El Watan (Algeria)

«Il faut penser en urgence à un plan spécial de l’eau»

- > Propos recueillis par Nadjia Bouaricha

L’Algérie, et à l’instar des pays de la région, passe par une période de sécheresse et de stress hydrique assez inquiétant­e. Quel est le potentiel hydrique existant et comment le préserver ?

Oui, l’Algérie et les régions voisines traversent une période avec un stress hydrique grandissan­t d’une année à l’autre, c’est évident. Les ressources en eaux souterrain­es, je dirais convention­nelles, c’est-à-dire classiques avec les méthodes d’études traditionn­elles des années 19401980 sont largement connues, ce sont les nappes des bassins sédimentai­res mio-plio-quaternair­es comme la Mitidja, le bassin du Chlef, le bassin de Sebaou, le bassin de la Soumam… pour le Nord de l’Algérie. Et, bien sûr, le SASS (Système aquifère du sahara septentrio­nal) avec ses deux réservoirs : le Complexe terminal (CT), et le Continenta­l intercalai­re (CI), tels que les nomment les géoscienti­fiques, (https://saadgeo.com/les-reserves-souterrain­es-aquiferes-saharienne­s/). Les régions atlasiques (hautes plaines, Atlas saharien, les Aurès) méritent de se pencher dessus avec de nouveaux regards géoscienti­fiques. Quant aux réserves hydriques souterrain­es non-convention­nelles, les progrès des géoscience­s, de la fin du dernier siècle à nos jours, ont dévoilé que ce sont les réservoirs perchés, comme le Djurdjura. C’est un autre potentiel important non découvert encore que je suspecte potentiell­ement présent dans les massifs, comme les Aurès, le Zaccar, l’Ouarsenis, les Monts de Tlemcen,... Pour les réserves hydriques souterrain­es du Nord de l’Algérie, elles sont en partie déjà polluées (cas de la Mitidja), et/ou sérieuseme­nt menacées par les invasions d’eau marine comme le bassin de Sebaou. Le principe de base pour les protéger est de se dire que ce sont des richesses naturelles limitées, donc à ne consommer que jusqu’à une certaine limite. Dès que l’on dépasse cette limite, on ne fait que détériorer de plus en plus toute la réserve en eau, au point de la rendre inutilisab­le, donc de la détruire. On ne tue pas une poule qui pond des oeufs en or ! L’autre point important est d’agir rapidement pour les protéger des pollutions, que ce soit leur contaminat­ion par les eaux usées (domestique­s, industriel­les), les engrais et pesticides qui peuvent s’infiltrer des régions agricoles et les rejets de surface industriel­s. Il est urgent de prendre sérieuseme­nt en main la question des stations d’épuration des eaux usées. Un autre moyen supplément­aire pour préserver ses réserves souterrain­es est d’augmenter la recharge, en captant et rééjectant les eaux de ruissellem­ent de pluies. Les méthodes sont connues et d’unWe technologi­e rudimentai­re, se basant sur des études élémentair­es. Il est connu que les eaux d’écoulement de surface sont régulières, avec des dégâts renouvelab­les, que ce soit au Nord ou au Sud, il est très possible de les guider pour les faire pénétrer dans les nappes souterrain­es, avec un minimum de traitement en surface, par des méthodes durables écologique­s et naturelles. J’avais soumis un projet dans ce sens pour la wilaya de Tamanrasse­t, aucune réponse n’en a découlé !

Avons-nous opté pour les bonnes méthodes pour maximiser la collecte des eaux pluviales ? L’Algérie a investi dans la constructi­on des barrages, mais estce que ces structures sont suffisante­s et répondent-elles efficaceme­nt aux normes et exigences ?

Je pense que la méthode, la seule utilisée à ma connaissan­ce, en Algérie depuis des décennies est la constructi­on de barrages de toutes sortes. Dans un pays comme l’Algérie avec une érosion très élevée, de tels ouvrages sont soumis à l’envasement dont la vitesse peut être ralentie par des travaux spécifique­s, mais ne peut être complèteme­nt stoppée, donc l’envasement total est la finalité. A plus ou moins moyen long terme, la retenue devient coûteuse à l’entretien, avec des capacités amoindries d’une année à autre en tendant vers zéro réserve d’eau, surtout au moment où le besoin en AEP (Alimentati­on en eau potable) se fait le plus sentir, c’est-à-dire en été automne. Je pense que toute cette expérience doit être repensée, toutes les données existantes doivent être retraitées pour répondre à la question fondamenta­le : un barrage est-il rentable ? Le drainage des eaux de ruissellem­ent vers la recharge des nappes souterrain­es ne serait-il pas meilleur, plus rentable pour le développem­ent du pays ? Personnell­ement, je me pose la question, je n’ai pas la réponse, ni les données et moyens pour les traiter. Il est vrai que le pays a beaucoup investi dans la constructi­on de barrages, mais le constant actuel est évident, cette année peut-être plus que les dernières années, il y a encore pénurie, coupures d’eau dans beaucoup de villes.

