Ballet diplomatique impliquant Paris, Washington et Ankara
● Un plan de retrait en six mois des troupes étrangères de Libye a été présenté par Macron à Biden. Attente en France de la réaction d’Erdogan. En Libye, 100 jours après l’installation du nouveau pouvoir, on navigue à vue sur la question sécuritaire.
Les dernières opérations des groupes armés au Sud-Ouest libyen et ses liens étroits avec la question sécuritaire aux pays du Sahel ont ravivé la flamme de la problématique des mercenaires étrangers en Libye. Une question délicate évitée par le nouveau pouvoir libyen, qui essaie de ménager un équilibre de trapéziste dans ses relations avec les partenaires étrangers, notamment turc et égyptien, qu’il ne veut pas offenser. Le chef des renseignements militaires égyptiens a été accueilli à jeudi dernier à Tripoli, quelques jours après les sécuritaires turcs. Un jeu diplomatique sur fond sécuritaire.
Le nouveau pouvoir libyen évite de débattre directement de la présence de mercenaires étrangers en Libye. «C’est une plaie profonde au dos des Libyens», avait répondu le chef du gouvernement le soir de l’obtention de la confiance du Parlement en mars dernier. La ministre libyenne des Affaires étrangères, Najla Al Mangouche, a ouvertement soulevé la question avec les partenaires européens de la Libye, leur réclamant d’appliquer leurs engagements. Les mercenaires campent, certes, dans leurs casernes. Mais la commission militaire 5+5, basée à Syrte depuis février dernier, avance très délicatement sur les problématiques sécuritaires. Hier, c’était sa 6e réunion sur la question, où il a été décidé d’ouvrir la route entre Syrte et Misrata, symbole de la guerre fratricide en Libye. Une décision saluée par le président du Conseil présidentiel, Mohamed Younes El Menfi, et celui du gouvernement Abdelhamid Dbeiba.
La coordonnatrice résidente et coordonnatrice de l’action humanitaire des Nations unies en Libye, Georgette Gagnon, assure qu’une avancée a été enregistrée dans cette 6e réunion qui a traité de la question des mercenaires.
Mme Gagnon souligne que des plans de retrait simultané sont en cours d’examen. Il s’agit de la démilitarisation des groupes armés et de retrait de concert avec les pays d’accueil. Pour la responsable de l’ONU, il s’agit de veiller à la stabilité de la Libye et des pays d’accueil, puisqu’il y a des combattants du Tchad et du Soudan, en plus des groupes armés russes Wagner, des milices syriennes et des troupes turques. La délégation de l’ONU en Libye les évalue à 20 000 hommes armés. D’autres sources les estiment à 12 000 hommes, ainsi répartis 5000 Syriens, 2000 Turcs, 2000 Wagner et 3000 entre Soudanais et Tchadiens. Les belligérants libyens ne veulent pas s’en débarrasser, n’étant pas sûrs des obédiences du pouvoir post-élections du 24 décembre 2021.
Au cours du récent G7 des 12-13 juin à Cornouailles (Royaume-Uni), le président français, Emmanuel Macron, a soumis à son homologue américain, Joe Biden, un projet de retrait des troupes étrangères de Libye.
Lequel projet a été ensuite repris par l’ambassadeur français à l’ONU et actuel président du Conseil de sécurité, Nicolas de Rivière. Le projet français propose un plan en quatre étapes et s’étalant sur six mois, qui commence par le désarmement des groupes armés, locaux et étrangers, en coordination avec la délégation de l’ONU. Il s’agit ensuite d’installer une plateforme commune de contrôle des frontières libyennes avec le Niger, le Tchad et le Soudan, une tâche jugée difficile et nécessitant des concertations préalables et des efforts internationaux. La 3e étape consiste à coordonner avec les pays d’accueil pour préparer la réinsertion de ces éléments armés et éviter d’éventuelles perturbations dues à leur retour. La dernière phase du projet français consiste à contrôler le cessez-le-feu au Sud libyen.
Le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, dit attendre la réaction des Turcs à la proposition française. «Il ne suffit pas qu’Erdogan cesse ses attaques verbales contre Macron. Nous attendons des gestes pratiques», a-t-il récemment déclaré. Le politologue libyen Adel Khattab considère que «le plan français s’intéresse plus à la sécurité des bases militaires françaises au Niger et à une possible relève de la mission Barkhane qu’à un départ des mercenaires étrangers de Libye». Le politologue s’interroge concernant sur «les groupes armés libyens et syriens, ainsi que sur la présence armée turque et russe que ce plan n’a pas débattue». La question suscite encore la polémique à l’intérieur des institutions libyennes. Ainsi, les députés libyens viennent de se quereller en plénière concernant la présence militaire turque, approuvée par certains et refusée par d’autres. La Libye est loin d’être pour le moment un havre de la paix.