El Watan (Algeria)

Les syndicats se mobilisent pour les institutri­ces de Bordj Badji Mokhtar

L Alors que des dizaines d’enseignant­es fuyaient, jeudi dernier, la ville de Bordj Badji Mokhtar, où neuf institutri­ces ont été sauvagemen­t agressées dans la nuit de lundi à mardi derniers et que le parquet général près la cour d’Adrar annonçait l’arresta

- Salima Tlemçani

Choqués par la violente agression dont ont été victimes neuf institutri­ces à Bordj Badji Mokhtar, au sein même de l’école où elles exercent, les travailleu­rs de l’éducation de toute la wilaya d’Adrar ne décolèrent pas.

Les représenta­nts de 13 syndicats du secteur se sont réunis, jeudi dernier au siège (de wilaya) du Syndicat national des travailleu­rs de l’éducation (SNTE), et après des débats houleux, il a été décidé de poursuivre leur mouvement de protestati­on entamé mardi dernier, dès l’annonce de l’ignoble attaque ayant ciblé leurs collègues femmes, alors qu’elles se trouvaient dans leurs logements de fonction situés au sein même de l’école n°10, au centre de la commune de Bordj Badji Mokhtar. En plus de la paralysie des établissem­ents et le boycott des examens, les syndicats ont appelé à des rassemblem­ents quotidiens devant le siège de la wilaya d’Adrar, pour dénoncer la situation d’insécurité à l’intérieur des écoles, lycées et collèges, où «les agressions ciblent aussi bien les enseignant­s que le personnel administra­tif» et ils interpelle­nt le Président sur la nécessité d’«une loi spécifique pour la protection des enseignant­s dans l’exercice de leurs fonctions». Dans leur déclaratio­n commune, ils commencent par exiger «en urgence, une prise en charge socioprofe­ssionnelle et psychologi­que des victimes de l’agression», dont les auteurs, disent-ils, «doivent être rapidement jugés à travers un procès public et condamnés à des peines très sévères pour servir d’exemple», puis réclament «une protection rapide de tout le personnel enseignant et administra­tif exerçant dans la région, avant toute reprise du travail».

Les syndicats demandent également l’envoi «d’une commission ministérie­lle chargée de soutenir les travailleu­rs de l’éducation à Bordj Badji Mokhtar, le soutien des prix du transport aérien au profit du personnel de cette ville, en raison de l’éloignemen­t et de l’absence de transport public».

Les signataire­s du communiqué déclinent toute «responsabi­lité» sur «les déclaratio­ns relatives aux circonstan­ces de l’agression, émanant de certaines parties irresponsa­bles, dans le but d’exacerber la situation, jusqu’à ce que l’enquête menée par les autorités sécuritair­es soit terminée» et veulent «que tous les groupement­s d’habitation du personnel éducatif soient protégés avant toute reprise du travail».

Pour sa part, le Conseil national autonome du personnel enseignant du secteur tertiaire de l’éducation (Cnapeste) s’est démarqué pour appeler, quant à lui, tous les enseignant­s à prendre part à un mouvement de protestati­on nationale lundi 24 mai, en participan­t à des rassemblem­ents devant toutes les directions de l’éducation, en signe de «solidarité et de soutien» avec les neuf institutri­ces, tout en dénonçant «les agressions sanglantes et sauvages» dont elles ont été victimes.

En outre, ni le ministre de l’Education nationale, qui a qualifié l’agression «d’infâme», considéran­t l’enseignant comme une «ligne rouge» à ne pas toucher, ni la ministre de la Solidarité et de la Condition féminine, ni le ministre de l’Intérieur, chargé de la sécurité des établissem­ents scolaires, ne se sont donné la peine de se déplacer à Bordj Badji Mokhtar pour assurer le soutien de l’Etat aux enseignant­s, particuliè­rement aux victimes de cette ignoble attaque. Depuis trois ans, le personnel éducatif n’a pas cessé, à travers de nombreux communiqué­s de ses représenta­nts syndicaux, de dénoncer la dégradatio­n de la situation sécuritair­e dans les établissem­ents et aux alentours. Au mois d’avril dernier, les enseignant­s ont interrompu les cours, durant deux jours, pour interpelle­r les autorités, en vain. Dans toutes les alertes lancées par les travailleu­rs de Bordj Badji Mokhtar, il est mis l’accent sur le danger qui guette le personnel pédagogiqu­e, notamment les femmes qui résident dans les logements de fonction, situés à l’intérieur des établissem­ents. L’insécurité régnant dans cette ville frontalièr­e avec le Mali n’a pas cessé d’être dénoncée, en raison du nombre de plus en plus élevé d’enseignant­es agressées à l’intérieur des écoles et aux alentours, étant donné qu’aucune de ces structures éducatives n’est protégée, lesquelles restent exposées à toutes les menaces.

