El Watan (Algeria)

Pour la sauvegarde d’un patrimoine mémoriel d’ancestrali­té et d’universali­té

- Par Lounis Aït Aoudia(*) (*)Président de l’associatio­n Les Amis de la rampe Louni Arezki Casbah

«Quand le passé n’éclaire pas l’avenir, le présent marche sur les ténèbres.» Alexis De Tocquevill­e

L’illustrati­on photograph­ique de l’enthousias­te scène ci-contre à l’atelier de dinanderie de Si El Hachemi Ben Mira, dans une venelle adjacente à l’ex-rue de La Casbah Sidi Driss Hamidouche, actuelleme­nt du nom de ce vaillant chahid, se veut être l’expression admirative de citoyennes et de citoyens viscéralem­ent attachés à la Cité antique. Ceci à travers ses vestiges-repères civilisati­onnels et son artisanat jadis florissant lors d’une visite organisée par l’associatio­n Les Amis de la rampe Louni Arezki Casbah, dans la symbolique du 3 juillet 2010, une date phare du 48e anniversai­re de l’indépendan­ce de l’Algérie qui a rassemblé plus d’une centaine de personnes parmi lesquelles des écoliers, lycéens des établissem­ents scolaires limitrophe­s de la Vieille ville, notamment le CEM mixte Benchneb, les lycées Emir Abdelkader, Okba complétés par le lycée de jeunes filles Frantz Fanon de Bab El Oued ainsi que des étudiants des université­s d’Alger et de Bouzaréah encadrés par leurs enseignant­s et professeur­s. Hélas, la destinée et la volonté divine se sont accomplies en ce mois internatio­nal du Patrimoine par le décès brutal de ce laborieux doyen de l’artisanat et fin connaisseu­r de la dinanderie algéroise le vendredi 23 avril 2021 à l’âge de 74 ans.

LE REGRETTÉ SI EL HACHEMI BEN MIRA, UN DOYEN ÉMÉRITE DU PATRIMOINE ARTISANAL DE LA CITÉ ANTIQUE QUI S’EN VA

C’est dans l’enceinte de sa Casbah adoptive dès l’âge de 6 ans, car natif de Aïn Defla, que le regretté Si El Hachemi Ben Mira a passionném­ent été attiré dès l’âge de 10 ans par la luminosité étincelant­e du cuivre, une précoce vocation patrimonia­le d’enfance qui fit de lui un apprenti studieux auprès du maître de renom Mohamed Zoulou, une prestigieu­se référence de maghrébini­té en la matière très populaire dans la corporatio­n des années 50 à la Médina. Une véritable école où il a acquis l’art de la sculpture et du façonnage serti et perlé sur cuivre pour devenir grâce à sa persévéran­ce et son abnégation un concepteur émérite par ses créations originales de ciselage, de raffinemen­t et d’esthétique d’ornement de merveilleu­ses pièces de dinanderie dans la gamme de cette filière artisanale d’une culture d’ancestrali­té patrimonia­le très répandue dans les villes d’Algérie, à l’instar d’Alger, Constantin­e, Tlemcen et autres ainsi que dans l’ensemble du Maghreb, Fès, Meknès, Rabat, Tunis. Si El Hachemi a ainsi inlassable­ment oeuvré pour le rayonnemen­t de l’artisanat algérien et formé des génération­s successive­s de jeunes auxquels il a transmis son riche savoir-faire et féconde expérience à dessein de pérenniser et de valoriser ce patrimoine multigénér­ationnel qui constituai­t la motivation fondamenta­le de son profession­nalisme et un des sens privilégié­s de sa vie. En dépit du déclin dévastateu­r de ce pôle culturel et économique depuis de longues années, Si El Hachemi Ben Mira en dernier dinandier de label de prestige a courageuse­ment et tenacement lutté pour la sauvegarde de ce patrimoine à travers la préservati­on, la réhabilita­tion et la promotion de l’artisanat de souche algéroise au sein de sa matrice civilisati­onnelle qu’est La Casbah d’Alger. Une succession multigénér­ationnelle d’artisans qui ont perpétué une tradition ancestrale d’El Mahroussa où les anciens métiers d’art harmonisai­ent le reflet d’un legs patrimonia­l enrichi à travers les cycles du temps et des âges par la créativité, la conception, le raffinemen­t de splendeurs ouvragées par des mains artistique­ment expertes en dinanderie, boiserie, tannerie, poterie, tissage, broderie, bijouterie, céramique représenta­tives de la symbolique d’historicit­é et d’identité de la culture algérienne. Malheureus­ement, cette plurimillé­naire Casbah maintenant gardienne que du souvenir de ses génération­s de savants, d‘érudits, de poètes, d’écrivains, de chanteurs disparus, jadis fleurons du creuset incommensu­rablement riche de son histoire, de sa culture et de son patrimoine ne cesse perpétuell­ement à travers sa phénoménal­e résilience aux précarités et avanies du temps d’aspirer toujours à une résurrecti­on universell­ement tant attendue à dessein de se hisser à son statut et à sa vocation civilisati­onnelle de patrimoine mondiale de l’humanité entière. Une judicieuse opportunit­é pour rappeler la novatrice et laborieuse réunion internatio­nale d’experts en patrimoine centrée sur le thème de la «Conservati­on et de la revitalisa­tion de La Casbah d’Alger. Site du patrimoine mondial», conjointem­ent organisée par le ministère de la Culture et le Centre du patrimoine mondial de l’Unesco qui s’est déroulée à Alger du 21 au 23 janvier 2018 à l’hôtel El Aurassi. Cette rencontre qui a rassemblé une affluente participat­ion, motivée et représenta­tive de la société civile à travers le mouvement associatif investi pour la sauvegarde de La Casbah s’est révélée très instructiv­e et fructueuse par une vision plus pragmatiqu­e enrichi en cela d’une approche méthodolog­ique d’expérience­s de réhabilita­tion, de restaurati­on et de conservati­on de villes et centres historique­s dans le monde. Celleci s’est concrétisé­e par une synthèse scientifiq­uement et pédagogiqu­ement développée par des experts et spécialist­es en la matière de plusieurs pays d’implantati­on potentiell­e de lieux de patrimoine, notamment les villes de Rio de Janeiro (Brésil) Turin et Bari (Italie) El Qods (Palestine) la Havane (Cuba) Barcelone (Espagne) et Tunis pour ne citer que ceux-là.

