El Watan (Algeria)

Le limogeage qui fait monter les tensions

L Le chef du gouverneme­nt limoge le juge chargé de l’Instance de lutte contre la corruption (INLUCC) l Le président de la République reçoit le concerné et dévoile les dessous de la révocation l Des dossiers de corruption sont MIS À L’INDEX.

- Mourad Sellami

Le juge Imed Boukhris, président de l’Instance nationale de lutte contre la corruption (INLUCC), a été démis lundi dernier de ses fonctions suite à une décision du chef du gouverneme­nt, Hichem Mechichi. Le limogeage serait passé inaperçu si le concerné n’avait pas été reçu, dans la foulée, par le président de la République, Kaïs Saïed. Les propos de Kaïs Saïed indiquent que ce limogeage fait partie de la lutte entre les têtes du pouvoir en Tunisie.

Le président Saïed a déclaré en accueillan­t le juge évincé de l’INLUCC que «sa révocation était prévisible, puisqu’il a soulevé des affaires et présenté des preuves concernant plusieurs personnes influentes, dont certaines qui se sont vues refuser la prestation de serment». Le président de la République a

évoqué «l’existence de dossiers de corruption, transmis par l’INLUCC, sans qu’il n’y ait de recours contre les concernés». Il y aurait même un prétendant à un ministère qui traîne une affaire devant le pôle financier, toujours selon le président Saïed, qui a accusé le gouverneme­nt de «lutter contre ceux qui luttent contre la corruption». Pour sa part, le juge Imed Boukhris a déclaré dans une interview publiée hier sur la quotidien Al Maghreb qu’il «refuse d’être un faux témoin d’un dispositif corrompu». L’ex-président de l’INLUCC a justifié son silence par «le devoir de réserve et en raison de la situation sanitaire difficile traversée par le pays».

Concernant les raisons de son limogeage, le juge Imed Boukhris a souligné, en termes

généraux, qu’il «dérangeait plusieurs personnes» et qu’il «était devenu un obstacle devant le gouverneme­nt et qu’il fallait s’en débarrasse­r». En lui demandant d’être plus précis, l’ex-président de l’INLUCC s’est

limité à cibler «les conseiller­s du mal» et «les liens entretenus par une partie importante et agissante au sein du gouverneme­nt avec la pieuvre de la corruption». Il a mis l’accent

sur le fait que «le chef du gouverneme­nt n’a pas osé faire paraître le décret gouverneme­ntal portant sur l’obligation de rendre accessible­s au public, comme le souligne la loi, les déclaratio­ns de patrimoine­s et des intérêts concernant huit catégories de personnes, à l’instar des trois présidents, des ministres, députés et hauts cadres de l’Etat». Le juge Imed Boukhris a insisté sur le fait que «Mechichi a refusé de faire publier ledit décret malgré plusieurs correspond­ances envoyées par l’INLUCC», en assurant que «le chef du gouverneme­nt promet, à chaque fois, de le faire mais ne le fait pas, de peur de l’impact de ces publicatio­ns sur sa ceinture politique».

ENJEUX

Des indiscréti­ons assurent que le chef du gouverneme­nt Hichem Mechichi en veut au juge Imed Boukhris depuis le refus de ce dernier d’accepter les déclaratio­ns du patrimoine des membres du gouverneme­nt avant leur prestation de serment devant le président de la République. Mechichi a, depuis, considéré qu’il ne pouvait pas compter sur l’INLUCC de son côté dans sa lutte contre le président Saïed. Le dossier du juge s’est corsé, lorsque ce dernier a transmis au parquet des dossiers de personnali­tés bénéfician­t de la protection de la sphère d’Ennahdha et de conseiller­s à la présidence du gouverneme­nt, faisant de lui, «la personnali­té à écarter». Dans la lutte actuelle entre les hautes sphères du pouvoir en Tunisie, la devise en hausse est : «Si tu n’es pas avec moi, tu es contre moi.» Et on constate, malheureus­ement, cet alignement dans les médias, qui ne diffusent que les informatio­ns qui leur «plaisent».

La Tunisie est en pleine crise socioécono­mique. Elle ne parvient pas à trouver les Fonds nécessaire­s (7 milliards de dollars) pour boucler son Budget 2021. Les déplacemen­ts de Mechichi et de son ministre des Finances, Ali Koôli, n’ont pas fait bouger les bailleurs de fonds qui exigent des engagement­s concertés du gouverneme­nt et des organisati­ons syndicales, ce que ces derniers rejettent, notamment l’UGTT, qui refuse la levée des subvention­s des produits de base sans une compensati­on conséquent­e. L’alerte est déjà donnée. Néanmoins, les hautes sphères du pouvoir continuent à jouer les influenceu­rs pour les intérêts de leurs soutiens, au détriment des intérêts du pays. «Le cas du limogeage du président de l’INLUCC n’est qu’un petit exemple», selon le président de la commission des finances de l’Assemblée, Haykel Mekki.

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Imed Boukhris en compagnie du président tunisien Kaïs Saïed

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