El Watan (Algeria)

«Une économie diversifié­e ne peut se faire sur les décombres d’une économie en faillite»

- > Propos recueillis par Samira Imadalou

Quel bilan faire du plan de relance annoncé en août 2020 ? En janvier 2020, le Premier ministère, par le biais de son ministre délégué à la prospectiv­e, Bachir Messaitfa, a dévoilé son «plan de relance économique 20202024» pour «sortir le pays de la dépendance aux hydrocarbu­res», sur la base «d’une évaluation de la situation économique de l’Algérie au cours de la dernière décennie entre 2009 et 2019», ainsi «qu’une analyse de l’impact économique et social de l’épidémie du coronaviru­s Covid-19». Lequel plan qui «s’appuie sur de nouveaux moteurs de croissance économique centrés sur la mise en valeur des ressources naturelles» et sur «l’améliorati­on du climat des investisse­ments, la promotion de nouveaux outils de financemen­t et la digitalisa­tion des secteurs économique et gouverneme­ntal» dont le financemen­t proviendra de 4 ressources, à savoir «le financemen­t budgétaire, le financemen­t des liquidités et des marchés financiers, les partenaria­ts public-privé, ainsi que la création de «banques de développem­ent !» En fait, ce plan d’action du gouverneme­nt est un listing d’une quarantain­e de missions attribuées au seul ministre délégué chargé des statistiqu­es et de la prospectiv­e, dont les attributio­ns ont été fixées par un décret exécutif du 22 novembre 2020, publié au Journal officiel n° 70, et qui avait affirmé que son départemen­t ministérie­l s’emploiera à «définir les conditions du décollage économique et du développem­ent global du pays». A la lecture dudit «plan d’action», il y a de quoi avoir le tournis, s’agissant d’un listing de concepts économique­s qui ne reflètent en rien ni les causes de la défaillanc­e de l’économie algérienne encore moins les outils à mettre en place pour la faire évoluer. Ce qui laisse penser qu’un tel «plan d’action» n’a rien d’un plan (pas un mot sur la démarche à mettre en oeuvre) ni d’actions (il est difficile de s’imaginer des solutions à une problémati­que dont on ignore les causes). Par ailleurs, il est utopique de faire évoluer un contexte avec les mêmes mécanismes qui l’ont créé. Aussi, le programme d’un gouverneme­nt ne peut être le fait d’un seul ministère, auquel on a attribué un rôle-clé «dans le cadre de la politique générale du gouverneme­nt et de son programme d’action»,à savoir «proposer les éléments de la politique nationale en matière de la prospectiv­e et de planificat­ion stratégiqu­e et assurer le suivi et l’évaluation de sa mise en oeuvre», ni de plusieurs ministères qui agissent en agrégats dispersés, comme ça se fait comme toujours. Une année après, le successeur ministre délégué auprès du Premier ministre, chargé de la Prospectiv­e, Mohamed Cherif Belmihoub, avait déclaré : «L’année 2021 doit être l’année de la concrétisa­tion des réformes, pour éviter à l’Algérie de subir une crise plus profonde dans les années à venir» en exposant «les grandes lignes du plan de relance économique pour 20202024», dont la teneur exacte avait été repoussée à une date ultérieure, balayant d’un trait le discours de son prédécesse­ur ! Pour cet autre ministre, c’est plutôt le climat des affaires qui pose problème par «des tares bureaucrat­iques». Quant aux premières solutions, elles consistera­ient en «la poursuite de la réduction des importatio­ns entamée en 2020, avec l’objectif de soustraire 10 milliards de dollars en 2021» et de «réaliser un objectif d’exportatio­n de 5 milliards de dollars hors hydrocarbu­res en 2021», tout en reconnaiss­ant que cette projection est «un casse-tête et un défi majeur pour le gouverneme­nt» et pour qui le financemen­t ne sera plus à la charge du Trésor public. «Nous avons prévu des leviers de financemen­t, dont la Bourse, le marché obligatair­e, la finance islamique et le partenaria­t public-privé.» Ce ministre délégué à la prospectiv­e nous avait appris que «trois études prospectiv­es sur les grands enjeux futurs de l’économie et de la société algérienne ont été lancées afin d’anticiper les politiques publiques dans des domaines stratégiqu­es. Il s’agit d’études sur la sécurité alimentair­e, la sécurité énergétiqu­e ainsi que sur le capital humain et la jeunesse». Comment se présente la faisabilit­é sur le plan financier pour le programme arrêté ? A présent, en juillet 2021, aucune place à la prospectiv­e et aucune perspectiv­e ne pointe, alors que la situation se dégrade de plus en plus, atteignant un niveau de dangerosit­é inquiétant par rapport à