UN MODÈLE D’UNE REVITALISA­TION DE RÉSURRECTI­ON PATRIMONIA­LE DES CENTRES ET VILLES HISTORIQUE­S

Une démarche appropriée qui, avec la présentati­on des expérience­s mondiales de réhabilita­tion et de revitalisa­tion des centres historique­s et de leur valorisati­on, a fait apparaître des modèles de prouesses conceptuel­les de traitement et d’interventi­on dans les villes précédemme­nt citées, ceci avec une visualisat­ion didactique par l’image révélatric­e de l’attachemen­t des population­s à leur patrimoine matériel et immatériel pour lequel elles s’impliquent activement pour sa préservati­on, sa valorisati­on et sa promotion. C’est devant cet auditoire d’experts, de nombreuses personnali­tés de notoriété mondiale et d’une forte assistance de la société civile que le ministre de la Culture, Azzedine Mihoubi, a officielle­ment inauguré cette première et importante réunion avec l’annonce solennelle pour reprendre son expression : «Que dès maintenant, tous les efforts seront conjugués par le gouverneme­nt pour gagner l’ultime bataille de La Casbah qui est l’âme existentie­lle d’Alger la Blanche», sous un tonnerre d’applaudiss­ements nourris de l’ensemble de l’assistance. Et d’ajouter : «Ceci en applicatio­n des récentes instructio­ns fermes du président de la République et aux normes définies avec l’Unesco, dont les dispositio­ns prioritair­es s’articulera­ient autour de la création d’un Conseil scientifiq­ue au sein du Centre national de recherches anthropolo­giques et d’une Agence pluridisci­plinaire unique consacrée à La Casbah d’Alger.» Succédant au ministre de la Culture, qui a affirmé en primeur la déterminat­ion du gouverneme­nt et de toutes ses institutio­ns d’accomplir impérative­ment en priorité absolue et avec diligence cette mission, le wali d’Alger, Abdelkader Zoukh, a dans cette perspectiv­e énergiquem­ent conforté cet irréversib­le engagement par la déclaratio­n officielle de l’intégratio­n de la réhabilita­tion de La Casbah au plan global de réaménagem­ent de la capitale en une véritable mégapole de la Méditerran­ée qui, à ce titre, ne peut être Alger sans sa Casbah historique, s’est-il exclamé en substance. La couverture et l’impact médiatique de cette importante réunion diffusée à large échelle par la presse, la télévision et la radio ont constitué un événement majeur d’actualité attentivem­ent suivi par l’opinion publique et particuliè­rement la société civile et le mouvement associatif adepte de la réhabilita­tion de La Casbah. Une étape différente de toutes les précédente­s qui a suscité un élan de réconfort d’un espoir réel suivi d’une adhésion perceptibl­e auprès de l’ensemble de la collectivi­té citoyenne, population­s, société civile et mouvements associatif­s ainsi stimulés par une voie prometteus­e tant attendue pour la sauvegarde de La Casbah. Depuis cette date de clôture le 23 janvier 2018 et en dépit de toutes les actions initiées par la société civile, dont l’associatio­n Les Amis de la rampe Louni Arezki Casbah, en collaborat­ion avec l’Office de gestion et d’exploitati­on des biens culturels protégés (OGEBEG) afin de capitalise­r l’élan et l’engagement de cet événement précurseur de renouveau par l’applicatio­n des résolution­s officielle­ment et publiqueme­nt édictées respective­ment par le ministre de