Nous voulons éviter un autre pillage agréé par l’Etat
EMIR BERKANE. Président de la Fondation Probiom pour la protection de la biodiversité marine
Le 2 février dernier, le ministre de la Pêche et des Productions halieutiques, Sid Ahmed Ferroukhi, lançait, à partir d’El Tarf, l’annonce de la réouverture de la pêche, officiellement fermée depuis 2002, dans le courant 2021. Pour beaucoup, les conditions de cette reprise, qui sont nombreuses, ne sont pas toutes réunies, à commencer par l’organisation pratique de l’activité. Un commentaire ? Notre réseau a été à l’avant-garde du dossier corail, et ce, dès la première tentative de réouverture en 2015, nous avons toléré cette pêche «légale», car la situation antérieure de fermeture officielle depuis 2002 était purement et simplement un braconnage, un pillage et une destruction de la ressource menée à très grande échelle avec des complicités à tous les niveaux. Cette nouvelle tentative de réouverture, comme la première, se fait avec des manquements manifestes sur plusieurs plans. Pour les aspects techniques, réglementaires et de sécurité, je laisserai les plongeurs professionnels en parler, mais ce qui nous intéresse, nous écolos et Fondation pour la préservation de la biodiversité, c’est l’état de la ressource après vingt années de destruction à la «Chaouata» et la «Karkara» cousines de la croix de Saint André, véritable machine de destruction de la vie marine, qui raclent les fonds de la côte calloise et ont créé une véritable hécatombe écologique.
Il y a une dizaine de jours, votre association s’est fendue d’un communiqué qui réclame la transparence sur la détermination des conditions d’exercice de l’activité, notamment les zones de pêche, du nombre des concessions, et des quotas de pêche par concessionnaire. Vous avez souhaité que soient rendues publiques les études, très onéreuses, semble-t-il, et que nul n’a pu voir, qui seraient à la base du nouveau cahier des charges de l’activité. Pourquoi, selon vous, ces études jouentelles à l’Arlésienne ?
Nous avons été très précis dans notre communiqué et requête au ministère des Pêches, devant la réouverture de la pêche et l’instauration d’un quota de 100 kg par an, nous demandons juste une copie de cette fameuse étude de 2009 qui aurait évalué la ressource coralligène d’El Tarf et que tout le monde garde comme un secret-défense. Nous avons demandé de la consulter ou à défaut en refaire une nouvelle avec des moyens locaux impliquant les universités, centres et instituts. Beaucoup moins onéreuse donc, plus précise, car plus récente, vu que près de treize années de braconnage et de pillage sont passées par là, depuis cette fameuse étude que personne ne semble avoir vu ou lu. Notre but n’est ni de retarder l’ouverture du corail ni de mettre en porte-à-faux le ministre et son secteur avec lequel notre fondation collabore activement depuis sa création en 2015. Notre démarche est purement scientifique et pose une question simple : comment le secteur de la pêche peut fixer un quota, une zone et une période d’exploitation sans transparence autour de l’état de la ressource ?
Pour ce qui vous concerne, la réouverture de la pêche au corail doit au premier titre mettre fin à 20 ans de pillage qui ont ravagé les fonds marins et où seuls les milieux interlopes ont tiré profit. Vous cherchez à éviter qu’en fait la situation connue par le passé comme illégale ne se renouvelle, mais cette fois-ci de manière réglementaire. Expliquez-vous ?
Note démarche de Fondation scientifique écologiste, dont le but est de protéger la biodiversité marine, se heurte souvent à la réalité sociale et économique du monde de la pêche. Nous savons être pragmatiques comme sur la nécessité d’une aquaculture mais avec un aliment bio. Nous comprenons les enjeux énergétiques de l’exploration et de l’exploitation offshore, mais nous nous y opposons à cause du risque de marée noire. Nous alertons sur le péril plastique et microplastique que nous avons été les premiers à vulgariser, car le microplastique s’est invitée dans nos assiettes. Sur le corail, l’équation est simple, ou l’on fait de la pêche durable et il y aura du corail rouge pour les générations à venir ou nous remplaçons vingt années de braconnage sauvage par un pillage agréé par l’Etat.
Qu’a répondu le ministère des Pêches à votre requête et comment voyez-vous la suite de ce nouveau bras de fer ?
Le ministère, comme à chaque fois, nous a contactés et a tout suite ouvert les canaux de discussions et de dialogue. Puis il a organisé une réunion d’urgence avec le ministre qui devait avoir lieu dimanche dernier, reportée à la dernière minute pour cause de Conseil des ministres, une autre réunion sera tenue dans deux ou trois semaines, car la Fondation a une actualité et des activités chargées ce mois-ci. Nous sommes confiants que nos revendications seront honorées, dans le cas contraire, le Probiom a déjà démontré qu’il avait le souffle long et l’habitude des rapports de force même disproportionnés. Nous savons que le droit, le bon sens et la logique scientifique sont de notre côté, ce n’est donc qu’une question de temps pour que nous obtenions gain de cause sur ce dossier.