Les dégâts sur l’environnement
La plus grande partie de la population algérienne vit à moins de 10 km du littoral. «En 2020, nous n’avons jamais autant consommé de carburants et la consommation de viande a été multipliée par trois ces 50 dernières années», constate M. Belaïd, ingénieur agronome, spécialisé en vulgarisation des techniques innovantes. Pour lui, outre l’action des institutions du pays, à l’avenir c’est à chacun de faire son bilan carbone et de connaître l’effet de ses pratiques de consommation sur l’environnement. Sans quoi, les conséquences sur l’environnement ne feront que s’aggraver.
DÉGRADATION DES TERRES
L’élevage intensif contribue à la dégradation des sols du fait de l’érosion, la désertification ou la salinisation des sols. D’ailleurs, dans le Sud, l’élevage intensif contribue à la salinisation progressive des sols. Selon M. Belaïd, dans les zones céréalières, l’élevage tel qu’il est actuellement pratiqué empêche des restitutions au sol de matière organique et aboutit à une baisse de la fertilité des sols. «Qu’on en juge, la paille et les chaumes sont entièrement consommés par les animaux. Seules les racines échappent aux dents voraces des moutons», explique-t-il. Ajoutant que la pratique du labour fait que la charrue d’acier provoque une trop forte aération du sol et entraîne une minéralisation rapide de la matière organique de ces racines. «On aboutit à la poursuite d’une agriculture minière telle qu’elle avait cours lors de la période coloniale», précise-t-il. Les sols présentent alors, selon le spécialiste, un faible taux de matière organique et sont donc beaucoup plus sensibles à l’érosion.
L’élevage intensif représente la première source d’émissions de CO2 sur la planète, devant les transports ! Il est finalement responsable des nombreux problèmes d’environnement les plus pressants, à savoir la dégradation des terres, la pollution de l’atmosphère et des eaux et la perte de biodiversité.
DÉFORESTATION
Si à priori l’élevage en forêt est intéressant, car il contribue au débroussaillement et à la lutte contre les incendies, une charge trop importante des animaux ne serait pas sans conséquences. En effet, elle contribuerait, selon M. Belaïd, à l’élimination des jeunes pousses d’arbres. De ce fait, la forêt ne se régénère plus, elle vieillit et à terme dépérit. Il s’agit donc, selon lui, d’arriver à une association profitable des populations limitrophes à une utilisation durable de la forêt. Il juge également urgent de procéder, en Algérie, à des reboisements avec des espèces adaptées, notamment autour des villes et dans les rues afin de rafraîchir l’air. Par ailleurs, M. Belaïd ajoute que selon Halim Brahmi, grand défenseur du pistachier de l’Atlas, souvent les jeunes repousses de cet arbre, issues de la germination de graines, ne doivent leur salut que parce qu’elles se sont développées dans un buisson épineux à l’abri des animaux.
DÉSERTIFICATION
«D’abord, il faut savoir que le nombre de moutons présents en zone steppique dépasse la capacité des parcours», affirme Djamel Belaid. A en croire son analyse, si les subventions de l’orge ont aidé les éleveurs, elles ont aussi permis d’augmenter le nombre de têtes sur des territoires fragiles. Dans la seule wilaya de Djelfa, le cheptel estimé, selon ses données, à 4 millions de têtes. «Tel qu’il est actuellement conduit en zone steppique, l’élevage du mouton contribue à la désertification. En témoigne d’ailleurs, l’état dégradé des parcours et les vents de poussières qui obscurcissent les villes de l’intérieur du pays en pleine journée», se désole-t-il. Ajoutant que dès les années 1970, les camions GAK ont permis aux gros éleveurs d’arriver les premiers sur les parcours les plus riches. De plus, le spécialiste recommande de tenir compte également de la pratique du ‘’gdel’’ qui consiste à labourer une bande de terre et ainsi barrer l’accès des parcours. Assurant que sur ces terres arch, le droit coutumier interdit de pâturer les zones emblavées de céréales. «Si, dans les dayats au sol plus profond, il est possible de semer de l’orge, ce n’est pas le cas sur la majorité des sols steppiques. Or, du fait de ces labours sauvages, les touffes d’alfa et de chih sont détruites laissant le sol à la merci de l’érosion éolienne», prévient-il.