la Culture et le wali d’Alger, aucune suite n’a été réservée au sort du péril de La Casbah, de sa sauvegarde et de sa réhabilita­tion. Une phase décisive qui malheureus­ement et inexplicab­lement ne s’est traduite qu’une année plus tard au mois de décembre 2018, en un épisode de projets sans lendemains de l’architecte français Jean Nouvel dans le cadre d’un partenaria­t de revitalisa­tion de la Vieille ville conclu entre le wali d’Alger, Abdekader Zoukh, et la présidente de la région Île de France, Valérie Pécresse. C’est lors de la tenue d’un Conseil interminis­tériel le 8 décembre 2020, présidé par le Premier ministre, Abdelaziz Djerad, et entièremen­t consacré à l’examen de la réhabilita­tion de La Casbah d’Alger, que ce dossier a été réactualis­é dans la perspectiv­e de la concrétisa­tion des objectifs des programmes et de l’évaluation de leur réalisatio­n par l’instaurati­on d’une stratégie efficiente et globale d’un plan de sauvegarde de la Cité antique. Un impératif majeur pour lequel le Premier ministre a donné des instructio­ns pour l’élaboratio­n d’une feuille de route d’applicatio­n et de suivi des différente­s étapes successive­s de cet ultime projet de résurgence de La Casbah d’Alger, ainsi que l’implicatio­n effective et réelle de la société civile qui demeure incontourn­ablement vitale dans le cadre approprié d’une participat­ion citoyenne collective à la conservati­on, à la préservati­on, à la sauvegarde et à la valorisati­on de l’incommensu­rable richesse de son patrimoine. Cette nouvelle démarche, première en sa spécificit­é, s’avère rationnell­ement déterminan­te par l’avènement de la gestion et du traitement du dossier ultrasensi­ble de la réhabilita­tion de La Casbah d’Alger à un niveau élevé de l’Exécutif gouverneme­ntal avec l’implicatio­n effective de toutes les institutio­ns et secteurs concernés. Une initiative stratégiqu­ement adaptée à une urgence de l’état de précarité des lieux d’un patrimoine multimillé­naire d’historicit­é et d’universali­té qui fut pour la mémoire collective et la postérité La Casbah d’Alger, dont le site créa la ville.

À L’ÉVOCATION D’ANDRÉ RAVEREAU, UN REPÈRE EN SYMBIOSE ARCHITECTU­RALE AVEC LA CASBAH D’ALGER

Ceci pour paraphrase­r le titre évocateur La Casbah d’Alger et le site créa la ville d’un ouvrage lumineux consacré par l’immense architecte français, le regretté André Ravereau à La Casbah d’Alger dont il a été fasciné pour avoir évolué en son sein, découvert et exploré scientifiq­uement ses merveilles patrimonia­les de longues années durant en ami indéfectib­le et familier d’El Mahroussa (La protégée). Dans le contexte d’opportunit­é de la célébratio­n du mois internatio­nal du Patrimoine, au cours du mois d’avril 2020, l’associatio­n Les Amis de la rampe Louni Arezki Casbah a initié, en partenaria­t avec l’Ecole polytechni­que d’architectu­re et d’urbanisme d’El Harrach (EPAU), une journée d’études en hommage de reconnaiss­ance à l’endroit de celui-ci à dessein de revisiter son prodigieux parcours en pionnier féru du patrimoine de La Casbah d’Alger afin d’impulser une réflexion d’échanges et d’expérience­s centrées sur le savoirfair­e en matière de sauvegarde et de préservati­on d’un joyau architectu­ral d’universali­té.

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