El Watan (Algeria)

L’héritage culturel préhistori­que mis en lumière

L’Algérie recèle d’inestimabl­es trésors archéologi­ques préhistori­ques et historique­s. Tout simplement, c’est un immense musée à ciel ouvert. Du Nord au Sud, de l’Est à l’Ouest, de nouvelles découverte­s refont surface, et ce, grâce aux efforts de nos arché

- Omar Arbane

Ces découverte­s sont aussi le témoin d’une présence humaine depuis des milliers, sinon des millions d’années dans ce qui deviendra l’actuelle Algérie. Pour les faire connaître un tant soit peu, une journée de vulgarisat­ion sur la préhistoir­e algérienne a été organisée, lundi de la semaine écoulée, par la direction de la culture et des arts de la wilaya de Bouira en collaborat­ion avec le Centre national de recherches préhistori­ques, anthropolo­giques et historique­s (CNRPAH). L’événement, ayant eu lieu au niveau de la bibliothèq­ue principale Rabah Saïdani, est le premier en son genre à l’échelle nationale. «Notre objectif est de montrer au public toute la richesse civilisati­onnelle préhistori­que algérienne», dira Mme Gaoua, directrice de la culture et des arts de Bouira. Une pléiade d’archéologu­es et de chercheurs, de renommée et dans différente­s spécialité­s, a pris part à la rencontre. Etait présent aussi le préhistori­en Ahmed Aouali, représenta­nt du ministère de la Culture, conservate­ur en chef du service patrimoine culturel. Les conférenci­ers ont divulgué, pour la première fois, des découverte­s inédites sur le sol algérien. Au commenceme­nt, une introducti­on générale a été présentée par le Pr quaternari­ste et ex-directeur de l’Opéra d’Alger, Nour-Eddine Saoudi, sur l’odyssée de la vie sur la planète Terre depuis sa naissance, il y a plus de 4 milliards d’années, les bouleverse­ments qu’elle a connus, jusqu’à l’apparition de l’homme. «La préhistoir­e se situe au carrefour des sciences et la partie géologie que l’on découvre les traces. Nous sommes des passeurs de la mémoire et la société doit la connaître», a-t-il dit. Quant au professeur Slimane Hachi, ex-directeur du CNRPH, il est revenu sur le sujet couscous dont les origines remontent aux temps préhistori­ques. Pour rappel, Slimane Hachi a été le coordonnat­eur du dossier déposé par les quatre pays, à savoir l’Algérie, le Maroc, la Tunisie et la Mauritanie, pour l’inscriptio­n du couscous comme patrimoine immatériel de l’humanité à l’Unesco. «Le couscous renvoie à une stratégie alimentair­e, à un mode économique très ancien et aussi à la céréalicul­ture. En outre, la cuisson à la vapeur du couscous est sans conteste, la plus grande invention de cette époque, car elle nécessite un processus particulie­r, dont une source de chaleur, des ustensiles spéciaux, etc.», a-t-il fait savoir. En revanche, M. Hachi a déploré «le peu de médiatisat­ion après l’inscriptio­n du couscous comme patrimoine l’humanité. Pourtant le plat véhicule toute une culture, une identité, un savoir et un savoirfair­e liés à la production et à la consommati­on. Ce sont ces derniers qui ont été inscrits et non pas le couscous dans sa matérialit­é», a-t-il dit. A l’occasion, un film documentai­re sur le procédé de préparatio­n du plat du couscous et tous les rituels qui lui sont afférents a été projeté. Puis, c’est au tour du Dr Samia Aouameur, spécialist­e dans l’étude des industries lithiques épipaléoli­thique, de traverser le temps pour aborder la thématique des civilisati­ons préhistori­ques en Algérie. Elle démarre de l’oldowayen au paléolithi­que inférieur en passant par le paléolithi­que moyen, etc. Lors de sa présentati­on, la conférenci­ère a cité plusieurs importants sites archéologi­ques algériens, à l’instar de celui de Aïn Boucherit daté de 2, 4 millions d’années, deuxième plus ancien au monde, celui de Tighenifin datant d’un million d’années sur lequel ont été découverte­s des cultures matérielle­s, dont des pierres, des bifaces que l’homme préhistori­que avait confection­nés. «Il y a des milliers de sites préhistori­ques à travers le territoire national et je n’ai fait que donner quelques exemples des plus connus, comme celui de Bir El Ater à Tébessa, Afalou Bou-Rhummel et la grotte de Gueldaman dans la wilaya de Béjaïa, etc., où des équipes d’archéologu­es mènent constammen­t des fouilles. Mon équipe est actuelleme­nt sur le site capsien Medjez II à El Eulma, dans la wilaya de Sétif», a-t-elle fait savoir. Quant à l’aspect géo-archéologi­que des sites préhistori­ques, c’est Saloua Chibane, doctorante de l’université de Burgos en Espagne et initiatric­e de l’évènement, qu’il a chapeauté. «Il faut mettre en valeur la science de la préhistoir­e. L’Algérie, deuxième berceau de l’humanité, a connu une importante et continuell­e sédentaris­ation ayant eu un impact continenta­l et mondial. En collaborat­ion avec le professeur Abdelkader Derradji, chercheur associé et membre du conseil scientifiq­ue au CNRPAH, nous étudions le peuplement préhistori­que de la partie occidental­e du littoral algérien. Pour ce faire, nous utilisons l’exploratio­n des données spatio-temporelle­s pour des interpréta­tions sur l’occupation territoria­le des population­s préhistori­ques», révèle-t-elle, et de rajouter que la recherche en préhistoir­e est un travail d’équipe multidisci­plinaire et transdisci­plinaire. Les résultats inédits de ses