Retour sur un épisode crucial de l’histoire nationale
La période des années 1990 reste l’angle mort de l’édition algérienne. Les essais publiés sur cette période trouble de l’histoire nationale sont rares. Des chercheurs en histoire, des sociologues et des journalistes ont publié des essais, des reportages, des témoignages, mais rarement des analyses fouillées sur cette époque, qui s’est ouverte avec les événements d’Octobre 1988 et qui a vu l’émergence en force des partis d’obédience islamiste. Emergeront de cette production parcellaire des travaux de Aïssa Khelladi, Mohamed Issami, ou encore l’essai très fouillé de Myriam Aït Aoudia. Le journaliste Amer Ouali revient dans son livre Le Coup d’éclat, De la naissance du FIS aux législatives avortées de 1991, publié cette semaine aux éditions Frantz Fanon, sur cette séquence de l’histoire nationale, en s’intéressant de près au phénomène FIS, dont il a approché les leaders et couvert les différents événements. Journaliste tour à tour au quotidien Liberté et à l’AFP, Amer Ouali a la légitimité nécessaire pour écrire sur cette période : dans son avant-propos de cet essai fouillé, il signale que pour lui le FIS n’est pas «un sujet exotique comme il a pu l’être pour certains envoyés spéciaux de la presse étrangère, ou une matière abstraite comme pour les experts reconnus ou autoproclamés de l’islamisme. Je l’ai connu et j’ai connu ses militants de près». Organisé en chapitres, le récit jette une lumière crue sur les différentes périodes qui ont vu la montée fulgurante du parti dissous. La thèse centrale défendue par l’auteur est celle-ci : le recours à la violence par le parti islamiste n’a pas commencé avec l’arrêt du processus électoral. S’appuyant sur une large documentation (communiqués, brochures, journaux (El Mounqid, El Forkane), en plus de ses reportages de terrain, Amer Ouali relève dans son enquête, sous forme d’un journal, que la violence n’est guère une dérive «conjoncturelle», mais est une «conspiration théocratique» qui vise, soutient-il, à «anéantir» l’Etat national. Le journaliste nous replonge dans une période avec ses nombreux acteurs, dont la prégnance sur le moment est différente (Présidence, armée, FIS, partis de l’opposition dont le FFS, Ben Bella, etc.). Comme le note très justement le préfacier Mustapha Hammouche, Amer Ouali permet de contribuer à la «compréhension du processus» de la «montée aux extrêmes» qui, en Algérie, a lentement «transformé une tentative d’évolution démocratique en une guerre terroriste intestine». Dans le dernier chapitre de son ouvrage intitulé Régression fécondes ?, l’auteur bien informé résume les malheurs d’un pays où tout changement démocratique, revendication d’un peuple dans la rue depuis février 2019 est à l’arrêt. «Là où la controverse s’estompe, c’est au sujet de la démocratie : l’interruption du processus électoral supposée barrer la route du pouvoir à un parti totalitaire s’est révélé un arrêt du processus démocratique. Le pouvoir issu de l’indépendance a mis 30 ans pour laisser faire une élection libre. Celui issu de janvier 1992 a déjà atteint ce délai et mettra sans doute bien plus, qui plus est sous le label ironique de multipartisme. Depuis l’élection du président Liamine Zeroual en novembre 1995 jusqu’au référendum constitutionnel de novembre 2020, aucune consultation électorale n’a échappé aux dénonciations de fraude», tranche-t-il. Il poursuit : «Le suffrage universel ne faisant pas seul la démocratie, le climat général s’est dégradé : la presse est muselée, les opinions contraires sont combattues, les militants sont traqués, les partis et associations non soumis ne sont pas autorisés.» Fatalité ? Nadir Iddir Amer Ouali, Le Coup d’éclat, De la naissance du FIS aux législatives avortées de 1991, éditions