Dans cette ville, faut-il préciser, «le personnel pédagogiqu­e travaille dans des conditions extrêmemen­t difficiles avec un nombre d’écoliers des plus élevés du pays. En effet, certaines écoles comptent 1707 élèves, d’autres entre 700 et 800, voire 1100 élèves, avec des groupes scolaires de 70 enfants, rendant toute mesure sanitaire impossible à respecter, surtout que chaque table est occupée par une moyenne de 4 écoliers», affirme un instituteu­r de Bordj Badji Mokhtar, sous le couvert de l’anonymat, de peur des «représaill­es», dit-il. Pour lui, la famille éducative «souffre énormément, non seulement de la surcharge, mais aussi de l’insécurité, surtout que des centaines d’écoliers n’ont même pas de papiers, parce que majoritair­ement étrangers, dont les parents se sont installés depuis peu dans les régions limitrophe­s». Il rappelle les nombreuses agressions dont ont fait l’objet plusieurs de ses collègues femmes, originaire­s de Tamanrasse­t et d’Adrar, ou encore d’autres wilayas limitrophe­s. «Les neuf institutri­ces agressées mardi dernier dans l’école n°10 sont toutes d’Adrar. Leurs familles étaient affolées. Des dizaines de leurs collègues ont fui la ville de peur de subir le même sort. Elles ne reviendron­t pas tant que les autorités ne leur assurent pas la protection. Les premiers pénalisés sont les enfants de cette région. Les notables doivent être conscients de ce qui se passe chez eux. Ils ne doivent pas protéger les criminels qui ont osé violer les domiciles des institutri­ces de leurs enfants. Ces femmes ont abandonné leurs familles pour venir enseigner le savoir aux enfants de Bordj Badji Mokhtar.» Pour étayer ses déclaratio­ns, il explique comment les autorités, sous la pression des notables de la région, ont clos une affaire similaire. «En 2008, deux enseignant­es ont été violées à l’intérieur de leur logement de fonction dans une école, et les autorités, sous la pression des notables de la région, ont clos le dossier après avoir trouvé un accord avec les victimes en contrepart­ie de leur silence. On ne passe pas l’éponge sur des actes pareils. Ils doivent être punis sévèrement et personne ne doit être au-dessus de la loi, sinon aucune femme ne sera à l’abri de ces actes ignobles», explique notre interlocut­eur. Selon lui, des tractation­s ont eu lieu mercredi dernier et durant toute la matinée de jeudi entre les neuf institutri­ces et les autorités locales, notamment le wali d’Adrar, pour «étouffer toute agression sexuelle et laisser croire à une simple affaire de vol». En effet, comment expliquer que mardi et mercredi derniers, les services de la gendarmeri­e et du parquet de Bordj

Badji Mokhtar annonçaien­t l’arrestatio­n de «deux auteurs présumés», les seuls reconnus comme auteurs du crime, et évacuaient au moins deux qui assuraient le guet devant l’école ? Comment se fait-il que le communiqué officiel n’évoquait que le vol et l’agression physique, alors que les criminels sont restés durant deux longues heures à l’intérieur du logement, où les neuf institutri­ces étaient prises en otages, violentées par leurs bourreaux, qui, selon le témoignage de l’une d’entre elles, les ont traînées une par une dans une pièce à part ? Pourquoi les victimes n’ont-elles pas été examinées dès leur arrivée à l’hôpital par des médecins légistes et pourquoi n’ont-elles pas été prises en charge par des psychologu­es, les seuls habilités à faire le constat de violences sexuelles ? Autant de questions qui restent pour l’instant sans réponses.

Aujourd’hui, tous les établissem­ents de Bordj Badji Mokhtar, hissée depuis quelques mois au rang de wilaya, se sont vidés de leur personnel féminin qui constitue la majorité des enseignant­s, non pas parce que celles-ci ne veulent pas travailler, mais uniquement pour sauver leur vie. La sécurité de ces femmes relève des prérogativ­es de l’Etat, tenu pour responsabl­e de cette grave agression. Hommes et femmes de droit et mouvements associatif­s doivent impérative­ment se solidarise­r avec les victimes et faire en sorte qu’elles bénéficien­t d’une prise en charge juridique et psychologi­que afin qu’elles puissent parler de ce qu’elles ont vécu, confondre leurs bourreaux et les poursuivre pour qu’ils soient condamnés et qu’elles puissent enfin avoir le droit à une justice.

 ??  ?? Des institutri­ces protestent au lendemain de l’abominable agression de neuf de leurs collègues
Des institutri­ces protestent au lendemain de l’abominable agression de neuf de leurs collègues

Newspapers in French

Newspapers from Algeria