Lorsque les croyances s’extériorisent
Beaucoup d’entreprises se trouvent parfois démunies lorsque se manifestent des désirs de religiosité accrue. Un rapport publié par l’Institut Montaigne fait le point.
C’est un phénomène révélateur à plusieurs égards, estime Lionel Honoré, professeur des Universités à l’IAE de Brest et directeur de l’Observatoire du fait religieux en entreprise, qui publie le 8e rapport sur cette question du fait religieux en entreprise Religion au travail : croire au dialogue. Il prend soin de préciser que «la majorité des pratiquants, et ce, quelle que soit leur religion, ne laissent pas transparaître leur religiosité au travail, par peur d’être stigmatisés, voire discriminés, ou parce qu’ils considèrent que l’entreprise n’est pas un lieu où doit s’exprimer la religiosité d’un individu». Après cette réserve, il identifie précisément les religions concernées avec, sans surprise, l’Islam en tête des pratiques, et détaille le profil sociologique des personnes exprimant leur religiosité au travail. Il signale que le phénomène se stabilise malgré tout. Pourtant, c’est tout de même dans plus des deux tiers des entreprises françaises que la présence de faits et comportements religieux est repérée. En priorité, les exigences portent sur les demandes d’absence et d’aménagement du temps de travail et l’autorisation de port de signes religieux. Mais aussi, «pour la première fois cette année, nous avons agrégé les données concernant les attitudes négatives par rapport aux femmes» indique l’universitaire : refus de travailler avec ou sous les ordres d’une femme, refus de serrer la main d’une femme. C’est là, est-il estimé, le troisième type de faits le plus fréquent.
L’INQUIÉTANTE QUESTION DES DISCRIMINATIONS
Plus intriguant, la discrimination a été étudiée particulièrement, non seulement dans l’entreprise mais aussi avant de pouvoir y entrer. Ainsi, lorsqu’il s’agit de discrimination à l’embauche (20% des cas de discrimination repérés dans les situations de travail), les musulmans sont principalement pénalisés (70 % de l’ensemble). Le baromètre permet également d’identifier la typologie des personnes, la nature des entreprises et les religions les plus concernées par le fait religieux en entreprise, qu’il soit ou non problématique. La religion la plus fréquente est l’islam (73% des situations observées), suivie par le catholicisme (20%), le judaïsme (15%) et les cultes évangéliques (13 %). Les entreprises de 1000 à 5000 salariés et celles de plus de 5000 regroupent respectivement 21 et 22% des situations, mais le fait religieux est présent dans les entreprises de toutes tailles. L’industrie concentre une part significative des situations marquées par le fait religieux, suivie par le transport et la logistique, le BTP ainsi que le commerce et la grande distribution. Il concerne autant les hommes que les femmes et l’âge oscille entre 20 et 50 ans. Cependant, précise le rapport, «les comportements les plus problématiques (refus de travailler avec les femmes, refus de réaliser des tâches, etc.) sont principalement le fait d’hommes relativement jeunes et d’un niveau socioprofessionnel relativement bas». L’étude 2020-2021 nous révèle aussi que les comportements des salariés pratiquants sont perçus comme peu perturbateurs et ne gênent pas la bonne réalisation du travail (70,1%). A l’inverse, dans une minorité d’entreprises, les situations sont plus complexes, le fait religieux est plus fréquent et varié, les demandes peuvent devenir des revendications collectives (11,6% des situations), les comportements rigoristes sont plus récurrents (12% des situations en 2020-2021, contre 8% en 2019), le fait religieux y est régulièrement dysfonctionnel et les managers de proximité sont souvent débordés face à des situations tendues.
LE RESPECT DE LA LIBERTÉ DE RELIGION
Enfin, le rapport prône une série de recommandations. Pour l’action des pouvoirs publics, il s’agit de maintenir le cadre légal selon lequel les entreprises ont la possibilité d’encadrer l’expression de la religiosité au travail, sans remettre en cause la liberté des salariés, de manière à offrir une stabilité aux entreprises pour qu’elles puissent progressivement se l’approprier. Le rapport souhaite une évaluation de la loi Travail de 2015 pour juger de l’appropriation par les entreprises des possibilités d’encadrement de la religion au travail qu’elle offre ainsi que des effets produits doit être envisagée. Un autre souhait serait de poursuivre les actions d’information et de formation et encourager la recherche et d’accompagner les démarches des entreprises, notamment les petites, et les aider dans la gestion des situations difficiles. Enfin, sur la question cruciale de problèmes nés d’un règlement intérieur pas assez clair, il serait nécessaire de préciser et formaliser dans le règlement intérieur une ligne directrice qui doit être un choix politique de l’entreprise. Le rapport souhaite, malgré tout, veiller au respect de la liberté d’exprimer sa religiosité et prévenir les stigmatisations et discriminations tout en agissant avec fermeté en cas d’excès ou de transgression.