El Watan (Algeria)

Des avocats dressent un tableau noir

L Le Comité de défense et de sauvegarde des libertés de Béjaïa tire la sonnette d’alarme au vu de la montée de la répression contre des militants de tous bords.

- K. Medjdoub

La situation des libertés démocratiq­ues et des droits de l’homme en Algérie» est le titre d’une conférence de presse qu’a organisée hier le Comité de défense et de sauvegarde des libertés de Béjaïa au siège du Comité directeur pour les droits de l’homme (CDDH). Pour le commun des militants des droits humains, cette situation est suffisamme­nt inquiétant­e pour alerter l’opinion nationale. Ils tirent la sonnette d’alarme au vu de la montée de la répression contre des militants de tous bords.

Pour Me Mokrane Sonia, membre du collectif de défense des détenus d’opinion, par cette poussée répressive, le pouvoir veut dire «qu’il est capable de passer à une vitesse supérieure» dans la répression du «hirak». 294 détenus d’opinion sont derrière les barreaux.

Cela inquiète plus d’un et l’on estime que ce chiffre suffit pour traduire le tout répressif du pouvoir qui use de l’appareil judiciaire, dont on dénonce l’instrument­alisation. «La contre-révolution repose sur deux éléments : l’instrument­alisation de la justice, actionnée par esprit de vengeance, et l’adoption de lois pour justifier la répression», résume

Me Benabdesla­m Allaoua qui prend pour exemple, de l’arsenal juridique répressif, l’article 87 bis du code pénal.

«C’est un article très dangereux qui enterre le principe de la présomptio­n d’innocence et qui aura encore des conséquenc­es très graves à l’avenir», alerte-t-il, rappelant l’histoire de la création du ministère public dans le système judiciaire français qui s’est affranchi de sa dépendance au roi en gagnant son indépendan­ce. «En Algérie, le procureur dépend toujours du ministère de la Justice autant administra­tivement que dans sa fonction. Cela restera un handicap», se désole l’avocat.

La réaction ne s’organise pas face à la répression, regrette Me Mokrane. «En tant qu’avocats, on se retrouve les poings liés, et je n’ai pas honte de le dire. Par ce genre de rencontre, on tire la sonnette d’alarme et on essaye d’impliquer l’opinion publique. Les textes de loi existent, le problème est dans les pratiques et l’absence de volonté des hommes à les appliquer», dit-elle. «Il y a deux jours, Fatiha Briki, membre du CNLD, a été arrêtée et sa garde à vue prolongée dans des conditions que je n’ai personnell­ement pas supportées. En lui rendant visite, j’ai eu presque honte de la regarder dans les yeux», confie l’avocate. «Les cas de torture, trop médiatisés, comme ceux de Nekkiche et Chetouane, n’ont pas empêché le pouvoir de passer à une vitesse supérieure», constate-t-elle.

«LE SILENCE DES BARREAUX»

Les robes noires, également, se sentent victimes des affres de la contre-révolution, rappelant le maintien en détention préventive à Tébessa de Me Abderaouf Arslane. «Lorsqu’on en arrive à mettre un avocat en prison, c’est une atteinte grave», dénonce Me Sofiane Ouali qui, lui aussi, a fait l’objet d’une poursuite judiciaire. «Lorsque j’étais appelé à comparaîtr­e, j’ai trouvé à mes côtés mes confrères du barreau de Béjaïa, ce qui a amené le pouvoir à reculer. Je tiens à appeler le barreau de Tébessa à prendre des décisions fortes pour être aux côtés de notre confrère incarcéré», exhorte Me Ouali qui estime que «nous sommes en insécurité juridique».

La problémati­que de la solidarité et de l’implicatio­n des robes noires est posée, même si, l’on s’en souvient, la remise en cause de l’immunité judiciaire de l’avocat a été un fait qui avait quelque peu mobilisé la corporatio­n. Le «silence des barreaux» est, cependant, pesant pour les robes noires militantes. Me Mokrane nous donne une expression de la déception.

«On a organisé une caravane pour Abderaouf Arslane, et on n’était que six», affirme-t-elle. «L’accompagne­ment du hirak se limite aujourd’hui aux deux wilayas de Béjaïa et Tizi Ouzou, en plus de quelques avocats d’Alger. Ailleurs, il s’est arrêté au lendemain de la présidenti­elle du 12/12», constate, visiblemen­t déçu, Me Benabdesla­m. «Beaucoup d’avocats se sont retirés du collectif. Beaucoup aussi n’ont pas le courage de défendre les militants du MAK. A Tizi Ouzou, ils ne sont que deux, à Béjaïa nous sommes huit et à Alger Me Mokrane Sonia est seule», révèlet-il. A Béjaïa, huit militants du MAK sont incarcérés et huit autres sont sous contrôle judiciaire. Avant eux, neuf ont été condamnés à 6 mois de prison avec sursis.

Trois autres sont détenus actuelleme­nt à Oran avec le chef d’inculpatio­n d’«appartenan­ce à une organisati­on terroriste», selon Me Mokrane. Arrêté il y a neuf mois, en octobre 2020 à Tizi Ouzou, Lounès Hamzi est le premier détenu makiste. «A ce jour, il n’est pas auditionné dans le fond. On arrête des gens, puis on leur constitue des dossiers, cela ne concerne pas que les militants du MAK, mais tout le monde», dénonce Me Mokrane. «A ce jour aussi, aucun chef d’inculpatio­n n’a été signifié à Lounès Hamzi. Ils cherchent encore quelle accusation lui coller», révèle Me Benabdesla­m.

Face à l’impitoyabl­e machine répressive et à l’instrument­alisation de la justice, quel rôle donc pour les avocats ? «C’est d’accompagne­r les détenus dans la procédure judiciaire et de dévoiler les violations», répond Me Benabdesla­m.

A ce rythme, pourra-t-on être aux côtés d’autant de détenus d’opinion ? «Nous sommes submergés», se contente de nous répondre Me Mokrane. Me Sofiane Ouali appelle le corps des magistrats à être «un pouvoir indépendan­t et refuser de devenir un appareil entre les mains du pouvoir exécutif». «On ne peut pas régler une crise politique en instrument­alisant la justice», plaidet-il, énumérant certains «dépassemen­ts» dans les procès intentés à différents militants.

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