El Watan (Algeria)

Un ultraconse­rvateur prend le pouvoir en Iran

- Yacine Farah

LIRE L’ARTICLE DE NOTRE CORRESPOND­ANT À PARIS YACINE FARAH

● Ebrahim Raïssi (60 ans) a été élu hier nouveau président de l’Iran ● Ce conservate­ur et fils spirituel du guide suprême de la Révolution iranienne remplace Hassan Rohani en place depuis 8 ans ● L’élection a été marquée par un fort taux d’abstention, selon les Moudjahidi­ne Khalqs, l’opposition iranienne en exil ● Les autorités ont dû prolonger l’ouverture des bureaux de vote jusqu’à 2h ● Une première dans le monde.

Le faux suspense a duré jusqu’au petit matin en Iran où le candidat favori du régime, Ebrahim Raïssi, (voir édition d’El Watan du 17 juin 2021) a été déclaré vainqueur par la commission électorale lors d’un suffrage présidenti­el qui semblait être joué d’avance. Le religieux conservate­ur (60 ans), né dans la ville de Machhad (nord-est de l’Iran), a obtenu, selon des résultats officiels mais non définitifs, 62% des voix. Ce qui lui laisse une large avance pour qu’il soit proclamé nouveau président de l’Iran.

Sur les 28,6 millions de bulletins dépouillés, Ebrahim Raïssi a obtenu plus de 17,8 millions de voix, a déclaré Jamal Orf, président de la Commission nationale électorale lors d’une conférence de presse à Téhéran. Le corps électoral compte cette année plus de 59,3 millions d’Iraniens, âgés de 18 ans et plus. C’est le président sortant, Hassan Rohani, qui a annoncé, en premier, la victoire de son successeur. Il lui a souhaité «bon courage», lorsqu’il lui a rendu visite dans son domicile familial. Puis tous les autres concurrent­s en ont fait de même. «Les Iraniens ont élu un nouveau

Président au premier tour», a déclaré Hassan Rohani, entérinant, avant même l’annonce des résultats officiels, la victoire d’Ebrahim Raïssi. «Je félicite le peuple pour son choix», a-t-il ajouté dans un discours télévisé.

De son côté, le guide suprême de la Révolution iranienne, Ali Khamenei, est sorti de son silence, qualifiant l’élection présidenti­elle de «victoire pour le peuple dans sa confrontat­ion contre l’ennemi». Il a ajouté que le «gagnant est le peuple qui fait encore une fois échouer les vils complots et la guerre médiatique menés par l’ennemi».

PROLONGEME­NT DE L’OPÉRATION DE VOTE JUSQU’À 2H

Pourtant, l’élection présidenti­elle a donné de la fièvre aux caciques du régime qui craignaien­t une abstention record. Toute la journée de vendredi, l’opposition iranienne en exil, à savoir les Moudjahidi­ne Khalqs, a diffusé des vidéos sur les réseaux sociaux montrant des bureaux de vote vides. Ce qui a d’ailleurs poussé les autorités du pays à prolonger l’opération du vote jusqu’à 2h.

Une première dans les annales d’une élection présidenti­elle. Toute la journée de vendredi, les responsabl­es chargés de l’élection se sont relayés pour faire passer un seul message : nous laisserons les bureaux de vote ouverts jusqu’au matin s’il le faut.

UN CHANGEMENT DANS LA CONTINUITÉ

Arrivé second en 2017 face à Hassan Rohani avec 38% des voix, Ebrahim Raïssi est désormais le président d’un Iran aux prises avec des problèmes économique­s et sociaux, et où la pauvreté se le dispute au chômage. De nombreux défis l’attendent, dont celui de renouer le contact avec la communauté internatio­nale, notamment les Etats-Unis qui conditionn­ent toujours la signature d’un nouvel accord nucléaire avec l’arrêt de son programme atomique. Très critiqué à l’étranger, Ebrahim Raïssi fait partie des personnali­tés iraniennes de haut rang qui ont été inscrites sur la liste des gens à sanctionne­r par Washington. D’ailleurs, il reste toujours indésirabl­e dans ce pays. Sa mauvaise réputation a précédé son élection. Sur le plan économique, il est appelé à restaurer l’économie iranienne en «ruine» à cause des sanctions internatio­nales et faire face à la pandémie de Covid-19, qui a tué plusieurs milliers d’Iraniens. Apaiser les relations avec ses voisins directs, tels que l’Irak et l’Arabie Saoudite, sera une des ardues tâches qu’aura à effectuer M. Raïssi. D’ailleurs à peine élu, le ministère iranien des Affaires étrangères a indiqué qu’un nouvel ambassadeu­r iranien à Riyad serait sur le point d’être nommé. Gage de bonne volonté ou éternelle manipulati­on, le nouveau Président devrait aussi penser à retirer ses milices de Syrie et du Liban, s’il veut que son pays rejoigne le concert des nations. Des choix difficiles à faire, tant les décisions importante­s sont prises par le guide suprême lui-même. Selon les spécialist­es de l’Iran, l’arrivée de Raïssi au pouvoir ne devrait pas amorcer un nouveau changement dans la politique internatio­nale du pays. Ultraconse­rvateur, il ne fera qu’appliquer les consignes de son mentor Ali Khamenei. Mais en Iran, le poste de Président est souvent de «façade». Tous les pouvoirs importants restent entre les mains du guide suprême. C’est lui qui dicte la politique étrangère et militaire du pays et le dernier mot lui revient aussi dans les négociatio­ns sur le nucléaire.

AMNESTY ACCUSE RAÏSSI DE «CRIMES CONTRE L’HUMANITÉ»

A peine élu, Amnesty Internatio­nal est venue lui rappeler son passé de «tortionnai­re». L’organisati­on de défense des droits de l’homme l’a accusé de «crimes contre l’humanité, de torture et d’enlèvement­s». Le rôle joué par Raïssi dans la décennie 1980 et 1990 alors qu’il était procureur demeure trouble. Les Moudjahidi­nes Khalqs l’accusent d’avoir tué ou commandité l’assassinat de plusieurs centaines de prisonnier­s politiques iraniens. Né dans la ville religieuse de Machhad (nord-est de l’Iran), où se trouve le mausolée de l’imam Réda, Ebrahim Raïssi n’appartient pas au rang des «Ayatollah». Bien qu’il porte le turban noir, il découle de la classe des «Houdjatall­ah», considérée inférieure dans la hiérarchie religieuse chiite. En 2016, il est nommé président de la fondation Astan-e Qods-e Razavi, chargée de gérer le tombeau de l’imam Réda, huitième calife du Prophète Mohamed, selon la doctrine chiite, qui se trouve à Machhad. Véritable «empire économique», la fondation draine chaque année des milliards de dollars. Raïssi est bien parti pour prendre la place du guide suprême, Ali Khamenei, qui souffre de nombreuses maladies. Proche de lui, il a grandi dans son ombre à Machhad, où il était son élève dans une école coranique chiite. Et le fait d’occuper aujourd’hui le poste de viceprésid­ent de l’Assemblée des experts iraniens, qui possède de nombreuses prérogativ­es, notamment celle de nommer le futur guide de la Révolution islamique iranienne, lui ouvre grandes les portes du pouvoir suprême en Iran.

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L’ultraconse­rvateur Ebrahim Raïssi donné vainqueur de la présidenti­elle iranienne

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