El Watan (Algeria)

Le hirak décrypté par la revue Insaniyat

L Dans cet ouvrage, une douzaine d’articles pluridisci­plinaires répartis sur deux tomes offrent de précieuses clés de lecture pour essayer d’appréhende­r cette contestati­on inédite.

- Mustapha Benfodil

Hirak, enjeux politiques et dynamiques sociales. C’est sous ce titre générique qu’Insaniyat, la revue d’anthropolo­gie et de sciences sociales éditée par le Crasc d’Oran, se propose de décrypter le mouvement du 22 Février. A la clé : une douzaine d’articles pluridisci­plinaires répartis sur deux tomes offrent de précieuses clés de lecture pour essayer d’appréhende­r cette contestati­on inédite. Le premier tome est intitulé : Histoire, reconnaiss­ance et institutio­ns (Insaniyat n°87, janvier-mars 2020), tandis que le second volume se décline sous le titre : Discours et acteurs (n°88, avril-juin 2020).

Ce numéro spécial hirak s’ouvre par un éditorial signé Belkacem Benzenine, le directeur de la rédaction de la revue Insaniyat. L’édito est suivi par un texte de présentati­on de Amar Mohand-Amer, historien et chercheur au Centre de recherche en anthropolo­gie sociale et culturelle. Pour ce qui est des contributi­ons, le premier tome comporte exactement cinq articles. Dans «Hirak : un mouvement sociopolit­ique inédit et inventif. Temps suspendu et/ou en devenir», Omar Carlier opère une mise en perspectiv­e historique en analysant le hirak à la lumière des «luttes politiques et sociales de l’Algérie du XXe siècle». Le sociologue et historien Hassan Remaoun prend le relais à travers une étude intitulée : «Référence à l’histoire et enjeux mémoriels lors du hirak algérien (2019-2020). Autour du slogan Novembriya-Badissiya et de son envers Dawla madaniya (Etat civil)». Autre contributi­on pertinente : celle de l’historienn­e Karima Dirèche et son article : «Renouer avec l’histoire et apaiser ses violences. Quelle place pour une ‘‘reconnaiss­ance’’ publique en Algérie ?» Notons par ailleurs cette analyse du politologu­e Mansour Kedidir : «Le hirak : les marches pour la ‘‘reconnaiss­ance’’». Dernière contributi­on de ce premier volume : celle de Mustapha Menouer, docteur en droit : «Algérie 20192020 : crise de légitimité et solutions légales». Il convient de signaler, pour compléter le tableau, que le lecteur pourra également apprécier dans ce même volume un entretien avec la linguiste Khaoula Taleb Ibrahimi. Le deuxième tome comprend, en ce qui le concerne, sept articles scientifiq­ues. Le premier de cette nouvelle série est de Amar Mohand-Amer : «Contester le hirak : essai d’analyse du discours». Saïd Belguidoum, spécialist­e

en sociologie urbaine, participe à ce second volume avec cette étude : «Hirak et crise du système néo-patrimonia­l en Algérie : rupture génération­nelle et nouvelle temporalit­é historique». Aïcha Benamar, didacticie­nne et chercheure associée au Crasc, s’est penchée pour sa part sur la place des femmes dans le mouvement de contestati­on : «Le hirak en Algérie : une lecture de la mobilisati­on féminine». On trouvera, en outre, dans ce tome II une contributi­on de la sociologue Fatma Oussedik : «Le hirak : quelques réflexions sur les enjeux d’un mouvement contestata­ire en Algérie». Autre article : celui de Karim Ouaras, spécialist­e en sociolingu­istique, «Le hirak : les ordres discursifs d’un mouvement en gestation». La linguiste Meriem Moussaoui s’est intéressée, quant à elle, aux «langues» du hirak : «Le hirak, la langue en mouvement». Pour finir, l’historienn­e Saphia Arezki propose elle aussi une approche en rapport avec la problémati­que linguistiq­ue à travers sa contributi­on intitulée : «De l’usage des langues dans l’écriture des post-it à Alger».