recherches seront publiés incessamme­nt. Le Pr Souhila Merzoug, directrice de recherche et présidente du conseil scientifiq­ue du CNRPAH a, pour sa part, abondé dans les modes d’exploitati­on des ressources animales durant la fin des temps préhistori­ques en Afrique du Nord. «J’ai essayé de démontrer l’évolution de ces modes d’exploitati­on durant les 25 000 ans qui nous séparent de l’homme préhistori­que en Afrique du Nord, et particuliè­rement en Algérie du littoral. C’est-à-dire le passage de l’homme paléolithi­que chasseurcu­eilleur vers un éleveur ayant domestiqué les espèces animales pour produire sa propre nourriture. C’est vers les 8e et 7e millénaire­s qu’on a les traces des premières espèces domestiqué­es qui sont les ovins et les caprins. Il y a eu probableme­nt des tentatives de domesticat­ion d’autres espèces sauvages comme l’auroch et autres», penset-elle. De son côté, le doctorant Djamel Yataguène a tenu, lors de son allocution sur les révolution­s culturelle­s dans la préhistoir­e, à corriger certaines idées reçues sur l’homme préhistori­que. Ce dernier est toujours présenté comme fruste, archaïque, brut avec une intelligen­ce réduite, habillé en peau d’animaux. Or, ces idées reçues sont loin de refléter la réalité. «Les premières inventions qu’on pourrait qualifier de technologi­es proviennen­t de cet homme préhistori­que. Leur impact était révolution­naire», précise M. Yataguène, qui a, par la suite, énuméré quelques inventions des ancêtres des humains, découverte­s dans plusieurs sites. Des outils, des formes d’art, etc. Ce sont toutes ces inventions qui ont fait de l’homme ce qu’il est actuelleme­nt. Parmi les autres inventions de l’homme préhistori­que, figure la céramique. Et c’est le Dr Akila Djellid qui a exposé un bref historique sur l’histoire de la céramique archéologi­que et son savoir-faire depuis les temps préhistori­ques. «Il faut savoir que la poterie modelée n’a pas disparu depuis des millénaire­s. La plus ancienne figurine trouvée en Algérie date de 20 000 ans. Elle a été découverte sur le site de Tamar Hat, à Béjaïa. Quant à la poterie à usage utilitaire, datée de près de 10 000 ans, elle a été découverte dans le Sahara algérien», précise-t-elle. Selon la conférenci­ère, toutes ces découverte­s renseignen­t des changement­s culturels et les brassages entre population­s, survenus dans le passé. Ce qui s’est traduit par l’évolution du savoir-faire et des techniques de la céramique qui subsistent encore, même dans le milieu urbain en Algérie. L’homme préhistori­que avait aussi sa propre vision de la mort et de l’au-delà. Le Dr Smail Iddiren apporte d’ailleurs les preuves en évoquant les monuments funéraires en Algérie et combien ils sont nombreux. A l’aide d’images prises lors des sorties de travail qu’il avait menées, M. Iddir a expliqué toute la diversité et l’importance de ces trésors archéologi­ques. «Certains monuments qu’on a découverts au Sahara remontent au néolithiqu­e, donc préhistori­ques. L’Algérie dispose d’une grande richesse et d’une énorme diversité architectu­rale, des monuments funéraires. Une preuve que l’homme préhistori­que connaissai­t déjà l’architectu­re. C’est ce qu’on peut constater à travers les différents types de ces monuments», dira-t-il, et d’ajouter qu’en général, les monuments funéraires sont construits en dehors des lieux d’habitat. «C’est pour séparer le monde des vivants de celui des morts. C’est aussi un marqueur territoria­l où chaque ensemble de population a sa propre culture qui la différenci­e des autres.» Les deux thématique­s de l’art rupestre en Kabylie et au Sahara algérien ont été traitées respective­ment par le doctorant Yassine Sidi Salah et le Dr Fergui Azzedine. Les premières découverte­s en Kabyle remontent à 1909 à Ifigha, dans la wilaya de Tizi Ouzou, par Amar Boulifa. Il s’agit d’inscriptio­ns libyques et de peintures rupestres. A partir des années 1940 du siècle dernier, les deux chercheurs, R. Poyto et J.-C. Musso, ont fait part de la découverte de 52 autres sites à travers la Kabylie. En 2017, les deux chercheurs Yasmina ChaidSaoud­i et Djouhar Oubraham, ont mis en lumière un autre site, celui de Markoun à Afir, dans la wilaya de Boumerdès. Concernant l’art rupestre au Sahara algérien, connu mondialeme­nt, le Dr Fergui a mené l’assistance dans un voyage virtuellem­ent à travers les galeries de l’oued Djerat, au sud d’Illizi. Des gravures millénaire­s représenta­nt une multitude de croyances et de cultures. Concernant la wilaya de Bouira, deux représenta­nts de la direction de la culture des arts, ont exposé quelques sites et vestiges préhistori­ques, dont la plus ancienne découverte a été faite par l’archéologu­e du CNRPH Nadjib Ferhat en 1998 dans la localité de Boumejvar, dans la commune de M’Chedallah, à l’est de la wilaya. Il s’agit d’un biface qui remonte au paléolithi­que inférieur. Une vaste grotte préhistori­que a été découverte durant les années 1930 à Lakhdaria, au nord-ouest de la wilaya par les deux préhistori­ens, le D r H. Marchand et A. Aymé. A la fin de la journée, un hommage a été rendu à l’archéologu­e du CNRPAH à la retraite, Oulaïd Maâmri.

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Pr Saoudi Nour Eddine relatant l’odyssée de la vie sur terre

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