Le mouvement de contestation reprend au Liban
● Depuis le début de la crise à l’automne 2019, la livre libanaise s’est effondrée face au billet vert ● Il y a à peine dix jours, sa valeur a encore chuté, frôlant les 15 500 livres pour un dollar.
Des manifestants en colère au Liban ont tenté de prendre d’assaut, samedi soir, des agences de la Banque centrale dans deux grandes villes du pays, a rapporté l’AFP ce même jour, citant l’agence Ani. Le mouvement de contestation intervient après une nouvelle dépréciation record de la monnaie nationale sur le marché noir. Samedi après-midi, deux changeurs ont indiqué que le dollar s’échangeait à 17 500 livres libanaises sur le marché noir, un troisième citant lui le chiffre de 17 300 livres. Sur les réseaux sociaux, certains utilisateurs ont évoqué le seuil des 18 000 livres.
A Tripoli (nord), des dizaines de manifestants ont dénoncé la dépréciation et «les conditions de vie difficiles». Des manifestants ont réussi à «arracher le portail en fer d’une agence de la Banque du Liban et pénétrer dans la cour extérieure», mais «l’armée les a empêchés» d’atteindre le bâtiment, selon Ani. Ils ont aussi mis le feu au portail du Sérail, le siège du gouvernorat du Nord, alors que des contestataires se sont rassemblés devant les domiciles de deux députés et ont tenté en vain de forcer le passage, malgré la présence de gardes. A Saïda, au Sud, des manifestants ont également tenté de prendre d’assaut une agence de la Banque du Liban avant d’être repoussés par les forces de l’ordre.
Depuis le début de la crise à l’automne 2019, la livre libanaise s’est effondrée face au billet vert. Il y a à peine dix jours, sa valeur a encore chuté, frôlant les 15 500 livres pour un dollar. Le taux officiel, observé depuis plus de deux décennies, est lui toujours fixé à 1507 livres pour un dollar. La crise s’accompagne actuellement d’une pénurie de carburant. Le gouvernement a annoncé vendredi que le financement des importations de carburant, en grande partie subventionnées, se ferait selon un taux de change intermédiaire de 3900 livres au lieu de 1507 livres, ce qui doit se traduire de fait par une hausse imminente du prix pour le consommateur.
BOURRASQUE
Le Liban est confronté à une crise multidimensionnelle marquée par l’effondrement économique aggravé par la pandémie de Covid-19 et l’explosion d’août au port de Beyrouth. En 2018, le pays du Cèdre s’est engagé à faire des réformes en contrepartie de promesses de prêts et de dons d’un montant total de 11,6 milliards de dollars. Le 17 octobre 2019, le gouvernement annonce une taxe sur les appels effectués via WhatsApp. Cet impôt de plus dans un pays à l’économie exsangue fait exploser la colère des Libanais. Le gouvernement renonce à la taxe, mais la colère de la rue est loin d’être apaisée. Le 19, des dizaines de milliers de Libanais se rassemblent à Beyrouth, Tripoli, Tyr (sud), Baalbek (est). Plusieurs axes routiers sont bloqués. La mobilisation culmine le lendemain avec des centaines de milliers de protestataires qui réclament le renouvellement de toute la classe dirigeante, quasi inchangée depuis des décennies et jugée corrompue et incompétente. Le 29, Saad Hariri et son gouvernement démissionnent. Les manifestants reprennent leurs sit-in sur des artères à Beyrouth. Le 3 novembre, plusieurs milliers de personnes envahissent les rues, après un rassemblement de partisans du président Michel Aoun. Le 12, celui-ci attise la colère en conseillant aux mécontents d’«émigrer». Le 19 décembre, Hassan Diab est désigné Premier ministre, mais l’appui apporté à sa nomination par le Hezbollah et ses alliés attise l’ire d’une partie de la rue. En janvier 2020, les manifestations reprennent après une période d’essoufflement. Le 21, le Liban se dote d’un gouvernement, formé par un seul camp, celui du Hezbollah et ses alliés. Le 11 février, le Parlement accorde sa confiance au gouvernement, en dépit de l’opposition de centaines de manifestants. Le 7 mars, le Liban, qui croule sous une dette de 92 milliards de dollars (170% du PIB), fait défaut sur le paiement d’une première tranche de sa dette, d’un montant de 1,2 milliard de dollars. Le 30 avril, le gouvernement annonce un plan de relance et demande une aide du Fonds monétaire international (FMI). Le 13 mai 2020, le Liban entame des négociations avec le FMI. Mais le processus est depuis au point mort. Mi-juin, des manifestations éclatent après une nouvelle dégringolade de la livre. Le 4 août, une énorme explosion dévaste le port et des quartiers entiers de Beyrouth et fait plus de 200 morts. Le 8 des milliers de Libanais manifestent contre leurs dirigeants accusés d’être responsables du drame. Le lendemain, la ministre de l’Information, Manal Abdel Samad, démissionne. Le patriarche maronite, le cardinal Béchara Raï, réclame la démission du gouvernement et des législatives anticipées. Le Premier ministre, Hassan Diab, a démissionné dans la foulée de l’explosion, mais son successeur désigné, Saad Hariri, nommé en octobre, n’a toujours pas réussi à former un nouveau gouvernement en raison de désaccords avec le président Michel Aoun. Resté en poste à titre intérimaire, Hassan Diab a menacé samedi de cesser d’exercer ses fonctions pour faire pression sur les responsables politiques afin qu’ils forment un nouveau gouvernement. Conformément aux accords de Taëf d’octobre 1989, qui ont mis fin à la guerre civile au Liban (1975-1990), la structure du gouvernement du pays est tripartite : elle est partagée entre un président de la République chrétien, un président du Conseil sunnite ainsi qu’un président de la Chambre des députés de confession chiite.