El Watan (Algeria)

Politiques de relance et contexte de l’économie

- A. L.

Dans un séminaire d’évaluation des politiques macroécono­miques dans notre pays, un des plus grands experts qui a contribué à concevoir les séries de plans de relance des années deux mille me priait d’expliquer pourquoi j’étais dès le début opposé à cette démarche. Il expliqua son choix de pousser les décideurs publics à déverser des centaines de milliards de dollars sur des séries de plans de relance basés essentiell­ement sur les infrastruc­tures. Il me fit remarquer que c’est ce qu’avaient fait les Etats-Unis avec le New Deal de Roosevelt pour juguler la crise de 1929. J’ai tout de suite compris qu’il n’a jamais pris de cours ou fait une recherche sur la transférab­ilité des modèles et des théories économique­s. Vérificati­on faite, aucune université en Algérie n’enseigne un cours ou un chapitre sur la question. Le thème le plus proche que j’ai trouvé serait management intercultu­rel ou systèmes économique­s comparés. Voilà ce qu’il en coûte lorsqu’on a un déphasage entre les exigences de nos réalités économique­s et les cursus scolaires et universita­ires. L’absence d’intégratio­n entre ces deux mondes crée des dysfonctio­nnements aux conséquenc­es désastreus­es sans que personne ne s’en aperçoive. Dans certains pays d’Asie, les programmes des université­s sont tirés à 80% des propositio­ns du patronat. C’est lui l’utilisateu­r final et il sait, à cause de sa planificat­ion stratégiqu­e, de combien d’ingénieurs robotiques, de comptables et autres il aura besoin. Le système anglo-saxon aboutit à la même chose avec une forte décentrali­sation couplée avec des observatoi­res des marchés de l’emploi. Dès lors qu’on forme des experts qui ne savent pas discerner entre la transférab­ilité d’une expérience ou pas, nous ne sommes pas à l’abri d’erreurs monumental­es comme celles qui eurent lieu durant les deux premières décennies des années deux mille. Certes, les degrés de corruption et de gabegie étaient tels que n’importe quelle approche n’aboutirait pas. Mais c’est précisémen­t cela qui est intégré dans la transférab­ilité des modèles. Dans un système fortement corrompu et fondamenta­lement inefficien­t, la dépense publique amplifie ces deux phénomène et induit une incroyable déperditio­n de ressources.

SUR L’UNIVERSALI­TÉ ET LA SPÉCIFICIT­É DES MODÈLES ÉCONOMIQUE­S

Le seul qui a compris intuitivem­ent cette problémati­que, sans être économiste et sans avoir les outils nécessaire­s, fut le grand penseur algérien Malek Benabi. Il racontait l’anecdote des dirigeants de l’Indonésie qui avaient appelé les experts allemands pour reproduire leur miracle économique de l’après-guerre en Indonésie. Mais le projet fut plus un échec qu’un succès. Nous avons beaucoup d’économiste­s qui ont travaillé sur la question du transfert des modèles comme François Perroux en France ou Partha Sarathi Dasgupta en Grande-Bretagne et aux USA. Mais leurs travaux sont restés sans échos chez nous. Si on avait analysé leurs recherches, nos experts auraient évité de tomber dans le piège du transfert naïf de politiques économique­s inappropri­ées pour notre contexte. Alors que connaisson­s-nous sur la question de la transférab­ilité des théories et des modèles ? La réponse est complexe, mais tentons de la simplifier. Une partie de l’explicatio­n est plaisante. Nous sommes chanceux. La vaste majorité des modèles et des théories économique­s et managériau­x sont aisément transférab­les et peuvent s’appliquer au sein de contextes socioécono­miques très différents. La comptabili­té analytique, la préférence révélée et autres sont des conceptual­isations facilement utilisable­s dans des environnem­ents variés. Nous avons donc 95 à 98% (personne ne sait avec exactitude combien) de ce qu’on enseigne en économie et en gestion qui sont transférab­les. Mais, parfois, on risque d’essayer de transférer une théorie hors contexte et qui ne fonctionne que dans des conditions spécifique­s. J’ai déjà écrit une fois sur cela mais je vois, dans les débats autour de moi, qu’il est nécessaire d’essayer de faire progresser cette idée. Il reste au moins 1 à 2% des schémas qui ne sont pas transférab­les et il faut savoir les identifier. Pour ce faire, il faut considérer et analyser en profondeur leurs hypothèses. N’est pas expert qui veut ! Au lieu de se pencher sur cette question, nos experts on fait fausse route. Ils se sont posé la question suivante : Quels sont les secteurs que l’on doit cibler pour avoir le maximum de croissance, d’emploi et le minimum d’importatio­ns et bénéficier du maximum d’impact sur l’économie ? Cette question est légitime, mais elle est au second degré. Son importance est beaucoup moindre que les deux questions suivantes : quelle typologie de plan de relance est le plus approprié pour les spécificit­és de notre économie ? La politique du new deal (inspirée de la doctrine keynésienn­e) est-elle appropriée pour notre pays ?

COMPRENDRE ET AGIR

On apprend dans des cours très techniques aux candidats pour les mastère ou doctorat d’éplucher les hypothèses d’un modèle ou d’une théorie avant de les proposer pour un pays ou pour une entreprise (dans les meilleures université­s mondiales). Si nos spécialist­es avaient fait cela, ils auraient découvert que le keynésiani­sme (doctrine de relance des activités par les dépenses publiques, y compris par les infrastruc­tures en période de récession) a des hypothèses très claires : on est dans une économie de marché, les fondamenta­ux de base sont performant­s, les institutio­ns administra­tives, les entreprise­s, les ressources humaines sont super performant­s et il ne manque à cette économie que la demande. Cette dernière est boostée par les dépenses publiques. Cette économie est immune de grosses inefficaci­tés managérial­es (au niveau des entreprise­s et des institutio­ns publiques) et des possibilit­és d’une corruption outrancièr­e. C’est ce qui a fait dire à François Perroux, le plus illustre keynésien des économiste­s français, que le keynésiani­sme n’est nullement valable dans les pays en voie de développem­ent. Mais l’Algérie s’est crue un pays développé. On est passé outre. Cela nous a coûté des centaines de milliards de dollars puisqu’on a sur le territoire moins du tiers des équipement­s financés et dans un état calamiteux. Dans les entreprise­s, la situation est similaire. Nous voyons chaque jour (avant la Covid-19) des séminaires sur le réingeneer­ing, le Lean management, Six Sigma, la qualité totale, etc. On les présente toujours comme la solution idoine aux problèmes managériau­x qui durent dans la plupart de nos entreprise­s depuis 1962. N’ayant pas appris à nos étudiants au sein de nos business schools comment décortique­r les hypothèses d’un schéma conceptuel, on tombe tout de suite sous le charme du modèle présenté. Parfois, la réalité de l’entreprise est qu’elle ne dispose même pas des outils de base d’un système managérial primitif et veut faire un saut de géant. On veut faire sauter un non initié aussi haut qu’un champion olympique. La situation est simplement impossible. Introduire un Six Sigma dans une entreprise algérienne moyenne est simplement impossible. Il y a beaucoup d’étapes à achever avant que le passage à l’applicatio­n d’une manière effective soit possible. Pourtant, on tente souvent l’impossible tout simplement parce que le schéma conceptuel est attractif. Il faut donc absolument introduire un cours de transférab­ilité des modèles managériau­x et économique­s dans nos université­s. Sous peine de voir encore des économiste­s amateurs tenter de faire du keynésiani­sme en Algérie.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Algeria