Le général-major Saïd Bey se retire d’un 2e procès et obtient la relaxe
La cour d’appel militaire de Blida a confirmé, mercredi dernier, la condamnation à 15 ans de réclusion avec mandat de dépôt à l’audience et confiscation de ses biens et ceux de sa famille contre le général-major à la retraite Saïd Bey, pour «enrichissement illicite» et «abus de fonction», après que le parquet ait demandé une peine de 20 ans de prison
Le lendemain, il se présente à un autre procès devant la même juridiction, exprime sa défiance à l’égard de la justice, refuse d’être jugé pour une autre affaire de «dilapidation d’armes et de munitions» et «non-respect des consignes militaires», puis quitte l’audience. Malgré son absence et celle de ses avocats, il obtient… la relaxe.
Coup de théâtre, jeudi dernier, à la cour d’appel militaire de Blida où devait se tenir le procès (en appel) du général-major à la retraite Saïd Bey, poursuivi pour «dilapidation d’armes et de munitions» et «abus de fonction», une affaire liée aux deux armes affectées, entre 1995 et 1996, à Ali Haddad, patron du groupe ETRHB, et son frère Omar, et une autre relative à un pistolet que lui-même détenait depuis 1992.
Deux dossiers (distincts mais annexés) qui lui ont valu une mise sous mandat de dépôt en avril 2019 et une condamnation de 4 ans de prison, avant même que les accusations d’«enrichissement illicite» et d’«abus de fonction» ne lui soient signifiées et qui lui ont valu une condamnation de 15 ans de réclusion criminelle, confirmée mercredi dernier par la cour d’appel militaire, avec «mandat de dépôt à l’audience» et «confiscation de tous» ses biens, à l’exception de la maison familiale. Une sentence à laquelle il ne s’attendait pas. Jeudi matin, alors qu’il devait comparaître devant la même juridiction en appel pour son affaire de «dilapidation», Saïd Bey s’est présenté à l’audience et a surpris aussi bien les magistrats que son collectif d’avocats. Il a tout bonnement quitté la salle et rejoint sa cellule, à la prison militaire Blida, après avoir déclaré sa «défiance» vis-à-vis de la justice (militaire), en raison des décisions tombées la veille. Dès l’ouverture de l’audience, nous dit-on, il a demandé la prise de parole, mais le président lui a dit d’attendre la lecture de l’arrêt de renvoi. L’accusé s’est obstiné à s’exprimer avant le début des débats, poussant les magistrats à l’entendre. Très affecté, précisent nos sources, il surprend la cour par ses propos en déclarant sa «défiance vis-à-vis de la justice» à son égard, puis revient sur son «attachement au pays et à l’ANP qu’il a servie depuis 1962, aussi bien à l’intérieur du pays qu’à l’extérieur», avant de quitter l’audience, en refusant d’être jugé, suscitant le retrait de ses avocats. Son absence de l’audience et celle de sa défense n’a pas empêché la tenue du procès, qui s’est terminé par une... relaxe.
«DES PEINES INJUSTEMENT CONFIRMÉES»
Dans une déclaration, rendue publique, ses trois avocats, Garmia Faria, Mokrane Aït Larbi et Abdelhak Mellah, reviennent sur le retrait de l’audience de leur mandant de la cour d’appel, qui devait trancher pour la seconde fois des faits liés à une prétendue dilapidation d’armes de guerre, au motif d’avoir signé en 1995, dans le lot des centaines d’autres autorisations qu’il était appelé à signer en tant que chef de la 1re Région militaires, de deux autorisations de port d’armes aux frères Haddad, mobilisés à l’époque dans le cadre des groupes de Patriotes dans la localité d’Azeffoun. Dès l’ouverture de l’audience, il a solennellement affirmé à la cour que son dévouement absolu à la patrie et sa vénération de l’institution militaire ne doivent pas l’empêcher de marquer sa défiance légitime vis-à-vis du cours de la justice à son encontre, et plus particulièrement suite au déroulement inéquitable du procès tenu la veille, le 2 juin 2021, par la même juridiction militaire, appelée à le juger, une seconde fois après cassation également, pour un prétendu enrichissement illicite et trafic d’influence. Les avocats ajoutent par ailleurs que «malgré la justification faite pendant l’instruction et à l’audience de la licéité de tous les éléments de son patrimoine personnel et de celui de chacun des membres de sa