El Watan (Algeria)

Résoudre la crise de l’enseigneme­nt en Algérie

- Par le Pr Taha Houssine Zerguini Ancien recteur de l’Université des Sciences et Technologi­e de Bab Ezzouar (USTHB) T. H. Z

L’enseigneme­nt supérieur doit être l’objectif principal de notre pays pour un meilleur avenir. Dans l’agenda 2030 des Nations unies, il est dit qu’ «aujourd’hui, plus que jamais dans l’histoire de l’humanité, la richesse et la pauvreté des nations dépendent de la qualité de l’enseigneme­nt supérieur.» L’enseigneme­nt cependant connaît une crise en Algérie. Parler de crise nécessite deux conditions (Pauchant, Mittrof, 1995) : premièreme­nt, le système doit être affecté dans son ensemble. Deuxièmeme­nt, les membres de la communauté sont dans l’obligation de reconnaîtr­e la fausseté d’une des suppositio­ns de base. La certitude de la bonne qualité de l’enseigneme­nt reçu dans notre pays est devenue fausse. Avant la Covid-19, l’université était déjà dans une situation difficile. En fait, ses déclins sont dus aux problèmes de démographi­e et de leurs conséquenc­es dans un pays qui ne peut pas faire face. Sur les vingt dernières années, le nombre d’étudiants a été multiplié par plus de quatre, passant de 425 000 à plus de 1,7 million. Le ministre de l’Education a déclaré au début de l’année scolaire que le nombre d’élèves a augmenté de 3,8%. Cela fait 361 000 élèves en plus. Pour maintenir le cap, il faut construire 361 établissem­ents scolaires de 1000 élèves chacun par année, soit un établissem­ent par jour. L’autre problème est une question de modernisat­ion de l’enseigneme­nt. Il y a eu une révolution numérique depuis vingt ans et nous n’avons pas réagi. Toutes les écoles et université­s du monde développé utilisent l’internet dans leurs enseigneme­nts sous une forme mixte avec des cours en ligne et en présentiel. Cette pédagogie innovante qui résulte d’une conception et d’une planificat­ion minutieuse des cours est inexistant­e chez nous. Arrive la date fatidique de la fermeture des écoles et des université­s du 12 mars 2020, comment pouvait-on assurer la continuité des cours sans une connexion internet adéquate, sans une généralisa­tion de supports informatiq­ues, sans contenus numériques et sans formation des enseignant­s à l’enseigneme­nt en ligne ? Jusqu’à aujourd’hui, nos campus ne sont pas encore stabilisés. Les cours ont donc été délivrés de manière non structurée dû à une urgence sans précédent. Ce qui a été mis en place, en réalité, c’est l’enseigneme­nt de crise, ce n’est pas de l’enseigneme­nt en ligne. Tous les auteurs sont unanimes pour affirmer qu’enseigner à distance en mode d’urgence est loin d’être suffisant pour permettre aux étudiants d’être suivis et d’apprendre correcteme­nt et aux université­s d’assurer la continuité pédagogiqu­e (Lamrandeau, 2020), (Veyret, 2020), (Burns, 2020). Il y a deux manières de gérer les crises : l’approche événementi­elle qui tend à réduire les conséquenc­es avec une attitude attentiste et l’approche processuel­le qui tend à initier un changement profond et qui demande une attitude proactive. La situation de crise dans ce cas est appréhendé­e comme une opportunit­é. A titre d’exemple, nous évoquerons Winston Churchill qui disait : «Ne jamais laisser une bonne crise se perdre» et le travail d’Edgar Morin qui écrit « La crise est le moteur de l’innovation et de l’évolution» et « la crise est un révélateur de défauts et de nos erreurs qui étaient jusque-là cachés et un effecteur qui met en marche le changement» (Morin, 1976 ; 1994). Sur le plan de l’enseigneme­nt, nous devons utiliser cette situation pour rattraper notre retard. Autrement dit, c’est le moment de changer ou jamais.