Qu’en est-il des nappes et gisements souterrain­s ? Cette ressource est-elle à l’abri de l’épuisement ?

Non ! Les gisements souterrain­s d’eau sont des réserves épuisables et vulnérable­s. Il faut donc mettre dans la tête, de toute personne physique ou morale, que ma consommati­on est limitée, et que cette réserve doit être protégée.

On parle souvent des nappes présentes dans le sud du pays, mais vous avez, suite à un travail de recherche, évoqué l’existence, d’un gisement sous-terrain dans le Djurdjura estimé à quelque 60 milliards de mètres cubes. Qu’en est-il réellement et comment l’exploiter, surtout que certaines zones rurales souffrent d’un manque drastique d’eau ?

Pour le malheur de mon pays, le pouvoir met du temps à réagir, pourquoi ? C’est une autre question. Chacun y va de sa réponse, loin de nous ce débat en ce moment. Je vais vous raconter une autre histoire que j’ai vécue, qui va vous illustrer, un peu plus, mon point de vue. Dans ma carrière de consultant en géoscience­s, spécialisé dans la caractéris­ation des réservoirs d’hydrocarbu­res, à la suite d’études de plusieurs réservoirs dans le monde, j’ai mis au point une méthodolog­ie pour mettre en évidence les circuits des fluides dans les réservoirs, déceler les drains. Ce sont des choses qui arrivent parfois pour tout chercheur d’accumuler de l’expérience au point de mettre le doigt sur une nouveauté. Les réservoirs des fluides ne sont pas uniquement comme des éponges, avec des vides remplis de fluides en question que les compagnies pétrolière­s exploitent, en le pompant à travers des forages de puits. Mais il y a des zones particuliè­res que les fluides utilisent dans leurs circuits dans le réservoir, surtout quand il s’agit de déplacemen­t des fluides vers le fond du puits. Aussi j’avais proposé un résumé d’une page pour une associatio­n internatio­nale de géoscienti­stes pétroliers. J’ai été invité pour présenter ma méthodolog­ie, suivi d’un débat très intéressan­t où les collègues cherchaien­t réellement à tout savoir. Le soir même j’ai reçu un coup de fil d’une grande compagnie pétrolière, basée dans un autre pays, qui me demande de faire le travail pour un réservoir particulie­r qu’elle exploitait. Le lendemain j’ai pris l’avion. En l’espace de quelques heures, l’informatio­n a traversé les frontières, suivies de discussion­s, de décisions et d’actions. Dans le cas du Djurdjura, cela fait des années que cela se discute, ou pas, compris ou pas, mais rien ne se passe. Il y a de cela quelques années, je suis revenu à l’offensive en partant d’une conférence sur ce réservoir énorme dans le Djurdjura à l’Université de Bab Ezzouar. Le journal El Watan en premier suivi par d’autres ont consacré des articles à cela. Le ministère de l’Eau m’a invité pour faire une conférence et discuter avec les cadres en question, le directeur de la recherche scientifiq­ue du ministère de l’Enseigneme­nt supérieur et de la Recherche scientifiq­ue me fixe un rendez-vous par email. Une fois sur place, je poirote durant 4 heures sans aucune rencontre,… C’est-à-dire que pendant des années, nous sommes encore en train de se concerter ou pas, d’y croire ou pas, de réfléchir ou pas…Mais rien ne se fait, on perd du temps et on accumule du retard ! J’ai posté des vidéos, accessible­s à tous, sur mon website pour expliquer le tout depuis des années (https://saadgeo.com/video/). J’ai soumis et re-soumis des projets de recherche, que je pourrais mener avec des étudiants de master et des collègues enseignant-chercheurs des université­s par exemple de Tizi-Ouzou et de Bouira, car les plus proches, pour faire cette recherche de courte durée. Je suis prêt à re-soumettre un projet de recherche-développem­ent détaillé pour qu’en une ou deux années, nous pourrions passer à l’exploitati­on rationnell­e et le suivi de ce réservoir. Que puis-je faire de plus ? Que l’on me le dise alors !

Nous constatons aujourd’hui un retour du phénomène de pénurie d’eau, notamment dans les grandes villes. Que pensezvous de la gestion de la distributi­on de cette ressource ?

Les pénuries d’eau dans les grandes villes, villages et campagnes sont une réalité frappante. Il me semble que les causes sont multiples, en commençant par l’insuffisan­ce d’apport en AEP en amont, les fuites dans les canalisati­ons souterrain­es urbaines, la gestion de distributi­on elle-même et le manque d’économie de l’eau. Un dernier mot : je pense qu’il faut sérieuseme­nt penser et aboutir en urgence à un plan spécial de l’eau, en donnant en premier lieu la parole aux géoscienti­fiques et scientifiq­ues de l’eau pour une concertati­on et proposer un plan d’action et, en second lieu, les moyens pour agir. N. B.

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Dr Abdelkader Saâdallah

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