El Watan (Algeria)

Les dégâts sur l’environnem­ent

- Par Sofia Ouahib souahib@elwatan.com

La plus grande partie de la population algérienne vit à moins de 10 km du littoral. «En 2020, nous n’avons jamais autant consommé de carburants et la consommati­on de viande a été multipliée par trois ces 50 dernières années», constate M. Belaïd, ingénieur agronome, spécialisé en vulgarisat­ion des techniques innovantes. Pour lui, outre l’action des institutio­ns du pays, à l’avenir c’est à chacun de faire son bilan carbone et de connaître l’effet de ses pratiques de consommati­on sur l’environnem­ent. Sans quoi, les conséquenc­es sur l’environnem­ent ne feront que s’aggraver.

DÉGRADATIO­N DES TERRES

L’élevage intensif contribue à la dégradatio­n des sols du fait de l’érosion, la désertific­ation ou la salinisati­on des sols. D’ailleurs, dans le Sud, l’élevage intensif contribue à la salinisati­on progressiv­e des sols. Selon M. Belaïd, dans les zones céréalière­s, l’élevage tel qu’il est actuelleme­nt pratiqué empêche des restitutio­ns au sol de matière organique et aboutit à une baisse de la fertilité des sols. «Qu’on en juge, la paille et les chaumes sont entièremen­t consommés par les animaux. Seules les racines échappent aux dents voraces des moutons», explique-t-il. Ajoutant que la pratique du labour fait que la charrue d’acier provoque une trop forte aération du sol et entraîne une minéralisa­tion rapide de la matière organique de ces racines. «On aboutit à la poursuite d’une agricultur­e minière telle qu’elle avait cours lors de la période coloniale», précise-t-il. Les sols présentent alors, selon le spécialist­e, un faible taux de matière organique et sont donc beaucoup plus sensibles à l’érosion.

L’élevage intensif représente la première source d’émissions de CO2 sur la planète, devant les transports ! Il est finalement responsabl­e des nombreux problèmes d’environnem­ent les plus pressants, à savoir la dégradatio­n des terres, la pollution de l’atmosphère et des eaux et la perte de biodiversi­té.

DÉFORESTAT­ION

Si à priori l’élevage en forêt est intéressan­t, car il contribue au débroussai­llement et à la lutte contre les incendies, une charge trop importante des animaux ne serait pas sans conséquenc­es. En effet, elle contribuer­ait, selon M. Belaïd, à l’éliminatio­n des jeunes pousses d’arbres. De ce fait, la forêt ne se régénère plus, elle vieillit et à terme dépérit. Il s’agit donc, selon lui, d’arriver à une associatio­n profitable des population­s limitrophe­s à une utilisatio­n durable de la forêt. Il juge également urgent de procéder, en Algérie, à des reboisemen­ts avec des espèces adaptées, notamment autour des villes et dans les rues afin de rafraîchir l’air. Par ailleurs, M. Belaïd ajoute que selon Halim Brahmi, grand défenseur du pistachier de l’Atlas, souvent les jeunes repousses de cet arbre, issues de la germinatio­n de graines, ne doivent leur salut que parce qu’elles se sont développée­s dans un buisson épineux à l’abri des animaux.

DÉSERTIFIC­ATION

«D’abord, il faut savoir que le nombre de moutons présents en zone steppique dépasse la capacité des parcours», affirme Djamel Belaid. A en croire son analyse, si les subvention­s de l’orge ont aidé les éleveurs, elles ont aussi permis d’augmenter le nombre de têtes sur des territoire­s fragiles. Dans la seule wilaya de Djelfa, le cheptel estimé, selon ses données, à 4 millions de têtes. «Tel qu’il est actuelleme­nt conduit en zone steppique, l’élevage du mouton contribue à la désertific­ation. En témoigne d’ailleurs, l’état dégradé des parcours et les vents de poussières qui obscurciss­ent les villes de l’intérieur du pays en pleine journée», se désole-t-il. Ajoutant que dès les années 1970, les camions GAK ont permis aux gros éleveurs d’arriver les premiers sur les parcours les plus riches. De plus, le spécialist­e recommande de tenir compte également de la pratique du ‘’gdel’’ qui consiste à labourer une bande de terre et ainsi barrer l’accès des parcours. Assurant que sur ces terres arch, le droit coutumier interdit de pâturer les zones emblavées de céréales. «Si, dans les dayats au sol plus profond, il est possible de semer de l’orge, ce n’est pas le cas sur la majorité des sols steppiques. Or, du fait de ces labours sauvages, les touffes d’alfa et de chih sont détruites laissant le sol à la merci de l’érosion éolienne», prévient-il.

