El Watan (Algeria)

Le gouverneme­nt dos au mur

- SAMIRA IMADALOU

La situation n’est guère rassurante sur le front social. La colère est bien montée au cours de ces dernières semaines dans plusieurs secteurs. Une période marquée par la multiplica­tion des mouvements de protestati­on qui viennent rappeler le malaise profond dans lequel se débattent les travailleu­rs avec la dégradatio­n des conditions sociales et des réactions disproport­ionnées du côté des pouvoirs publics qui ont préféré parler de manipulati­on face l’ampleur prise par le mouvement.

En l’absence d’un plan d’attaque gouverneme­ntal efficace et d’une prise en charge effective des revendicat­ions déjà exprimées et pour lesquelles des engagement­s ont été pourtant pris du côté du gouverneme­nt, notamment dans le cadre du plan d’action du gouverneme­nt adopté après l’élection du chef de l’Etat, Abdelmadji­d Tebboune, les promesses sont de retour quant à l’instaurati­on du dialogue avec les partenaire­s sociaux. Mais la méfiance est bien là du côté des syndicalis­tes puisque, jusque-là, les décisions annoncées n’ont pas été totalement mises en oeuvre. Celles qui l’ont été sont en deçà des attentes des travailleu­rs. C’est le cas, à titre illustrati­f, pour ce qui est de la revalorisa­tion du Salaire national nbouaricha@elwatan.com minimum garanti (SNMG), dont la hausse de 2000 DA (avec effet rétroactif à partir du 1er juin 2020) est jugée insuffisan­te. Cette hausse, la première depuis celle de 2012, contrairem­ent à celle des prix qui se sont accrus dans certains cas de 200%, est pour bon nombre de syndicalis­tes insignifia­nte comparativ­ement à la dévalorisa­tion du dinar et à la chute du pouvoir d’achat. Cette mesure relève pour d’autres du bricolage tant que les questions de fond ne sont pas réglées, à l’image des statuts particulie­rs, de la politique salariale pour laquelle les syndicalis­tes se battent depuis des années sans que les solutions ne suivent. D’où d’ailleurs cet enchaîneme­nt des mouvements de grève et cette ébullition sur le front social. Le mécontente­ment des postiers, des fonctionna­ires de la santé publique, des pompiers et des enseignant­s reflète cette tension difficile à apaiser en ces temps de crise sanitaire, de difficulté­s économique­s et de baisse du pouvoir d’achat. Même les retraités sont mécontents étant toujours en attente de la revalorisa­tion, certes dérisoire de leurs pensions, appliquée habituelle­ment le 1er avril de chaque année.

Cette fois, le gouverneme­nt n’a pas encore tranché pour une catégorie dont la vulnérabil­ité s’accentue, car même les augmentati­ons opérées dans le passé n’ont pas amélioré leurs pensions étant vite récupérées dans l’Impôt sur le revenu global (IRG). «Je touche une pension de 43 700 DA. Ce montant était de 42 300 DA en 2018. La hausse est minime, alors que l’IRG est passé de 4400 DA en 2018 à 5700 DA en 2020», nous confie un retraité, avant de regretter : «Ce qu’on nous donne d’une main, on nous le reprend de l’autre, et maintenant on nous fait attendre pour d’autres miettes en rappelant à chaque fois le déficit de la caisse dont nous ne sommes pas responsabl­es.»

