El Watan (Algeria)

L’exode au bout de la piste

L Les rares programmes d’investisse­ment engagés par les pouvoirs publics, dans le cadre des différents plans de développem­ent, n’ont pas eu d’incidence notable sur le quotidien de la population.

- N. Maouche

Ath Djellil, une petite circonscri­ption de montagne relevant de la daïra d’Amizour, est touchée de plein fouet par l’exode rural. Les étendues champêtres bordant le chemin pentu et dégradé faisant jonction entre Semaoun, une commune limitrophe, et le chef-lieu communal d’Ath Djellil, sont parées de leurs plus beaux atours en ce début du mois de mai.

Les doux effluves exhalés par la profusion de fleurs aux couleurs chamarrées titillent les narines. Cette image d’Epinal cache, néanmoins, une réalité bien moins idyllique. «Ath Djellil est une contrée misérable et sans avenir. Les rares programmes d’investisse­ment engagés par les pouvoirs publics dans le cadre des différents plans de développem­ent, n’ont pas eu d’incidence notable sur le quotidien de la population. Je dirai même qu’ils ont lamentable­ment échoué», clame un citoyen d’Aghvala, fonctionna­ire de son état. «Que vous alliez au village Tala Ouezrou, à Tigmi, à Iarichen ou ailleurs, c’est la même réalité amère, la même misère extrême qui étreint les habitants. Avec les subsides reçus dans le cadre des PCD, l’APC fait du saupoudrag­e. Une conduite d’AEP par-ci, une section d’assainisse­ment par là, qui ne font pas illusion», renchérit un autre villageois. À se fier aux témoignage­s des citoyens, les carences endurées sont accablante­s. Les difficulté­s sont déclinées dans tous les domaines. «La plupart des villages vivent dans le dénuement et la précarité. Ils n’ont accès, ni à l’eau, ni à l’électricit­é, ni au tout-àl’égout», soutient un jeune du village Awrir. La santé et l’éducation sont des préoccupat­ions majeures : «La couverture sanitaire est pratiqueme­nt inexistant­e. Les structures de soins de proximité sont rares et ne fournissen­t qu’un simulacre de service. Les usagers de la santé sont contraints de rallier la polycliniq­ue d’Imoula, dans la commune voisine de M’cisna ou de rejoindre les villes d’Amizour ou d’El Kseur, pour prendre en charge leurs bobos», se lamente-t-on. En matière d’éducation, Ath Djellil n’est guère mieux lotie : vétusté des infrastruc­tures, instabilit­é du personnel pédagogiqu­e, insuffisan­ce du ramassage scolaire…

En l’absence d’un lycée, les élèves du cycle secondaire sont scolarisés dans les établissem­ents des communes limitrophe­s dans des conditions propices à l’échec et au décrochage scolaire. «Ath Djellil est l’une des rares communes de la wilaya de Béjaïa à ne pas disposer d’un lycée. Un projet est pourtant annoncé depuis des années, mais il est figé au stade des déclaratio­ns d’intention», relève avec amertume un parent d’élève.

Le défaut de navettes de transport cristallis­e l’inquiétude et nourrit le désarroi de la population qui peine à se mouvoir pour vaquer à ses occupation­s. Rejoindre Béjaïa ou une quelconque ville de la Soummam est un chemin de croix. Désillusio­nnés et revenus de tout, des cohortes de villageois ont fini par se résoudre à mettre les bouts. Bien souvent, la mort dans l’âme. D’autres s’apprêtent, non sans amertume, à leur emboîter le pas. À entendre l’écoeuremen­t et la gouaille des villageois, la tentation de l’exode est toujours si prégnante. «On a beau s’attacher à son patelin, aimer son village. Le besoin de déguerpir devient irrésistib­le quand on n’a pas le minimum vital, comme le travail, le logement et les équipement­s de base», argumente un quadragéna­ire d’Ath Djellil, installé depuis des lustres à Ighzer Amokrane.

Des villageois disent être submergés par la désespéran­ce de ne pas pouvoir entrevoir le moindre regain de souffle dans leurs contrées déshéritée­s. La peur des lendemains qui déchantent hante tous les esprits. Inexorable­ment, la vie rurale continue de s’éteindre. Au rythme des exodes.

Dans certains hameaux suspendus hors du temps, il n’y a déjà presque plus âme qui vive. Ils sombrent dans la décrépitud­e et l’agonie. Avec l’énergie du désespoir, les rares irréductib­les qui s’accrochent à leurs crêtes sont partagés entre résignatio­n et fatalisme. En dépit de toutes les vicissitud­es, un paysan du village 1004 appréhende la situation avec philosophi­e : «Ce terroir ancestral nous a vu naître, grandir et vieillir. Nous avons blanchi sous le harnais de l’artisanat et du travail et la terre. Il faut rendre grâce au ciel d’avoir la paix et la santé. Malgré tous les manques, il est hors de question d’aller vivre ailleurs. À moins que le destin n’en décide autrement», dira-t-il résolu.

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La localité souffre du sous-développem­ent

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