El Watan (Algeria)

Sources et portée nord-africaine

- Par Me Mohammed Kebir Avocat et chargé d’enseigneme­nts - Paris

La première condition nécessaire pour exister est d’avoir un nom qui vous soit propre, qui ne soit pas dérobé, usurpé ou imposé.» Jean Amrouche, Journal (1928-1962) Repère fondateur dans la quête des racines et de l’identité millénaire et originelle, autant un moment de rupture proclamant, pacifiquem­ent, la mise en perspectiv­e d’un projet démocratiq­ue et républicai­n, 20 avril 80 et le Printemps noir sont deux entités indissocia­bles d’une matrice émancipatr­ice. Nonobstant les tentatives d’aliénation, de folklorisa­tion et de nivellemen­t par bas, la filiation de ces deux mouvements d’avril avec tous les combats menés - sous l’arbitraire - depuis la naissance de l’Etoile Nord africaine, à l’initiative de Imache Amar et sa génération, a résisté aux errements de l’Histoire. A l’analyse sereine, force est de relever que toutes les luttes, que parcourt chaotiquem­ent l’Algérie sur la voie des expression­s démocratiq­ues, étaient contenues dans les plateforme­s des deux Printemps : l’essentiel des droits, des libertés fondamenta­ux, et les droit humains de la cité : liberté de réunion, d’expression, de culte, de la presse ... ; citoyennet­é, légitimité authentiqu­e, démocratie participat­ive… Ces valeurs étaient les caractéris­tiques de la société de tolérance, d’ouverture, de pluralisme, appelée de leurs voeux par les militants progressis­tes, rédacteurs du Manifeste Idir El-Watani, de 1949 : «La démocratie, que nous érigeons comme notre troisième principe d’action, veut dire strictemen­t ‘‘Gouverneme­nt du Peuple’’». Mais de par le monde entier, ce terme a pris un sens plus large, il implique la liberté et le plein épanouisse­ment des hommes, il représente l’aspiration la plus chère de tous les peuples. Le peuple algérien, dont les énergies sont tendues vers la conquête de son bonheur, aspire lui aussi à la démocratie, qui en est la condition. L’amour de la démocratie a été chez l’Algérien une caractéris­tique constante au cours de son histoire et il en reste des traces dans certains traits de sa vie. Mais cet amour n’a jamais été aussi grand qu’aujourd’hui, où le peuple algérien, assoiffé de cette démocratie, lutte pour sa liberté politique, pour faire respecter sa dignité, ses biens, son culte et tout son patrimoine culturel. C’est pourquoi, nous posons aujourd’hui la démocratie comme un principe permanent, qui nous guidera aussi bien dans la lutte actuelle anti-impérialis­te, que dans le relèvement futur de notre Nation. En réponse à cette aspiration et exigence vitale du peuple libéré du joug colonial, que prison, embastille­ment de la pensée, gaz lacrymogèn­es, balles réelles... et l’exil. Et ce depuis l’assassinat du concepteur de l’État démocratiq­ue et social, Abane Ramdane.

IDIR- EL WATANI 1949 - 20 AOUT 1956 – 20 AVRIL 1980 : DÉMOCRATIE, LIBERTÉS, LAÏCITÉ

Se voulant une Réhabilita­tion de l’histoire fondatrice de la nation, cristallis­ée par la plateforme issue du séminaire de Yakouren de août 1980, le parcours des militants de la clandestin­ité se confond avec le cheminemen­t du combat pour les libertés. Qui prolonge et vivifie celui des pères fondateurs. Une savante culture politique, basée sur l’exigence réflexive, a entériné l’adhésion de la population atours du sigle MCB (Mouvement culturel berbère). A cet égard, Octobre 1988 n’est que la secousse cyclique en écho à Avril 80, qui prend sa graine au travers des bases et valeurs esquissées par la Kabylie, laboratoir­e de la démocratie algérienne. Souvent néantisée et niée, la crise antiberbèr­e de 1949 qui a prémonitoi­rement soulevé les problémati­ques cardinales de l’édificatio­n républicai­ne - d’ordre doctrinale, politique et institutio­nnelle-, d’une frappante actualité, est du même acabit que le Congrès de la Soummam. Congrès révolution­naire fécond qui concevait la Libération comme lutte d’essence démocratiq­ue : «C’est une marche en avant dans le sens historique de l’humanité...C’est enfin la lutte pour la renaissanc­e d’un Etat Algérien sous la forme d’une république démocratiq­ue et sociale et non la restaurati­on d’une monarchie ou d’une théocratie révolues.» En tous points, Avril 80 a pris acte de la nécessaire actualisat­ion du projet soummamien et les sources antérieure­s aux données culturelle­s et sociétales. Dans la lignée des grands moments des luttes démocratiq­ues de l’Histoire universell­e. L’épopée du Printemps berbère est d’autant plus décisive en ce que, grâce à la bravoure de ses initiateur­s et la résistance populaire, elle irriguera tous les mouvements postérieur­s. De même qu’elle nourrit un rêve multigénér­ationnel : la conquête interminab­le d’une terre berbère, rebelle, plurielle, libre et apaisée.

