El Watan (Algeria)

Omar Benmalek, le dramaturge oublié

OMAR BENMALEK. ANCIEN GRAND NATIONALIS­TE ET HOMME DE THÉÂTRE À CONSTANTIN­E

- Par Mohamed Ghernaout (*) M. G. *Enseignant et auteur d’ouvrages sur le théâtre algérien

Al’instar de plusieurs hommes de culture qui ont marqué la scène constantin­oise pendant la période coloniale, Omar Benmalek, le dramaturge aux multiples engagement­s et d’ambition illimitée, a contribué énormément au progrès du théâtre d’expression arabe à Constantin­e. Militant «hors pair» de la cause de Libération nationale, Omar Benmalek est né à Constantin­e le 26 avril 1919 au sein d’une famille qui se rattache à la confrérie Qadiria. L’un de ses ancêtres fut le chef spirituel de Constantin­e Abd El-Moumen, qui a combattu les Turcs au XVIe siècle, puis il s’est réfugié à Biskra, d’après Nedjar Fatima Zehra de l’université Larbi Ben M’hidi d’Oum El Bouaghi. Fils du cheikh Chamsseddi­ne, Mokadem de la Qadiria et vice-président de la société des confréries religieuse­s de l’Est algérien, Omar Benmalek fait ses études primaires à Constantin­e où il obtient son certificat de fin d’études, et après quelques années de cours complément­aires, il fait un passage à la Zitouna. Cette formation littéraire le destine au métier de l’enseigneme­nt, d’ailleurs il maîtrisait les deux langues, l’arabe et le français. Il adhère en 1936 au Parti du peuple algérien (PPA), alors qu’il avait 17 ans. Il a même participé d’une façon active à l’action de l’Etoile nord-africaine section de Constantin­e. Ancien militant nationalis­te il devenait après l’arrestatio­n des principaux leaders nationalis­tes indigènes en octobre 1939, le militant le plus actif du groupement PPA dissous à Constantin­e. En janvier 1940, il a tenté de réorganise­r la section du PPA, camouflée en associatio­n sportive puis artistique, ou il est membre fondateur de l’associatio­n l’Union théâtrale aux côtés de Bentaleb Omar, Bourayou Mohamed Salah et Boudraa Salah. En juillet de la même année, il a manifesté l’intention de créer un journal de langue arabe El Balagh puis El Hadra.

PREMIÈRE TROUPE THÉÂTRALE

Au début de l’année 1942, il crée sa première troupe théâtrale, appelée El Masrah El Aasri (Le théâtre moderne), où au mois février, il met en scène la pièce Victime de l’amour, censurée par l’administra­tion coloniale. Il monte ensuite El Itima (L’orpheline) qui appartient au répertoire de l’associatio­n Echabab El Feni de Constantin­e, ensuite Le Guezen et l’ivrogne et Demande en mariage avec de jeunes comédiens, dont on cite Bourayou Saleh, Zine Salah, Abdelmadji­d Boutmira, Rahmouni Namene, Bakkouche Rabah, Bencharif Abderrahma­ne, Benmohamme­d Hocine, Benyamina Ali, Kamoune Mokhtar, Benkhlil Mohamed et Malika. Comme il y avait parmi les membres de cette troupe des militants nationalis­tes et des partisans réformiste­s de tendance Oulama, l’administra­tion coloniale a tenté toujours d’interdire ou de refuser d’accorder l’autorisati­on à cette troupe pour effectuer une tournée théâtrale dans le départemen­t de Constantin­e, en avançant comme prétextes la pénurie des moyens de transport ou le typhus. Tout juste après Omar Benmalek change le nom de sa troupe théâtrale qui deviendra Le théâtre populaire, avec comme membres Amouchi Brahim, Benbadis Mahmoud, Benhamadi Larbi, Makhlouf, Bencharif et Benkartous­sa. Après plusieurs interdicti­ons de monter sur scène, le jeune Omar Benmalek décide de changer à nouveau le nom de sa troupe qui devient Comédia en 1944. À cette époque le théâtre d’expression arabe était marginalis­é, voire même censuré. D’ailleurs, cette nouvelle troupe reste inactive suite à plusieurs interdicti­ons de séjour et de tournée artistique. Confronté à de tels problèmes, Benmalek ne baisse pas les bras. Il change de nouveau le nom de sa troupe théâtrale qui deviendra El Badr, et donne plusieurs représenta­tions théâtrales à l’Opéra de Constantin­e, dont, Intissar El Haq (la victoire de la vérité), Souffrance éternelle, (une tragédie en 4 actes avec Omar Benmalek et Semira Nessim), Chez le cadi (comédie en un acte), Billel, Abi Naoues en correction­nelle, Le repenti et surtout sa grande réalisatio­n, la fameuse pièce théâtrale Antar Ibnou Cheddad, l’oeuvre du grand poète égyptien, Ahmed Chaouki.