famille, au regard de leurs revenus légitimes respectifs, licéité d’ailleurs dûment avérée et attestée par des preuves probantes, la condamnation précédemment prononcée ainsi que les peines infligées furent encore une fois injustement confirmées». La défense du général-major à la retraite considère que «les principes élémentaires du procès équitable n’ont pas été observés pendant tout le processus judiciaire, allant de l’enquête préliminaire, faite et supervisée par des officiers dont l’objectivité et la moralité sont mises en cause par les poursuites pénales engagées contre eux, jusqu’à l’instance actuelle de jugement. En somme, une certaine conduite du procès a méthodiquement obstrué le cours normal de la justice, mis en échec le principe cardinal de la présomption d’innocence et inversé gravement les principes régissant l’administration de la preuve». Elle estime que les arguments présentés à la justice ont été ignorés. «Pire encore, les éléments justificatifs produits par la défense, largement suffisants pour innocenter le général-major Bey Saïd, ont été sciemment ignorés et occultés lors des débats et des motifs des décisions judiciaires rendues», relève la défense. Elle revient ensuite sur la détention de Saïd Bey : «La mise en détention provisoire de l’accusé, au mépris des dispositions constitutionnelles et légales édictées en la matière, est aussi une autre entorse gravissime aux droits élémentaires du citoyen, le général-major Bey Saïd, militant de la cause nationale, incarcéré dans les geôles coloniales à l’âge de 14 ans, membre de l’ALN, membre de l’ANP pendant plus de 57 ans, chef de 3 Régions militaires pendant plus de 20 ans, attaché de défense à Bruxelles pendant 2 ans, grand médaillé de deux guerres du Moyen-Orient (1967-1973), officier supérieur élevé, à juste titre, au grade de général-major.»
UNE AFFAIRE ET DES INTERROGATIONS…
Le collectif d’avocats, tout en se déclarant «attaché aux principes de l’Etat de droit», alerte «l’opinion publique et les institutions habilitées un excès d’illégalité et d’injustice à l’endroit de leur mandant depuis plus de deux ans et demi» et appelle «tout un chacun au respect exclusif de la loi, seule garante des libertés des citoyens et de la stabilité du pays».
Il faut dire que l’affaire de l’ex-commandant de la 2e Région militaire suscite de lourdes interrogations. Il avait été placé sous mandat de dépôt, au mois d’octobre 2018, avec quatre autres généraux-majors, Abderrazak Cherif, ex-chef de la 4e Région militaire, Habib Chentouf, ex-commandant de la 1re Région militaire, Nouba Menad, patron de la Gendarmerie nationale, et Boudjemaa Bououaouer, directeur des finances au niveau du ministère de la Défense nationale, pour «enrichissement illicite», et libéré, après le 1er novembre de la même année (4 novembre), sur intervention de la Présidence. Il est convoqué par le tribunal militaire une seconde fois, au mois d’avril 2019, après l’arrestation de Ali Haddad, pour s’expliquer sur deux armes, affectées à ce dernier et à son frère, lorsqu’il était à la tête de la 1re Région militaire, mais aussi bien après, sur un pistolet, trouvé chez lui, à la suite d’une perquisition. Il sera placé sous mandat de dépôt. Ce n’est qu’à la fin du mois d’octobre 2019 qu’il est déféré devant le tribunal militaire de Blida, pour une liste de biens qu’il possède lui et les membres de sa famille, puis condamné à une peine de 15 ans de réclusion, confirmée une première fois en 2020, puis une seconde fois (mercredi dernier), mais cette fois-ci assortie d’un mandat d’arrêt à l’audience, alors que ses avocats avaient, preuves à l’appui, présenté des documents bancaires, fonciers et autres pour établir que la majorité des biens objets de la condamnation et de la confiscation appartiennent à ses enfants, aux sociétés de ces derniers ou à d’autres membres de sa famille et évoquent une violation du principe de la «responsabilité pénale personnelle». Pour eux, le juge d’instruction «a fait un mauvais usage des dispositions de la loi sur la corruption, en l’incriminant par effet rétroactif pour des biens acquis des années avant 2006, date de la promulgation de ce texte». L’affaire de Saïd Bey laisse perplexe et suscite de lourdes interrogations.