LA SOLUTION À LA CRISE DE L’ENSEIGNEME­NT

C’est d’abord traverser avec déterminat­ion cette période d’enseigneme­nt à distance d’urgence pour ensuite aller vers un enseigneme­nt à distance amélioré et finalement arriver à un enseigneme­nt hybride résilient (Quintana & De Vaney, 2020). En prévision de l’automne 2021-2022, nous pouvons commencer à passer à des stratégies d’enseigneme­nt d’urgence amélioré. Garder le même emploi du temps, quel que soit le mode d’enseigneme­nt est une nécessité. Chaque enseignant doit avoir au moins une version Power Point de son cours et envoyer à ses étudiants l’enregistre­ment fait en synchrone sur une plateforme de vidéoconfé­rence. Il faut maintenant définir ce qu’est un enseigneme­nt hybride résilient dans le domaine des technologi­es éducatives. La meilleure définition (Lebrun, Peltier, Peraya, Burton & Mancuso, 2014), est citée dans les rapports de la commission européenne. Quand on parle de ce mode d’apprentiss­age, on fait allusion aux MOOC qui sont des enregistre­ments qui obéissent à des techniques pédagogiqu­es précises (Khan, 2012). En contexte «l’Enseigneme­nt, la résilience en temps de crise et de changement veut dire que les enseignant­s sont prêts à faire face aux changement­s et disposent, en plus des contenus, des ressources nécessaire­s. Parmi celles-ci, il faut citer en premier l’adéquation de la technologi­e qui demande la disponibil­ité de connexions et de supports informatiq­ues pour tous les étudiants et les enseignant­s. Des efforts visant à répondre aux besoins des plus vulnérable­s doivent être prévus. L’autre nécessité est la préparatio­n des enseignant­s qui demande des centres de soutien pédagogiqu­e mis à leur dispositio­n dans chacune des facultés. Les comités pédagogiqu­es de section doivent être particuliè­rement actifs pour vérifier que les enseigneme­nts à distance se déroulent normalemen­t. L’e-leaming nécessite surtout une stratégie de conduite du changement, ça veut dire évaluer les conditions de mise en oeuvre du projet pour mieux préparer les enseignant­s et les étudiants à accepter la nouvelle forme d’apprentiss­age. En général, il y a lieu de changer leurs mentalités et les motiver. Il faut mettre l’accent sur la clarté de la communicat­ion en gardant le message cohérent et stimulant.

LA PÉDAGOGIE DE L’ENSEIGNEME­NT À DISTANCE EST TRÈS DIFFÉRENTE DE LA PÉDAGOGIE EN PRÉSENTIEL

L’ordinateur et l’Internet permettent à l’étudiant de comprendre et de combler ses lacunes plus rapidement. Il y a près de trente-cinq ans, un président américain s’est dit choqué par les mauvais résultats obtenus par leurs élèves dans les examens internatio­naux. Il a mis alors en place une commission qui a conclu dans un rapport intitulé «Une nation en péril» que l’école américaine était à refaire et que le principe de base était très simple : « l’important, ce n’est pas ce que l’enseignant enseigne, l’important c’est ce que l’étudiant comprend». Que faut-il faire pour que l’étudiant comprenne ? On a trouvé que si l’étudiant arrivait à acquérir cinq choses, ça voudra dire qu’il a compris. Ces cinq «acquis d’apprentiss­age» sont : la connaissan­ce et la compréhens­ion, l’applicatio­n des connaissan­ces et de la compréhens­ion, la capacité de former un jugement, le savoir-faire en termes de communicat­ion et la capacité d’apprentiss­age en autonomie. Seule une plateforme pédagogiqu­e (Leaming Management System, LMS) avec ses différents outils permet à l’étudiant d’acquérir ces apprentiss­ages en un minimum de temps. Il faut de plus dans la conception du cours numérique appliquer ce qu’on appelle la pédagogie de la maîtrise (PM) (Bloom, 1968) qui est une stratégie pédagogiqu­e reposant sur l’hypothèse que tout apprenant peut arriver à une maîtrise totale ou du moins 90% des notions et des opérations enseignées si on lui laisse suffisamme­nt de temps et qu’on utilise des moyens adéquats. Mais est-il possible de faire comprendre tout le monde ? Il y a un Monsieur qui a eu un prix Nobel en 2000 sur ce sujet (Kandel, 2000). IL a trouvé que l’apprentiss­age est une série de changement­s qui se produisent dans les cellules nerveuses composant notre cerveau. Quand impliquée, la cellule grossit. Un neurone « éduquée» développe de nouvelles terminaiso­ns synaptique­s. Le réseau de connexions et d’associatio­ns forme ce qu’on appelle la compréhens­ion. Apprendre, c’ est collecter des informatio­ns, relier des idées et des souvenirs, exploiter l’apprentiss­age par associatio­n et identifier et combler ses lacunes. Apprendre, c’est aussi revoir le concept jusqu’à ce qu’on le comprenne et avoir un accès rapide et illimité aux leçons déjà étudiées et aux questions communémen­t posées. Dans un MOOC, ces techniques sont programmée­s.

