El Watan (Algeria)

Histoire d’eaux

- Par Ali Bahmane

Achaque époque son cri de ralliement. Avant le «Yetnahou Ga3 !» d’aujourd’hui, il y eut, entre les années 1970 et 1990, le fameux «Haw Ja Elma !» qui, pour les habitants de la cité et autres, indiquait que l’eau venait soudain de couler dans les robinets. La minute était au branlebas de combat autour du précieux liquide, attendu des heures durant, souvent des journées entières, parfois une bonne semaine ou plus. En milieu de nuit, souvent jusqu’à l’aube, aux derniers étages, c’était la course pour remplir tous les ustensiles disponible­s, divers jerricans et même la baignoire. Joie, cernes et grand désordre. Et quand cela se vide trop rapidement, il faut s’échiner dans les escaliers avec quelques jerricans remplis dans une station d’essence proche ou chez un voisin complaisan­t du rezde-chaussée. L’enfer, pour ainsi dire, pour lesfamille­s nombreuses, impuissant­es et résignées face à la catastroph­e. La colère est inévitable contre les pouvoirs publics, pneus brûlés en travers des rues des villages et des quartiers des grands ensembles urbains. Le calvaire s’était quelque peu atténué durant les premières années 2000, à la faveur des efforts de l’Etat pour capter les quelques millimètre­s de pluie annuelleme­nt prodigués par la nature et acheminer le précieux liquide vers les consommate­urs. Mais c’était soigner un cancer avec des cachets d’aspirine. Revoilà la crise en cette année 2021, l’eau qui disparaît peu à peu des robinets et le grand retour du nocturne «Haw ja Elma !», cette fois-ci mille fois amplifié dans les multiples immeubles AADL et autres projets publics et privés. Avec un phénomène aggravant, la crise sanitaire induite par la Covid-19 qui commande une hygiène poussée des personnes et des infrastruc­tures publiques. Dans cette histoire d’eau, il y a bien sûr les caprices de la nature qui dépassent tout le monde, mais dans le cas algérien, ils auraient pu être aisément réglés par le biais de la formidable aisance financière de la première décennie 2000. Cent barrages et 100 usines de dessalemen­t d’eau de mer auraient pu être construits avec en appoint des milliers de forages sur l’ensemble du territoire national. Le régime Bouteflika en a décidé autrement, il a dilapidé l’argent public et enrichi des oligarques sans aucun souci d’anticipati­on sur les besoins à venir du pays. Exit de l’expansion démographi­que – actuelleme­nt de 45 millions d’habitants – et de l’énorme développem­ent urbain. La même problémati­que est posée en matière de consommati­on énergétiqu­e. Le pouvoir actuel est à peu près sur le même registre, mais à sa décharge, il n’a pas bénéficié des mêmes ressources financière­s que l’ancien régime. Son point faible, c’est qu’il n’a pas pris à temps les mesures d’urgence qu’il fallait, peu coûteuses, concernant les forages, les retenues collinaire­s, les transferts d’eau entre wilayas, la lutte contre les fuites et le gaspillage de l’eau. Des décisions prises à temps, dès l’hiver, auraient pu au moins atténuer la crise en été, en attendant un éventuel retour des pluies en automne. Eh oui, on revient à la bénédictio­n divine, si tant est que celle-ci n’ait pas déserté l’Algérie. A ce moment-là, on criera «Haw Ja Elma !» en regardant cette fois le ciel, pas le robinet.

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