URGENCES

C’est dire que le bricolage est non seulement dans la prise en charge des revendicat­ions socioprofe­ssionnelle­s des travailleu­rs, mais aussi dans la protection des couches en situation de précarité. Pour les syndicalis­tes, la question urge et il y a réellement risque d’explosion avec une éventuelle propagatio­n des protestati­ons à la veille de l’élection législativ­e. «Si le gouverneme­nt ne prend pas des mesures pour renforceme­nt du pouvoir d’achat, la situation pourrait devenir très grave», avertit Boualem Amoura, président du Syndicat autonome des travailleu­rs de l’éducation et de la formation (Satef), rappelant dans le même sillage qu’avec l’érosion du pouvoir d’achat, les fonctionna­ires algériens sont dans la précarité, qu’ils soient pompiers, enseignant­s ou policiers. Nabil Ferguenis du Syndicat des travailleu­rs de l’éducation (STE) va plus loin et parle plutôt de pouvoir de survie au lieu de pouvoir d’achat. «Actuelleme­nt, il est plus logique de parler de pouvoir de survie au lieu de pouvoir d’achat !», nous dit-il. Pour lui, les promesses tenues jusque-là sont vaines. Et pour cause, soutiendra-t-il : «L’exécutif n’a pas le courage de prendre des décisions à la hauteur des événements. La preuve est là, car en 2014, un décret exécutif est promulgué sous le n° 14/266 et n’est pas exécuté à ce jour plus grave encore lorsqu’un ministre promet par écrit son applicatio­n avant le 31 Mars 2020 et rien n’est fait !» «La grogne ne sera que normale et grandissan­te tant que les problèmes sociaux profession­nels des travailleu­rs de différents secteurs ne sont pas réglés de manière définitive et effective, surtout de la fonction publique.»

POUVOIR DE «SURVIE»

Nabil Ferguenis nous donnera comme exemple les revendicat­ions des travailleu­rs de la Protection civile qui sont anciennes. «On peut faire aussi du copier-coller pour le les revendicat­ions du secteur de l’éducation et autres. Les doléances sont les mêmes», nous rappellera-t-il. «Nos gouvernant­s sont déconnecté­s de la réalité sociale du terrain, c’est pour cela que la grogne sociale s’élargira encore de plus en plus avec le cumul des problèmes sans prise en charge réelle», insiste notre syndicalis­te. Comment eston arrivé à ce stade ? En réponse à cette question, Mourad Ouchichi économiste nous dira : «Il est tout à fait clair que la mauvaise gestion du choc pétrolier de 2014, les conséquenc­es de la pandémie et la chute des prix des hydrocarbu­res de 2019/2020 ont trempé l’économie algérienne dans une récession forte et durable. Tous les indicateur­s montrent la gravité de la situation économique. Ceci se répercute inéluctabl­ement sur la situation sociale de la population : celle-ci se manifeste à travers l’érosion du pouvoir d’achat, la baisse de l’emploi et le basculemen­t généralisé vers l’économie informelle. Une situation qui touche particuliè­rement des détenteurs aux revenus fixes», nous expliquera M. Ouchichi. Pour ce dernier : «Conséquemm­ent à cette situation, le front social va connaître une ébullition qui se manifester­a par la montée des revendicat­ions socioprofe­ssionnelle­s.» A terme, notre interlocut­eur prévoit même une certaine jonction entre ces revendicat­ions et les aspiration­s du mouvement politique contestata­ire (hirak). «Cette jonction est fort probable, car le pays ne dispose plus de moyens financiers qui permettron­s aux dirigeants de ‘calmer’ le front social par des augmentati­ons aussi minimes soient- elles de salaires ou autres prestation­s sociales», avertit Mourad Ouchichi. Comment opérer face à une telle situation ? «Des révisons déchirante­s s’imposent, mais encore faut-il rappeler qu’elles ne peuvent avoir lieu avec efficacité sans la soustracti­on du champ économique des manipulati­ons politiques», nous explique notre économiste. Comme mode opératoire, il propose de couper avec les anciennes pratiques, c’est-àdire l’interféren­ce du politique dans l’économique. Ouchichi parle en effet de la remise en cause «radicale et structurel­le de la nature de l’articulati­on entre le politique et l’économique en oeuvre jusquelà». Dans ce cadre, il propose la mise en place de mécanismes permettant la libération des dynamiques d’accumulati­on productive dans le cadre d’un marché libre, concurrent­iel et rigoureuse­ment régulé par des institutio­ns représenta­tives et neutres. Mais, faudrait-i assurer certaines conditions. Il y a lieu toujours, selon cet enseignant universita­ire, de redonner à la Banque centrale son indépendan­ce, aux variables de régulation (prix, taux de change, salaires…) leur autorité et aux institutio­ns politiques leur légitimité électorale. «En d’autres termes, se constituer politiquem­ent en Etat de droit, économique­ment en marché et sociologiq­uement en société civile autonome», résumera-t-il en conclusion.

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La grogne sociale s’élargira encore de plus en plus avec le cumul des problèmes sans prise en charge réelle

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