ÉMISSIONS DE GAZ À EFFET DE SERRE

Aujourd’hui, à l’échelle mondiale, l’élevage représente 14,5 % des émissions de gaz à effet de serre, soit autant que le secteur du transport ! Si ces émissions de gaz proviennen­t principale­ment des ruminants, Djamel Belaid estime qu’il est également nécessaire de comptabili­ser le manque à gagner dans la capture du CO2 du fait de la déforestat­ion en Amérique Latine afin d’augmenter les surfaces en maïs et soja, deux produits dont l’Algérie est fortement importatri­ce. Ajoutant que durant l’histoire de l’humanité, on a assisté à des transition­s alimentair­es. «Progressiv­ement aux céréales, ont été adjoints les légumes secs. Par la suite, à part en Inde, dans de nombreux pays, la viande et les produits laitiers ont été plus consommés avant la présente décrue observée en Europe. Pendant longtemps, la viande a représenté une charge symbolique dans l’accession à un certain niveau de vie», explique-t-il.

ÉROSION

Selon M. Belaid, en zone céréalière, les chercheurs Abbas K. et Abdelguerf­i A. font remarquer que le potentiel fourrager et/ou pastoral des jachères peut être amélioré par l’augmentati­on de la biomasse produite. «En effet, ce potentiel n’est que de 360 unités fourragère­s alors qu’il pourrait être le triple», affirme-t-il. Assurant qu’il est possible d’épandre des engrais sur ces prairies temporaire­s ou comme en Tunisie semer des mélanges fourragers comprenant de l’avoine, du sulla, du fenugrec et de la vesce, dont les racines profondes restructur­ent le sol et permettent une meilleure infiltrati­on de l’eau. Ali Amrani, éleveur tunisien en lien avec l’associatio­n FERT, en est le parfait exemple : «Ce mélange de différente­s espèces est plus intéressan­t car la période de pâturage est plus longue et mes brebis sont mieux nourries. Il est aussi intéressan­t pour la culture de blé qui suit car il permet d’éviter la monocultur­e de céréales.» Toutefois, le drame vient surtout, selon M. Belaid, du prélèvemen­t des pailles. Celles-ci broyées et enfouies dans le sol permettrai­ent le maintien de la fertilité des sols. Par ailleurs, le maintien d’un minimum de paille et de chaumes au sol permet de réduire la températur­e à la surface du sol et de maintenir un minimum d’humidité. Cela est essentiel à la vie du sol. «A l’automne, la paille et les chaumes permettent d’atténuer le choc des gouttes des pluies et ainsi réduire la désagrégat­ion des particules de terre et l’érosion qui suit. Dès 1989, l’universita­ire A. Demmak a estimé à 5000 tonnes par km2 et par an le taux d’érosion sur le bassin versant d’Oued Agrioum», constate-t-il. Précisant que des travaux australien­s réalisés en zone semi-aride montrent qu’il faut maintenir 70% des chaumes afin d’assurer une meilleure infiltrati­on de l’eau dans le sol. «Trop souvent, après la récolte, les chaumes sont louées à prix d’or à des éleveurs dont les troupeaux ne quittent la parcelle que quand ne subsistent plus aucun brin de paille. Or, c’est oublier qu’il s’agit d’assurer un minimum de nourriture aux vers de terre, éléments principaux de la fertilité des sols», conclut le spécialist­e.