ÉMISSIONS DE GAZ À EFFET DE SERRE
Aujourd’hui, à l’échelle mondiale, l’élevage représente 14,5 % des émissions de gaz à effet de serre, soit autant que le secteur du transport ! Si ces émissions de gaz proviennent principalement des ruminants, Djamel Belaid estime qu’il est également nécessaire de comptabiliser le manque à gagner dans la capture du CO2 du fait de la déforestation en Amérique Latine afin d’augmenter les surfaces en maïs et soja, deux produits dont l’Algérie est fortement importatrice. Ajoutant que durant l’histoire de l’humanité, on a assisté à des transitions alimentaires. «Progressivement aux céréales, ont été adjoints les légumes secs. Par la suite, à part en Inde, dans de nombreux pays, la viande et les produits laitiers ont été plus consommés avant la présente décrue observée en Europe. Pendant longtemps, la viande a représenté une charge symbolique dans l’accession à un certain niveau de vie», explique-t-il.
ÉROSION
Selon M. Belaid, en zone céréalière, les chercheurs Abbas K. et Abdelguerfi A. font remarquer que le potentiel fourrager et/ou pastoral des jachères peut être amélioré par l’augmentation de la biomasse produite. «En effet, ce potentiel n’est que de 360 unités fourragères alors qu’il pourrait être le triple», affirme-t-il. Assurant qu’il est possible d’épandre des engrais sur ces prairies temporaires ou comme en Tunisie semer des mélanges fourragers comprenant de l’avoine, du sulla, du fenugrec et de la vesce, dont les racines profondes restructurent le sol et permettent une meilleure infiltration de l’eau. Ali Amrani, éleveur tunisien en lien avec l’association FERT, en est le parfait exemple : «Ce mélange de différentes espèces est plus intéressant car la période de pâturage est plus longue et mes brebis sont mieux nourries. Il est aussi intéressant pour la culture de blé qui suit car il permet d’éviter la monoculture de céréales.» Toutefois, le drame vient surtout, selon M. Belaid, du prélèvement des pailles. Celles-ci broyées et enfouies dans le sol permettraient le maintien de la fertilité des sols. Par ailleurs, le maintien d’un minimum de paille et de chaumes au sol permet de réduire la température à la surface du sol et de maintenir un minimum d’humidité. Cela est essentiel à la vie du sol. «A l’automne, la paille et les chaumes permettent d’atténuer le choc des gouttes des pluies et ainsi réduire la désagrégation des particules de terre et l’érosion qui suit. Dès 1989, l’universitaire A. Demmak a estimé à 5000 tonnes par km2 et par an le taux d’érosion sur le bassin versant d’Oued Agrioum», constate-t-il. Précisant que des travaux australiens réalisés en zone semi-aride montrent qu’il faut maintenir 70% des chaumes afin d’assurer une meilleure infiltration de l’eau dans le sol. «Trop souvent, après la récolte, les chaumes sont louées à prix d’or à des éleveurs dont les troupeaux ne quittent la parcelle que quand ne subsistent plus aucun brin de paille. Or, c’est oublier qu’il s’agit d’assurer un minimum de nourriture aux vers de terre, éléments principaux de la fertilité des sols», conclut le spécialiste.
