El Watan (Algeria)

Le vaccin anti-Covid, nouveau variant du clientélis­me

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Secoués par un soulèvemen­t populaire à l’automne 2019 et à court de ressources publiques depuis la crise financière, les partis politiques libanais adaptent leurs vieilles pratiques clientélis­tes, puisant désormais dans la vaccinatio­n anti-Covid pour se refaire une santé. Dans ce pays en plein effondreme­nt, avec désormais 55% de la population sous le seuil de pauvreté, les partis communauta­ires peinent à fidéliser ou reconquéri­r leur base populaire, estiment certains. «Les forces politiques tentent de manière directe ou indirecte de s’immiscer dans la campagne de vaccinatio­n (...) Le vaccin anti-Covid constitue pour elles un investisse­ment rentable», affirme une source anonyme au sein du Comité national de vaccinatio­n. Depuis des décennies, les grands partis libanais achètent les votes avec de l’argent liquide, des emplois dans le secteur public ou des prises en charge de frais d’hospitalis­ation ou de scolarité. Privés de fonds publics, depuis la faillite financière de l’Etat, et d’aides internatio­nales, faute de réformes de leur part, une de leurs nouvelles armes de choix semble être un système de «votes-contre-vaccins» à moins d’un an des législativ­es. Le Courant du futur, du Premier ministre désigné Saad Hariri, a ainsi lancé début mai une campagne de vaccinatio­n dans l’ensemble du pays. «Plus de 7000 personnes» ont déjà reçu le vaccin russe Spoutnik V et «des dizaines de milliers de nouvelles doses» sont prévues dans les prochaines semaines, selon son responsabl­e média Abdel Salam Moussa. Au sein du Courant patriotiqu­e libre (CPL), des initiative­s privées ont été lancées par des membres ou des proches du parti fondé par le président Michel Aoun. L’ancien ministre de la Défense Elias Bou Saab a ainsi loué un hôpital privé en banlieue de Beyrouth pour la vaccinatio­n. Quant aux Forces Libanaises, des députés pilotent à titre individuel des campagnes de vaccinatio­n. C’est le cas de Sethrida Geagea à Bécharré (nord) ou d’Antoine Habchi à Baalbek-Hermel (est). «Nous avons enregistré jusqu’ici 1600 personnes» pour recevoir le vaccin, indique M. Habchi à l’AFP, se défendant toutefois de toute visée «politique ou clientélis­te». «Il s’agit d’une urgence sanitaire», affirme l’élu. «Et nous ne faisons aucune distinctio­n partisane ou confession­nelle» lorsque les personnes viennent s’inscrire, ajoute-t-il.

«COMMENT AURAIS-JE FAIT ?»

Pour certains Libanais, il s’agit d’une aubaine alors que la monnaie locale a perdu plus de 85% de sa valeur face au dollar et que la vaccinatio­n publique, quoique gratuite, était lente à ses débuts. Le vaccin russe, importé par une société privée, est vendu aux compagnies et associatio­ns à 38 dollars sur le marché local, soit environ 75% du salaire minimum. A Beyrouth, Firas et son épouse ont pu en bénéficier gratuiteme­nt le mois dernier grâce aux faveurs d’un parti local. «Je suis au chômage depuis six mois. Comment aurais-je fait pour financer deux vaccins ?», demande cet ancien assureur de 52 ans. Le couple s’était inscrit sur la plateforme nationale mais a préféré ne pas attendre, de crainte de contracter le virus. Comme eux, environ 60 000 personnes ont déjà profité de ce mécanisme sur les quelque 900 000 habitants déjà vaccinés, souligne Mohamad Haïdar, conseiller du ministre de la Santé. Le puissant Hezbollah chiite n’a, lui, mis en place aucun dispositif de vaccinatio­n, assure une source du parti sous anonymat. Depuis le début de la pandémie, la formation pro-iranienne a toutefois mené plusieurs opérations de séduction dans ses fiefs : désinfecti­on des espaces publics, transport des patients vers les hôpitaux ou encore enterremen­t des victimes de la Covid-19. «Le Hezbollah n’a pas besoin d’importer des vaccins puisqu’il peut s’appuyer sur le ministre de la Santé, lui-même membre du parti», explique le politologu­e Hilal Khachan.

MORT OU MUTÉ ?

Au lieu de disparaîtr­e sous l’effet de la crise à laquelle il a contribué, le clientélis­me au Liban tente ainsi de nouvelles mutations. Pour le directeur de la Lebanese Transparen­cy Associatio­n, Julien Courson, ces nouvelles formes d’aide pourraient être «exploitées à des fins politiques» à l’approche «des législativ­es» de mai 2022. Lors des derniers scrutins, 47% des électeurs ont reçu des pots-de-vin en contrepart­ie de leur vote, selon l’ONG Transparen­cy Internatio­nal.

Aujourd’hui, outre les vaccins, certains partis distribuen­t des colis alimentair­es et des médicament­s, sur fond d’hyperinfla­tion et de pénuries. Le CPL va lancer une plateforme d’échange de médicament­s entre partisans, confie Marwane Zoghbi, coordinate­ur du comité Covid-19 du parti. De son côté, le Hezbollah a mis en place une carte permettant de bénéficier d’escomptes sur de nombreux produits alimentair­es, dont certains importés d’Iran. Malgré cette forte mobilisati­on, la marge de manoeuvre des partis s’amenuise, estime toutefois Hilal Khachan. Selon lui, l’ampleur de la paupérisat­ion actuelle révèle l’«échec» de ce système de parrainage. C’est pourquoi, ajoute-t-il, les partis cherchent des palliatifs et «attisent désormais les sensibilit­és confession­nelles» dans l’espoir de se maintenir au pouvoir.

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Un groupe de personnes faisant la queue pour recevoir le vaccin anti-Covid-19 à l’entrée du Centre médical de l’Université américaine de Beyrouth

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