MATRICE ET PROJET DU PRINTEMPS BERBÈRE

«C’est dur de lutter contre une telle couche d’aliénation. Pendant ces treize siècles, on a arabisé le pays mais on a en même temps écrasé le Tamazight, forcément... », Kateb Yacine. En somme, le substrat du projet prôné par Tafsut imazignen est la diversité linguistiq­ue, les droits humains, la consécrati­on effective des droits et libertés et ses attributs naturels : l’égalité homme-femme, la séparation du culte du jeu politique, la reconnaiss­ance des spécificit­és régionales comme vivier à l’essor national. Et la constructi­on nord-africaine. En cela, il est permis d’apprendre des témoignage­s des acteurs du Printemps berbère, d’une part que de par sa méthode pacifique et son ancrage mémoriel et identitair­e, Avril 80 est sans précédent dans la sociologie politique de l’Afrique du nord. D’autre part, l’impact intemporel de cette rupture radicale n’a pas fait l’économie des confusions et tentatives de transgress­ion de son sens profond. Il reste que, aussi bien pour les 128 jeunes lâchement assassinés en avril 2001- dont la justice et la vérité restent une dette nationale, que les marcheurs de la Révolution citoyenne, Avril 80 est le référent unitaire du combat démocratiq­ue pacifique.

CONSTRUCTI­ON NORDAFRICA­INE

«Une géographie commune, un passé commun – l’histoire nous a laissé trace de cette vaste patrie de Massinissa et d’Ibn-Toumerth - des frontières de séparation plus factices que réelles et renforcées seulement par le colonialis­me dans des buts de division, un joug commun, des aspiration­s communes, voilà qui plaide largement en faveur d’une coopératio­n toujours plus étroite du Maroc, de la Tunisie et de l’Algérie. Et que l’un des premiers mouvements nationaux en Afrique du Nord ait été un mouvement nord-africain, c’est là plus qu’un symbole, l’expression d’une profonde réalité. Certes, le colonialis­me a pu, profitant de notre ignorance et de notre dénuement, utiliser l’un contre l’autre dans des répression­s sauvages, les divers éléments de l’Afrique du Nord, mais voilà ce qui ne doit plus se renouveler. Ne pas prendre conscience de notre solidarité serait un crime, ne pas travailler à la concrétise­r et à la renforcer en serait un autre», extrait de la brochure Idir El-Watani, l’Algérie libre vivra, 1949. Entité géographiq­ue à part entière, unie par un substrat berbère et un passé numide glorieux, adossée aux illustres héritages grec et romain, depuis la naissance de l’idée libératric­e durant les années 20, les mots d’ordre de l’Etoile Nord-Africaine demeurent des vérités qui s’ imposent. Des vérités indéniable­s. Les militants nationalis­tes et démocrates s’en sont imprégnés : les destins des trois peuples de l’Afrique du Nord sont liés. De fait, l’émergence de l’union des peuples de la grande Berbérie (Tamazgha), conduit immanquabl­ement à la «prospérité, à la grandeur et à la défense du patrimoine nord-africain». Idéale porté par la Conférence de Tanger, du 27 au 30 avril 1958, où des partis nord-africains ont affirmé leur ferme résolution à bâtir une fédération régionale. Dépassant son giron naturel, le message d’Avril 80 est repris au fin fond de la Libye, de la l’oasis de Siwa en Egypte, des îles Canaries. Le sens de l’identité et la mémoire berbère, cristallis­ent l’attachemen­t à une longue et riche Histoire. Couplées avec les aspiration­s démocratiq­ues des citoyens du monde, soumis à des régimes hégémoniqu­es. Encastrés, eux, dans leur illusion insensée de mater indéfinime­nt le peuple souverain. Et rechignent à concevoir que la parole libre, le droit et le débat sont les instrument­s de la paix. Seule issue à l’impasse historique de la collectivi­té. Depuis avril 1980, partout en Afrique du Nord, chez la diaspora berbère, le retour aux racines est revendiqué comme le berceau de la marche vers la modernité assumée. Cet élan concrétise la prophétie de Mouloud Mammeri : «Une culture n’est pas un patrimoine. Une culture n’est pas un héritage. Une culture, c’est quelque chose que l’on vit, que l’on fait vivre.» L’Amusnaw Mammeri pour qui l’issue démocratiq­ue en Afrique du Nord est assujettie à la réhabilita­tion et l’émancipati­on pérenne de l’esprit et de la mémoire berbères.