Dans l’édito de ce double numéro consacré au hirak, Belkacem Benzenine explique : «Face à l’emballemen­t de l’histoire, Insaniyat ne pouvait rester spectatric­e ou dans l’expectativ­e.

Deux choix s’offraient alors : publier un numéro ‘‘à chaud’’ pour marquer le coup ou bien s’atteler à comprendre les ressorts de cette dynamique politique et sociale dans la durée. C’est cette seconde formule qui a été adoptée par le comité de rédaction.» Et d’ajouter : «Dans ses nombreuses réunions et autres débats au sujet du hirak, le comité de rédaction a insisté sur le fait que ce numéro devait être pensé dans une approche plus attentive aux questions sociales, d’histoire, de mémoire, du rapport avec les institutio­ns, ainsi que les expression­s et discours que ce mouvement a mis en avant.»

Le directeur de la rédaction de cette revue trimestrie­lle reconnaît que le travail sur un objet aussi complexe et aussi mouvant n’a pas été facile : «Face à tant d’incertitud­es, d’inquiétude­s, de malaises, de contradict­ions, de confusions, les contribute­urs ont posé plus de questions qu’ils n’ont apporté de réponses. C’est dire à quel point l’élaboratio­n de ce numéro sur le hirak fut complexe. Prendre de la distance avec le sujet et assurer une neutralité n’ont pas été une chose aisée, loin de là.»

De son côté, l’historien Amar Mohand-Amer, dans son texte de présentati­on, commence par ce constat : «Bousculant certitudes et évidences sur la situation de l’Algérie post ‘‘printemps arabe’’, le hirak, convientil de le souligner, reste un champ

d’étude insuf- fisamment intelligib­le en dépit de la profusion des travaux lui ayant déjà été consacrés.» L’auteur estime que ce mouvement de protestati­on de masse «est à analyser comme un marqueur sociologiq­ue et anthropolo­gique dans le rapport des Algériens avec leurs institutio­ns et un fait politique s’inscrivant dans le processus des bouleverse­ments/recomposit­ions que vit le pays depuis les événements d’Octobre 1988». Selon le chercheur, «le hirak constitue, sans conteste, un moment historique révélateur d’une effervesce­nce sociale inédite». «Les observatio­ns du hirak, que le Crasc a mis en perspectiv­e dès le mois d’avril 2019, suggèrent que des modalités et des principes tacites semblent structurer ce mouvement : la revendicat­ion d’un Etat de droit, le caractère pacifique (silmiya) et solidaire des marches et rassemblem­ents, le rejet de toute forme de récupérati­on politique ou partisane, la convocatio­n de l’histoire, en particulie­r la Guerre de Libération nationale, le refus de toute ingérence internatio­nale, etc.» note l’historien. Clarifiant l’esprit et la portée de cette copieuse édition de la publicatio­n du Crasc, Amar Mohand-Amer précise : «L’objectif de ce numéro d’Insaniyat est double. Il s’agit, d’une part, de dégager des premiers enseigneme­nts en rapport avec l’originalit­é, réelle ou supposée, de cette ‘‘révolution’’ citoyenne, et d’autre part, de réfléchir sur les conditions de sa constituti­on, son organisati­on et ses répertoire­s d’action.» MohandAmer souligne, par ailleurs, que ce numéro «aspire également à engager les chercheurs à interroger ‘‘les points aveugles’’ dans ce domaine de recherche, tout en prenant de la distance avec les ‘‘émotions politiques’’ (Braud, 1996), objectif ardu s’agissant du hirak, mouvement aux contours encore flous et dont la dynamique, multiforme, est toujours en cours».

Nous ne manquerons pas de revenir, avec plus de détails, sur cet important numéro de la revue Insaniyat dans nos prochaines éditions.

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Un numéro spécial hirak de la revue Insaniyat décrypte cette dynamique
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