Le tapis des Haracta en péril
Les artisans soutiennent qu’un produit qui nécessite au moins quatre mois de travail, son prix de revient ne tente personne.
Al’heure où il est question d’assurer la pérennité de l’artisanat dans la wilaya d’Oum El Bouaghi, l’un des pans de ce dernier risque de disparaître à jamais. On l’a bien compris, il s’agit du fameux tapis des Haracta. Les Ouled Hamla qui en assuraient, il y a quelques années, le tissage ne se sentent plus motivés et galvanisés pour poursuivre sa production. Plusieurs questions viennent à l’esprit : pourquoi les artisans n’exercent plus ce métier ancestral ? Quelles sont les causes qui sont derrière l’abandon d’un tel patrimoine ? On peut encore poser une question à tous ceux qui ont pour mission de veiller à sa sauvegarde et sa préservation, comme les directeurs de l’artisanat et du tourisme. Nous avons interrogé d’abord des personnes ayant activé dans le domaine de l’artisanat. Yahia a fait partie des travailleurs de la défunte (Société nationale de l’artisanat traditionnel (SNAT).
C’est une unité qui employait avant se fermeture un nombre assez important d’ouvriers. Elle était spécialisée dans la fabrication du fil de laine et de sa teinture. Yahia se rappelle que la SNAT fournissait plusieurs unités de tapis qui existent sur le territoire du pays, comme à Ghardaïa, Biskra, Khenchela et d’autres encore... En parallèle à cette fabrique, la commune d’Ain Beida avait eu la louable initiative de créer une minuscule unité de tapis. Au moins une vingtaine d’ouvrières y travaillaient sur des métiers à tisser. Certes, le produit n’était pas aussi esthétique comme l’est le véritable tapis des Haracta, mais au moins il maintenait vivace la tradition. Aujourd’hui, les deux unités ont disparu au grand dam des amoureux du tapis tissé à la main. Nous avons pris attache avec le directeur de la CAM (Chambre de l’artisanat et des métiers). A la question de pourquoi les artisans ne tissent plus le fameux tapis, le responsable répond : «Dommage qu’un tel travail ne soit plus exercé de nos jours. L’Etat a beaucoup fait pour perpétuer l’artisanat, avec l’octroi de crédits par les organismes, tels l’Ansej, la Cnac, l’Angem. Malheureusement, nos concitoyens préfèrent la facilité en investissant d’autres créneaux, comme le commerce». Et d’ajouter : «Le même problème concerne le non moins illustre tapis des Nememcha qui lui aussi risque de disparaître. On continue vaille que vaille à en assurer la fabrication dans la petite ville de Babar, au sud de Khenchela. Mais jusqu’à quand ?»
Djamel appartient à la famille des Ouled Hamla qui détient le savoirfaire dans le domaine et qui est en quelque sorte celle qui est connue pour son tapis, lequel a obtenu le label Tapis harkati. Interrogé par nos soins, Djamel n’y est pas allé par trente-six chemins pour nous brosser un tableau assez sombre de ce que vit le secteur de l’artisanat. «Quand un tapis requiert au moins quatre mois de travail, son prix de revient ne tente personne. Qui peut acquérir un tel produit quand le prix est prohibitif? C’est pourquoi, les artisans ont jeté l’éponge, se rabattant sur la vente de tapis manufacturés ou investissent d’autres commerces», détaille-t-il. Le dernier des «reggame», Hadj Mahmoud, celui qui a la charge de guider et d’instruire les tisserandes pour réaliser les motifs propres à la région, comme les motifs qui ornent tout le pourtour du tapis ou encore la présence au centre d’un losange, n’est plus. A-t-il transmis son savoir à des jeunes artisans ? On ne le sait pas. Tout ce qu’on sait en revanche c’est que la fabrication des tapis est en net recul. Un ancien artisan au fait de l’abandon de ce patrimoine ancestral déplore le coût de la matière première et de la fabrication qui est restée trop traditionnelle. Entendons par-là le temps de réalisation qui dépasse plusieurs mois. D’autres personnes interrogées nous apprennent que si le tissage de la laine n’attire plus personne, c’est parce qu’on trouve dans le commerce des tapis bon marché. Des tapis fabriqués en série, mais avec des matières synthétiques. Depuis quelques années, les autorités du pays ont créé des maisons dédiées à l’artisanat. Il y en a une à Oum El Bouaghi, une deuxième à Aïn Beida et une autre enfin à Meskiana. Malheureusement, dans aucune d’elle, on ne s’adonne à la fabrication des tapis. Il faudra motiver et encourager ceux et celles qui détiennent encore le secret de la fabrication du tapis si on veut sauver ce pan du patrimoine immatériel et immémorial.