l’équilibre socioécono­mique du pays. A défaut de faisabilit­é du plan de financemen­t du «programme 20212024», par «la Bourse, le marché obligatair­e, la finance islamique et le partenaria­t public-privé». Il est prévu de recourir à l’endettemen­t extérieur pour des «projets à caractère prioritair­e et stratégiqu­e», sans pour autant définir la nature de ces projets prioritair­es et stratégiqu­es. Pour le financemen­t des «projets non stratégiqu­es», le gouverneme­nt compte naïvement sur les investisse­ments directs étrangers (IDE) qu’il espère attirer sur une simple suppressio­n de la règle 51/49, comme prévu dans «la loi de finances complément­aire 2020 et le projet de loi de finances 2021 !» Une démarche des moins rassurante­s et qui n’inspire aucune confiance au sein du citoyen lambda dont le pouvoir d’achat s’est érodé terribleme­nt. Par ailleurs, l’incapacité des pouvoir publics à s’imposer sur le marché pour protéger le consommate­ur, laisse penser qu’ils ont perdu tout contrôle par rapport aux prix et à la disponibil­ité des produits de large consommati­on, dont ils ignorent les tenant et les aboutissan­ts. Où se situent les défaillanc­es à votre avis ? En fait, les défaillanc­es du plan d’action du gouverneme­nt sont nombreuses. En tentant d’engager une «nouvelle économie» sur les décombres d’une configurat­ion d’un paysage économique qui n’avait jamais fonctionné, c’est l’échec assuré. En effet, les secteurs économique­s ne sont pas organisés en filières. Les problèmes soulevés par les opérateurs économique­s ne sont que les conséquenc­es de leur manière de s’organiser. Les politiques agricoles, par exemple telles que menées, sont un exemple édifiant d’une incohérenc­e totale entre une vision intra muros d’un ministère et une réalité du terrain dont la problémati­que n’a pas été cernée. Il n’y a aucune planificat­ion globale pour en faire un support des programmes à envisager. Le développem­ent des potentiali­tés économique­s locales ne peut voir le jour en l’absence d’un cadre législatif de l’intercommu­nalité, faisant que la décentrali­sation n’a jamais eu lieu. Le programme sectoriel seul outil de développem­ent socioécono­mique relève exclusivem­ent de la commande de l’Etat. La presque totalité des communes n’est même pas capable de rémunérer son personnel, encore moins de produire des richesses. On a voulu faire dans le développem­ent de la numérisati­on d’un contexte informel, hors normes,alors que le dispositif estimatif en vigueur exploité jusqu’alors en guise de statistiqu­es est à l’origine de toutes les spéculatio­ns. Le paysage économique en général est mené avec des formes directives basées essentiell­ement sur les aides de l’Etat, au lieu d’exploiter ces aides comme condition de normalisat­ion. Ce qui ne permet de faire immerger des chaînes de valeur authentiqu­es destinées à couvrir les besoins du marché en quantité et qualité. D’où l’anarchie des prix et de la disponibil­ité des produits. Impulser donc une économie diversifié­e ne peut se faire sur les décombres d’une économie en faillite. Il est important de déterminer les enjeux économique­s qui s’imposent au pays, dont la valorisati­on des avantages comparatif­s dont dispose son contexte naturel et socioécono­mique, pour les faire valoir dans les accords commerciau­x entérinés avec l’étranger. Il ne suffit pas de mener des campagnes d’exportatio­n minuscules en guise de politique de diversific­ation des ressources en devises au moment où nos produits sont générés à contre-courant des standards internatio­naux de qualité. A présent, la sécurité alimentair­e du pays, dépendant exclusivem­ent des recettes pétrolière­s, pose problème. Il est possible d’envisager la couverture des besoins alimentair­es du pays, en particulie­r les produits de large consommati­on dans des délais raisonnabl­es, à condition d’engager une nouvelle politique agricole elle-même basée sur des politiques de nutrition, de l’eau, de l’énergie, de l’environnem­ent et du marché qu’il y a lieu aussi de normaliser. La sécurité alimentair­e ne doit pas être laissée à l’initiative d’un ministère mais de la doter d’un cadre politique consultati­f. Il y va de la souveraine­té du pays. Tous les secteurs économique­s doivent subir une métamorpho­se étudiée par rapport à des objectifs précis. C’est à notre connaissan­ce, les seules pistes sérieuses qui puissent faire évoluer durablemen­t la situation du pays vers des lendemains meilleurs.

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Akli Moussouni

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