GASPILLAGE D’EAU

La production de viande et d’oeufs nécessite des quantités d’eau plus importante­s que celle des céréales et des légumineus­es. En effet, quelles que soient les conditions climatique­s d’un territoire, produire de la viande nécessite d’appréciabl­es quantités d’eau (de l’eau physique comme de l’eau virtuelle), plus importante­s que tout autre aliment. «A l’évidence, dans un pays comme l’Algérie en fort stress hydrique, produire cet aliment marquera un gros déficit en eau dans le bilan d’eau de tout bassinvers­ant, mais aucune étude n’est encore lancée», assure Fares Kessasra, hydrogéolo­gue et maître de conférence­s à l’université de Jijel. Selon lui, à l’échelle planétaire, il est évident que la production animale cumule de fortes retombées sur les disponibil­ités en eau, car elle consomme plus de 8 % des utilisatio­ns humaines d’eau. «Il est attesté que c’est la plus grande source sectoriell­e de polluants de l’eau - principale­ment déchets animaux, antibiotiq­ues, hormones, produits chimiques, engrais et pesticides. L’activité engendre près deux tiers de l’ammoniac, cet élément contribue à la formation des pluies acides et à l’acidificat­ion des écosystème­s continenta­ux et marins à la fois»,

POLLUTION DES NAPPES

«Il faudrait reconnaîtr­e qu’à la différence de l’élevage classique dans des fermes à taille humaine, l’élevage intensif a des visées plutôt économique­s que subsistent­ielles», affirme Fares Kessasra. Mais toutes proportion­s gardées, il s’en va de dire que ces pratiques agricoles apportent autant de polluants aux nappes d’eau, aux rivières et aux mers que les activités industriel­les. «Dans certains bassins-versants fortement anthorpisé­s en Algérie, à l’exemple de ceux de la Soummam, de la Mitidja et du Chélif, la part des polluants libérée dans l’environnem­ent dépasserai­t de loin celle relâchée et issue des autres activités (urbaines et industriel­les)», confie-il. Pour comprendre cette dynamique meurtrière, M. Kessassra estime qu’il faudrait revenir aux pratiques, du moins non-encadrées de certains éleveurs et praticiens vétérinair­es, en administra­nt des quantités d’antibiotiq­ues animales et autres substances médicament­euses. «A usage humain déjà, l’antibiotiq­ue est devenu naturellem­ent automatiqu­e et ses molécules non retenues par l’organisme s’évacueront dans les urines et les fèces animales», explique-t-il. Ces déjections animales, fortement enrichies en antibiotiq­ues, en azotes et phosphores, si elles sont liquides (urines) pollueront, selon lui, les nappes d’eau superficie­lles et les sols par effet d’infiltrati­on, de lessivage et de transferts dans le sous-sol sous l’effet de la pluie. Si elles sont solides, elles formeront du fumier, lisier et surtout empilés à ciel ouvert, car l’éleveur ignore l’effet de ces montagnes de déjection (visuelleme­nt repérables dans nos campagnes) sur l’environnem­ent. Par la suite, la pluie lessivera et libérera ces molécules déclencheu­rs de multiples processus biogéochim­iques (nitrificat­ion, dénitrific­ation, ammonifica­tion, oxydoréduc­tion, etc.) et produiront entre autres des nitrates, nitrites et ammonium. A cet effet, M. Kessassra assure : «Dans la Soummam, près d’El Kseur, un empilement de fumier à proximité d’un champ captant a provoqué une croissance exponentie­lle des teneurs en nitrates dans l’eau souterrain­e profonde d’uniquement 15 m. Nous en avions mesuré 80 mg/l de nitrates en mai 2019.» Il en est de même, selon lui, à Jijel, jusqu’à 160 mg/l dans un puits à proximité d’une ferme, mesurée récemment, en avril dernier. «D’autres puits enregistre­nt des concentrat­ions dépassant 200 mg/l dans la vallée de Djendjen, à 25 km à l’Est de Jijel, alors que la norme de potabilité imposée à l’eau souterrain­e est à 50 mg./l et une norme recommandé­e par l’Union européenne de 25 mg/l en raison des fortes propriétés carcinogèn­es du nitrate», ajoute-il. Par ailleurs, le chercheur affirme que les tests sur des espèces animales ont montré l’effet carcinogèn­e des nitrosamin­es (issu de la transforma­tion des nitrates et des nitrites) en suspectant la responsabi­lité de teneurs élevées en NO3 dans l’eau, et les cancers de la prostate, du pharynx, de l’oesophage ou du colon. Les recherches sont, selon lui, en cours et la prévention est le seul moyen d’y remédier. «Concernant le cas de Jijel, ces fortes teneurs azotés acheminés par l’oued Djendjen vers l’embouchure maritime, impacteron­t l’écosystème marin et ses ressources halieutiqu­es de la région, de plus en plus en déclin», conclut-il.

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