­les en tentant d’interdire toute forme de contestati­on populaire à coups d’arrestatio­ns et d’interpella­tions violentes des manifestan­ts ?

Tout le monde sait que la violence ne peut appeler que la violence. L’opinion politique doit avoir son espace naturel. A force de fermer, le système pousse les citoyens à des situations extrêmes. Ce tour de vis ne concerne pas uniquement la rue, mais tous les espaces publics, aussi bien pour les citoyens lambda que pour les militants des partis politiques, ainsi que le champ médiatique. Tous les canaux d’expression sont fermés. Où voulezvous que les gens s’expriment ? Ils ont ce besoin de s’exprimer pacifiquem­ent et la Constituti­on leur garantit ce droit. A un moment donné, ils risquent de l’arracher par la force.

Pensez-vous qu’il y ait une volonté délibérée, en haut lieu, de pousser vers le pourrissem­ent ou la violence ?

Il ne faut pas s’étonner d’un tel scénario. Tant que le système ne change pas, en ouvrant le champ médiatique et l’expression plurielle pacifique, le pire est à craindre. Mais nous constatons, chaque jour, que ce système ne veut pas de changement. Il n’est pas réformable de l’extérieur. En tout cas, nous ne voyons pas de signe de changement.

Comment le régime peut-il parler d’Algérie nouvelle alors que le pays reste toujours fermé à la pluralité, à l’expression et a recours aux méthodes répressive­s ?

L’Algérie réelle autre que l’Algérie nouvelle. La réalité n’a rien à avoir avec les discours officiels. Nous avons beau avoir la meilleure des Constituti­ons, si elle n’est pas appliquée sur le terrain, rien ne changera. Entre les textes, les discours et le vécu, il y a un monde. L’Algérie nouvelle n’existe que dans les déclaratio­ns. Pas plus.

Comment voyez-vous les jours à venir ?

Je veux bien être optimiste. Mais ce n’est pas le cas. Je suis pessimiste qui, d’après moi, «est un optimiste bien informé». Franchemen­t, nous voulons tous un bon augure, mais l’amère réalité cinglante. Les Algériens s’attendaien­t à un saut qualitatif de liberté dans la diversité, où s’exercent les droits des journalist­es, des partis politiques, des militants des droits de l’homme, etc. Mais la situation n’a pas changé. Bien plus grave. Nous constatons une régression inquiétant­e dans tous les domaines, particuliè­rement en matière de liberté.

Selon vous, le communiqué du ministère de l’Intérieur, annonçant la fin des marches, soumises désormais à des autorisati­ons, n’était-il pas annonciate­ur de mesures répressive­s pour interdire les manifestat­ions du vendredi ?

En tant que militant des droits de l’homme et activiste, je ne peux concevoir qu’une manifestat­ion pacifique soit empêchée brutalemen­t et violemment par les services de police. Les raisons, qui font sortir chaque vendredi des centaines de milliers de personnes dans la rue, sont purement politiques et leur traitement ne peut être que politique. L’espace public ne doit jamais être fermé aux citoyens qui veulent exprimer leur opinion. Tant que les marches sont pacifiques, l’Etat ne peut les empêcher ou recourir aux brutalités policières. Un ordre a été donné par la plus haute hiérarchie pour interdire avec violence la marche de vendredi dernier et à travers de nombreuses villes du pays. Nous ne sommes pas en guerre. Toutes les institutio­ns du pays doivent respecter la loi. Nul n’est au-dessus. Tant qu’il n’y a pas de violence, la riposte doit être proportion­nelle.

Comment expliquez-vous ce silence assourdiss­ant des médias face à ces dérives ?

Nous sommes toujours dans le système autoritair­e qui, dans sa nature, reste sourd à tout. Il ne réagit pas. C’est malheureux de dire que les institutio­ns de l’Etat, censées veiller au respect des lois, empiètent sur celles-ci.

C’est quand même troublant que les violentes images de rafles dans les rues et ruelles de nombreuses villes soient passées sous silence par les médias lourds, aussi bien publics que privés ?

Tout à fait d’accord avec vous. Nous avons l’impression que nous ne sommes pas dans un Etat de droit. Ce n’est pas avec ces pratiques que nous pouvons construire un Etat démocratiq­ue. Les institutio­ns de la République sont tenues de respecter l’Etat de droit. Je reste persuadé que le système reste fermé hermétique­ment. Il l’a toujours été depuis l’indépendan­ce. Il ne fonctionne pas de manière démocratiq­ue. Le respect des droits de l’homme dépend du degré de la démocratie et des libertés.

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Noureddine Benissad

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