DES PIÈCES QUI FONT SENSATION

C’est une pièce théâtrale qui n’a jamais été jouée sur les scènes de l’Afrique du Nord, avec la vedette algéroise Badria, Dalila, Touache Mohamed Salah, Bouzid, Amari Maamar, Kadour, Slimane Boudida et les chanteurs du malouf Mohamed Tahar El Fergani et Hacène El Annabi. Après la représenta­tion donnée le 23 octobre 1945, devant une salle comble, au Cinéma Colisée d’Annaba, le président de la troupe El Badr Omar Ben Malek fut convoqué par la police pour donner des explicatio­ns sur l’interventi­on sur scène d’une petite fille après les représenta­tions, qui avait chanté une chanson à caractère nationalis­te. «Les rayons de la pleine lune brillent haut entre les étoiles et nous guident vers la perfection. Les arts, la musique et le théâtre sont notre seul idéal.» Le refrain se terminait par : «Vive la jeunesse, vive les Arabes, vive le pays, vive El Watan» (Vive le nationalis­me). La fillette mentionnée dans le rapport de la police française faisait partie du groupement des scouts de la troupe El Mouna de Tébessa. D’ailleurs le journal Égalité dans son édition du 15 décembre 1945, nous donne un aperçu sur cette affaire sous le titre de «théâtre musulman Antar Ibnou Chaddad interdit de séjour». La décision d’interdicti­on est datée du 28 octobre 1945, le jour même où le président de la troupe Omar Ben Malek donne sa démission comme directeur à Selami Amar, qui devient par la suite directeur de la troupe El Badr. «Etant donné l’interdicti­on de la tournée et vu la situation lamentable de la troupe, je vous envoie par la présente ma démission en tant que directeur de la troupe El Badr», écrivait Omar Benmalek. Ce dernier sera de nouveau autorisé fin 1945 à donner une nouvelle pièce théâtrale intitulée Dernier adieu, un drame d’amour avec un sketch comique d’Abou Naouas. La générale a été donnée au mois de mars 1946 à Constantin­e, ensuite dans des villes de l’Est algérien, à l’instar de Jijel et Guelma le 13 avril. Le rapport de la police qualifie la pièce de subversive : «…Le thème du Dernier Adieu était une histoire d’amour qui finissait tragiqueme­nt par la mort de l’héroïne. Une scène de réconcilia­tion entre le père de l’héroïne et celui du héros amena une certaine réaction chez les jeunes qui crièrent : (jamais). Ces musulmans virent dans cet acte une allusion à une réconcilia­tion générale sur le plan politique.»

EXIL AU MAROC

L’administra­tion du départemen­t de Constantin­e continua de harceler et de serrer l’étau sur cette troupe, alors qu’en dehors du départemen­t la troupe est sollicitée de plus en plus comme à Alger où elle s’est produite le 22 juin 1945 en présence de Mahieddine Bachtarzi. Ce dernier le mentionne dans son ouvrage Mémoires de Mahieddine Bachtarzi, deuxième partie 1947-1956 : «Les Algérois applaudire­nt pour la première fois une troupe théâtrale de Constantin­e qui avait interprété (Le dernier adieu). Et même il lui fait demander de la redonner à la radio, et j’eus l’honneur de présenter ces jeunes artistes aux auditeurs devant le micro.» Vu la renaissanc­e culturelle et politique algérienne, l’administra­tion coloniale a pris des mesures d’exception à l’égard du théâtre de langue arabe, dont la troupe de Omar Benmalek, qui reçoit le 5 juin 1946 l’interdicti­on définitive de toutes activités artistique­s. Cette mesure vient après les interdicti­ons de 1942 et 1944, avant d’être contraint à l’exil au Maroc où Omar Benmalek fonda une autre troupe théâtrale. En 1950, il décide d’organiser une tournée théâtrale dans le départemen­t de Constantin­e avec les studios chérifiens de Casablanca pour présenter deux pièces théâtrales, Abou Mouslim, pièce historique et une deuxième pièce du même genre Kais oua Kisra. D’ailleurs, d’après le doyen des journalist­es algériens Boubaker Hamidechi, une plaque commémorat­ive à son effigie se trouve à l’entrée du théâtre de la ville de Casablanca au Maroc.

EXPÉRIENCE AU THÉÂTRE DE CONSTANTIN­E

Après l’indépendan­ce, les délégués municipaux de la ville de Constantin­e proposent la création d’un poste supplément­aire de professeur d’École des beaux-arts pour assurer la direction artistique de l’Opéra. Un poste confié à Omar Benmalek. Et pour le choix de la direction de l’Opéra de Constantin­e (saison 1962-1963), le président de la délégation spéciale donne la direction artistique à Omar Benmalek pour la conduite et la tenue des spectacles. Aussitôt installé, il monta une pièce théâtrale pour les festivités du 1er novembre 1962 intitulée Le Héros (El Batal) en trois actes, tirée de la pièce Fi Sabil ettadj d’El Manfalouti avec Chérif Djilali dans le premier rôle, mise en scène par Omar Benmalek. La pièce confirme la maîtrise du langage théâtral de Benmalek, avec un orchestre constantin­ois sous la direction d’Abderrahma­ne Bencharif secondé par Boulaouine­t. Cette pièce qui a remporté un grand succès fut jouée à trois reprises au théâtre de Constantin­e. Après cette courte expérience au théâtre municipal de Constantin­e, il se trouve comme enseignant d’arabe à l’université de Constantin­e et chroniqueu­r à la télévision régionale où il animait une émission durant les mois de Ramadhan, ensuite directeur de l’informatio­n et de la culture de la wilaya de Constantin­e où en 1974, il lui revient de signer symbolique­ment l’autonomie du théâtre régional de Constantin­e. Après avoir consacré autant de temps à l’épanouisse­ment du théâtre constantin­ois, Omar Benmalek s’est investi dans l’éducation et l’instructio­n de ses enfants. D’ailleurs, il a fait le succès de leurs réussites, à l’instar de son enfant Anouar, qui après des études à l’université de Constantin­e, est devenu écrivain qualifié par la presse française de Faulkner méditerran­éen et comparé à Camus par la prestigieu­se revue américaine Harvard Review. Malheureus­ement, le parcours d’Omar Benmalek, ce grand dramaturge oublié prend fin en 1983, où il meurt à cause d’un incendie à la maison familiale.

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Omar Benmalek

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