El Watan (Algeria)

«Ils n’ont pas pensé aux représaill­es ?

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Bien sûr que si ! Mon père et mon frère ont pris vainement le chemin de la vengeance, puisque mon bourreau Mahdi Okba alias Hassan Dabbah est devenu un grand terroriste, un Emir à la tête d’une nombreuse meute ensauvagée. Même la police n’a pu le débusquer lorsqu’elle a procédé à des arrestatio­ns à Bab El Oued et dans La Casbah. En ces temps noirs, tout semblait souffler la discorde dans le pays, les comploteur­s attisaient les feux, les antagonist­es fomentaien­t les haines, les fourbisseu­rs affûtaient les armes, les massacreur­s semaient partout la mort, et comme dans un immense champ de guerre, les libertés, la paix, l’honneur, la vie elle-même étaient en jeu. L’ouragan de la violence aveugle emportait tout sur son passage. Terrible rage au coeur, couteaux de chasse aux côtés, le père et le fils ont gagné Alger au début de l’hiver, au milieu de la pluie et du vent. Il est vrai que le meurtre n’a jamais été un objet d’admiration à leurs yeux, mais pour eux, il n’ y a rien de plus immonde, de plus lâche qu’un violeur, qu’un intrus qui attente à leur honneur. «Peine perdue : réhabilité par la politique de la réconcilia­tion nationale, après tant d’ignobles crimes, Mahdi Okba, mon violateur, le barbu criminel banni par la Djemâa du village Tizi n Tafat, est reconnu «personnali­té nationale», et il vit en privilégié à la capitale sans éprouver les syndérèses de Lucifer attendant le châtiment de Dieu. «Maintenant je suis seule ! Tout à fait seule, et ne pouvant rester dans la maison, j’erre, triste et rêveuse, comme une ombre, à la manière d’un fantôme, ainsi qu’une exilée. Ceux et celles qui me connaissai­ent me soupçonnai­ent atteinte de folie. Je n’ai pas encore sombré dans la folie, mais un sentiment de perdition qui se transforme peu à peu en une insondable déprime. Quelques jours seulement après ma répudiatio­n, ne pouvant supporter l’affront, ma mère s’est pendue à la poutre centrale de la maison des chrétiens, le même endroit où j’ai été violée. C’était au crépuscule, trompant la vigilance de tous, le visage débiffé, les pieds nus et les cheveux en bataille, qu’elle a gagné la sombre maisonnett­e pour s’y donner la mort après avoir frôlé la folie. Cette maison historique, témoin de la lutte anticoloni­ale et site abandonné après l’indépendan­ce, est aussi témoin de mon malheur et de la détresse de ma famille.» «Après le suicide de ma mère, mon père a refait sa vie avec une fille de mon âge, ou presque. Et Aksil, mon unique frère, s’est exilé au Canada. Peu de jours seulement après notre séparation, mon ex-mari, le sublime Ferhat Tignewt à qui j’ai caché le secret de mon viol jusqu’à la nuit des noces, a risqué sa vie dans une barque de fortune dans une tentative d’émigration illégale. Les vagues de la Méditerran­ée l’ont craché, cadavre enflé sur les rives d’Espagne. Ne savant pas s’il atteindra vif l’autre rive, ou il laissera sa vie au milieu de l’eau, avant de se lancer au sein des flots dans un frêle esquif, il a versé des larmes chaudes en mêlant ses ultimes soupirs au vent. La lettrepoèm­e empressée qu’il a laissée à sa mère sur le rivage d’Oran avant son embarqueme­nt vers l’île ibérique, cette lettre retrouvée par un journalist­e et reprise par la presse nationale après sa noyade me livre au martyre et à la tourmente. Ses paroles sont gravées en lettres de sang dans mon âme. La mère de Ferhat s’est tuée aussitôt après l’annonce du naufrage de son fils unique en avalant le poison des rats. Ah, l’autre lettre ! Cette autre lettre qui m’a brisé l’âme, et où il avait senti, avant notre mariage, que je lui cachais quelque chose de grave ! Dévorée de repentir, la honte envahit mon âme.» Les âmes invaincues

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