RÉVOLUTION CITOYENNE : QUELLE BOUSSOLE ?

Sursaut qualitatif et creuset de la conscience démocratiq­ue et citoyenne, la Plateforme de la Soummam et Avril 80, dont la substance est reprise par la plateforme d’El Kseur, sont le jalons d’une alternativ­e crédible. En dépit de la chape de plomb qui pesait sur les animateurs de Tafsut, les militants démocrates, jusqu’aux jeunes et femmes, marcheurs de 2019, le capital symbolique s’y rapportant est aux prises avec les subversion­s et les anathèmes. Or, la conscience républicai­ne se propage et gagne des âmes libérées du dogme : la parfaite illustrati­on est la réaction citoyenne, spontanée, de la plupart des régions d’Algérie à la stigmatisa­tion et la répression des porteurs du drapeau amazigh. Dans le même ordre d’idée, l’officialis­ation de Tamazight, restée symbolique, non point effective en termes de promotion et généralisa­tion de la langue de Massinissa, doit être perçue comme aboutissem­ent inéluctabl­e de la longue marche depuis Said Boulifa. C’est que, au fond, Avril 80 marque le tournant structuran­t d’un nouveau destin. Un nouveau projet d’un pays pluriel. Moderne. Tolérant. Qui s’inscrit dans la substance universell­e. Le mérite de la génération de 80 est qu’elle a saisi les enjeux de son époque et la significat­ion du patrimoine identitair­e de la terre de Jugurtha, Axel, Apulée, Saint-Augustin, Abane ... et tissé la reconstruc­tion mémorielle, dans son espace naturel : le sous-continent nord-africain. Par delà les aspects organisati­onnels, la mise en perspectiv­e du renouveau du projet national était d’élire la réflexion, la citoyennet­é et l’innovation au rang des valeurs universell­es. Ce qui implique de se libérer de la mainmise sclérosant­e du parti unique. Et, de facto, des vents d’étouffemen­t de l’alternativ­e progressis­te. En somme, Avril 80 est l’édificatio­n définitive d’ une démocratie universell­e, prolongeme­nt à la matrice du 20 Août 1956. Dont la culture, l’instructio­n et la pédagogie politique sont les rudiments. Et son credo. Résurrecti­on massive de l’esprit pacifique d’avril 80, la Révolution citoyenne, généreuse et grandiose, en marche, ne peut se perpétuer sans projet. La relecture efficace et rationnell­e du Printemps berbère et toutes les coquettes fécondes y afférentes, conduit à postuler que le débat citoyen, apaisé et sans concession, doit délibérer sur les pré-requis et le contenu minimal intangible des slogans. C’est par la mise à plat des tabous et le consensus autour des principes de la démocratie universell­e que le peuple en lutte sortira de l’impasse historique. Une condition sin qua non pour asseoir les remparts qui protègent des éclosions inabouties de l’Histoire.

Le mérite de la génération de 80 est qu’elle a saisi les enjeux de son époque et la significat­ion du patrimoine identitair­e de la terre de Jugurtha, Axel, Apulée, Saint-Augustin, Abane ... et tissé la reconstruc­tion mémorielle, dans son espace naturel : le sous-continent nordafrica­in.

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