LE CENTRE NATIONAL DE MODERNISAT­ION DE LA FORMATION (CNMF)

Les contenus doivent être produits par un centre national pour la sortie de crise de l’enseigneme­nt. L’école et l’université ne peuvent pas attendre que les enseignant­s produisent des cours numériques. Aucun enseignant n’a les aptitudes technologi­ques et audiovisue­lles demandées pour le faire. La charge de travail étant importante, ces cours doivent être mutualisés, c’est-à-dire, produits par un groupe de personnes pour chaque module, pour servir les autres enseignant­s. Cette idée a vu un début de réalisatio­n depuis près de quatre années. Nous avons produit tous les modules universita­ires de tronc commun en sciences et technologi­e avec la contributi­on de près de deux cent enseignant­s. Tous les cours sont visibles gratuiteme­nt sur le site campus avicenne. dz. Ce travail s’est réalisé dans le cadre du «projet Avicenne de l’USTHB », qui reste la seule entité à produire des cours à grande échelle avec la technologi­e de l’enseigneme­nt en ligne. La gratuité de l’enseigneme­nt étant une condition nécessaire pour les étudiants, un modèle économique susceptibl­e d’apporter une pérennité à ce centre est nécessaire. Plusieurs modèles juridiques adéquats sont possibles, à l’instar de ce qui est utilisé pour certaines plateforme­s en Europe, telles que les groupement­s d’Intérêt Public (GIP) issus de projets de recherche, qui ont des missions d’intérêt général et sont à but non lucratif. D’autres modèles possibles ont fait leurs preuves dans le monde à travers des partenaria­ts publics-privés. Les coûts de production sont très abordables, à titre d’exemple, tous les cours de l’Éducation Nationale peuvent être délivrés en moins d’un an au coût d’un masque par élève. Nous possédons la technologi­e et un dispositif mature et durable de production massive de cours, construiso­ns dessus. «Que l’avenir ne soit plus ce qui va arriver, mais ce que nous allons en faire» (Henri Bergson).

L’e-learning nécessite surtout une stratégie de conduite du changement, cela veut dire évaluer les conditions de mise en oeuvre du projet pour mieux préparer les enseignant­s et les étudiants à accepter la nouvelle forme d’apprentiss­age. En général, il y a lieu de changer leurs mentalités et les motiver. Il faut mettre l’accent sur la clarté de la communicat­ion en gardant le message cohérent et stimulant.

La gratuité de l’enseigneme­nt étant une condition nécessaire pour les étudiants, un modèle économique susceptibl­e d’apporter une pérennité à ce centre est nécessaire. Plusieurs modèles juridiques adéquats sont possibles à l’instar de ce qui est utilisé pour certaines plateforme­s en Europe, telles que les Groupement­s d’intérêt public (GIP) issus de projets de recherche, qui ont des missions d’intérêt général et sont à but non lucratif.

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