GASPILLAGE D’EAU
La production de viande et d’oeufs nécessite des quantités d’eau plus importantes que celle des céréales et des légumineuses. En effet, quelles que soient les conditions climatiques d’un territoire, produire de la viande nécessite d’appréciables quantités d’eau (de l’eau physique comme de l’eau virtuelle), plus importantes que tout autre aliment. «A l’évidence, dans un pays comme l’Algérie en fort stress hydrique, produire cet aliment marquera un gros déficit en eau dans le bilan d’eau de tout bassinversant, mais aucune étude n’est encore lancée», assure Fares Kessasra, hydrogéologue et maître de conférences à l’université de Jijel. Selon lui, à l’échelle planétaire, il est évident que la production animale cumule de fortes retombées sur les disponibilités en eau, car elle consomme plus de 8 % des utilisations humaines d’eau. «Il est attesté que c’est la plus grande source sectorielle de polluants de l’eau - principalement déchets animaux, antibiotiques, hormones, produits chimiques, engrais et pesticides. L’activité engendre près deux tiers de l’ammoniac, cet élément contribue à la formation des pluies acides et à l’acidification des écosystèmes continentaux et marins à la fois»,
POLLUTION DES NAPPES
«Il faudrait reconnaître qu’à la différence de l’élevage classique dans des fermes à taille humaine, l’élevage intensif a des visées plutôt économiques que subsistentielles», affirme Fares Kessasra. Mais toutes proportions gardées, il s’en va de dire que ces pratiques agricoles apportent autant de polluants aux nappes d’eau, aux rivières et aux mers que les activités industrielles. «Dans certains bassins-versants fortement anthorpisés en Algérie, à l’exemple de ceux de la Soummam, de la Mitidja et du Chélif, la part des polluants libérée dans l’environnement dépasserait de loin celle relâchée et issue des autres activités (urbaines et industrielles)», confie-il. Pour comprendre cette dynamique meurtrière, M. Kessassra estime qu’il faudrait revenir aux pratiques, du moins non-encadrées de certains éleveurs et praticiens vétérinaires, en administrant des quantités d’antibiotiques animales et autres substances médicamenteuses. «A usage humain déjà, l’antibiotique est devenu naturellement automatique et ses molécules non retenues par l’organisme s’évacueront dans les urines et les fèces animales», explique-t-il. Ces déjections animales, fortement enrichies en antibiotiques, en azotes et phosphores, si elles sont liquides (urines) pollueront, selon lui, les nappes d’eau superficielles et les sols par effet d’infiltration, de lessivage et de transferts dans le sous-sol sous l’effet de la pluie. Si elles sont solides, elles formeront du fumier, lisier et surtout empilés à ciel ouvert, car l’éleveur ignore l’effet de ces montagnes de déjection (visuellement repérables dans nos campagnes) sur l’environnement. Par la suite, la pluie lessivera et libérera ces molécules déclencheurs de multiples processus biogéochimiques (nitrification, dénitrification, ammonification, oxydoréduction, etc.) et produiront entre autres des nitrates, nitrites et ammonium. A cet effet, M. Kessassra assure : «Dans la Soummam, près d’El Kseur, un empilement de fumier à proximité d’un champ captant a provoqué une croissance exponentielle des teneurs en nitrates dans l’eau souterraine profonde d’uniquement 15 m. Nous en avions mesuré 80 mg/l de nitrates en mai 2019.» Il en est de même, selon lui, à Jijel, jusqu’à 160 mg/l dans un puits à proximité d’une ferme, mesurée récemment, en avril dernier. «D’autres puits enregistrent des concentrations dépassant 200 mg/l dans la vallée de Djendjen, à 25 km à l’Est de Jijel, alors que la norme de potabilité imposée à l’eau souterraine est à 50 mg./l et une norme recommandée par l’Union européenne de 25 mg/l en raison des fortes propriétés carcinogènes du nitrate», ajoute-il. Par ailleurs, le chercheur affirme que les tests sur des espèces animales ont montré l’effet carcinogène des nitrosamines (issu de la transformation des nitrates et des nitrites) en suspectant la responsabilité de teneurs élevées en NO3 dans l’eau, et les cancers de la prostate, du pharynx, de l’oesophage ou du colon. Les recherches sont, selon lui, en cours et la prévention est le seul moyen d’y remédier. «Concernant le cas de Jijel, ces fortes teneurs azotés acheminés par l’oued Djendjen vers l’embouchure maritime, impacteront l’écosystème marin et ses ressources halieutiques de la région, de plus en plus en déclin», conclut-il.